5.2.2. Dévotion privée

Les tableaux-reliquaires dont nous parlons ne possèdent pas des dimensions volumineuses, mais au contraire, de format relativement petit, ils sont faciles à transporter1416. Les deux diptyques dont nous disposons (Pl. V, VI-VII) pouvaient être aussi bien exposés sur la mensa pendant la célébration des offices particuliers, que servir à la piété individuelle. Étant donné leur format de plenarium 1417, on les utilisait vraisemblablement comme des autels itinéraires – altare itinerarium 1418, c’est-à-dire des autels pliables de voyage. Il s’avère que les tableaux-reliquaires étaient appréciés dans le milieu monastique, et tout particulièrement dans celui d’obédience franciscaine1419. Exposées à la contemplation dans un oratoire, ou bien dans une salle capitulaire, les images d’affection – comme celles qui proviennent respectivement des couvents des capucins et des clarisses1420, participaient alors à la formation de la vie spirituelle des religieux (-euses).

Enfin, nous inférons d’une transmission historique, évoquée ci-dessus1421, que les personnes laïques avaient, elles aussi, en leur possession de tels objets dévotionnels. Nous pouvons, d’après cela, admettre que les tableaux-reliquaires étaient également utilisés en tant que petits autels domestiques.

Force est de constater que l’introduction des images d’affection religieuses dans les lieux de privé et dans l’intimité des couvents est liée à la propagation d’une nouvelle spiritualité chrétienne. La devotio moderna – mouvement de renouveau spirituel né dans le milieu néerlandais, à la fin du XIVe siècle1422 – connut un véritable essor en Europe le siècle suivent, et notamment en Europe centrale1423. Sans entrer ici dans les détails de cette notion plurivalente, dont parle Bylina1424, soulignons que les idées de ce courant mettaient en valeur la méditation et l’oraison personnelles. Contrairement à l’intellectualisme scholastique, on prônait désormais une piété plus intérieure inspirée par la contemplation de la vie et de la Passion du Christ1425. Comme l’a justement remarqué Bolard, cette dévotion au Christ souffrant et à la Vierge-Mère, préconisée par les prêcheurs et les mineurs, toucha particulièrement les laïcs1426. Par conséquent, les tableaux pieux (panneaux uniques, diptyques et triptyques de dimensions restreintes) – des effigies christiques et mariales, accompagnées parfois de saints, ainsi que des scènes narratives scripturaires liées au rachat par l’Incarnation –, trouvèrent leur place dans l’espace quotidien et dans la sphère privée. Leur popularité en Pologne peut être directement comparée à celle des autels (tableaux) portatifs toscans peints sur bois1427, ou bien à celle des diptyques (des tablettes) d’ivoire gothiques répandus dans le Royaume de France1428.

Notes
1416.

Voir les notices (dans :) Catalogue : III.A.

1417.

Voir supra § 3.b), note n° 106.

1418.

RICHARD et GIRAUD Dominicains, Bibliothèque sacrée : ou dictionnaire universel historique, dogmatique, canonique, géographique et chronologique des sciences ecclésiastiques (...), Paris 1822, vol. III, p. 340 ; W. VON WARTBURG, puis J.-P. CHAMBON (éd.), Französisches etymologisches Wörterbuch : eine Darstellung des galloromanischen Sprachschatzes, Basel 1983, vol. 24, p. 352.

1419.

Cf. Catalogue : III.A, n° 6 ; III.B, n° VI ; IV, n° 4.

1420.

Ibid.

1421.

Voir supra § 1.3.

1422.

Cf. GABRIEL 2007, p. 105.

1423.

S. BYLINA, « Devotio moderna » et dévotion des masses chrétiennes en Europe centrale aux XIV e -XV e siècles, (dans :) Derwich, Staub, op. cit., p. 211-224.

1424.

Ibid.

1425.

J. PAUL, Histoire intellectuelle de l’Occident médiéval, Paris 1973, p. 419 ss. ; M. RECHOWICZ, Dzieje teologii katolickiej w Polsce, Lublin 1974, vol. I, p. 78, 331 s. ; S. SWIEŻAWSKI, Histoire de la philosophie européenne au XV e siècle, Paris 1990, p. 60 ; Id., Les tribulations de l’ecclésiologie à la fin du Moyen Âge, Paris 1997, p. 61 s. ; R. WETZEL, Légende et spiritualité monastique. Les béguines de Saint-Georges (Saint-Gall) et leur bibliothèque au XV e siècle, (dans :) B. Fleith, F. Morenzoni (éd.), De la sainteté à l’hagiographie : genèse et usage de la Légende dorée, Genève 2001, p. 220 ; W. MROZOWICZ, Schlesien und die « Devotio moderna ». Die Wege der Durchdringungund Verbreitung der « Neuen Frömmigkeit », (dans :) Derwich, Staub, op. cit., p. 133-150 ; A. ANGENENDT, Grundformen der Frömmigkeit im Mittelalter, München 2004, p. 17 s. ; J. VAN ENGEN, Sisters and Brothers of the Common Life : the Devotio Moderna and the World of the Later Middle Ages,Philadelphia 2008, passim.

1426.

L. BOLARD, « Thalamus Virginis ». Images de la « Devotio moderna » dans la peinture italienne du XV e siècle, „Revue de l’histoire des religions”, 1/216 : 1999, p. 87-110.

1427.

Ibid. ; Voir cat. « Fondazione Federico Zeri » (sous Vergine - tavole, altarolo portatile ; XIVe - XVe siècle). Cf. Catalogue : I, n° 7-12.

1428.

J.-P. MIGNE (éd.), Dictionnaire des musées, ou description des principaux musées d’Europe et de leurs collections, Paris 1855, col. 1180 ss. ; R. KOECHLIN, Quelques ateliers d’ivoiriers, Gazette des Beaux-Arts”, 583 : 1906, p. 57 ; Id., Les ivoires gothiques francais, Paris 1924 ; D. GABORIT-CHOPIN, Ivoires du Moyen Âge, Fribourg 1978, passim ; R.-H. RANDALL, Masterpieces of Ivory From the Walters Art Gallery, London 1985 ; Id., The Golden Age of Ivory Carving. Gothic Carvings in North American Collections, New York 1993 ; E. BERTRAND (éd.), Sculptures et objets d’art précieux du XII e au XVI e siècle, (cat. Galerie Brimo de Laroussilhe), Paris 1993, passim ; P. BARNET (éd.), Images in Ivory : Precious Objects of the Gothic Age, Pricneton 1997, passim ; B. BOUSMANNE, A propos d’un carnet à écrire en ivoire du XIV e siècle conservé à la Bibliothèque royale de Belgique, (dans :) B. Cardon, J. Van der Stock, D. Vanwijnsberghe (éd.) Corpus of Illuminated manuscripts. Als Ich Can (Liber Amicorum in Memory of Professor Dr. Maurits Smeyers), Leuven, 2002, p. 165-202, réf. biblio. p. 195 ss. ; D. GABORIT-CHOPIN (éd.), Ivoires médiévaux : V e -XV e siècle, (cat. Musée du Louvre, Département des objets d’arts), Paris 2003, passim.