1. La migration d’Abraham (Abr., 62-88)

Le premier chapitre consacré à l’illustration de la piété d’Abraham correspond aux premières actions effectivement prêtées à Abraham par le texte scripturaire, à la fin du chapitre 11 du livre de la Genèse, et dans les premiers versets du chapitre 12 (Gn 11, 31-12, 9).

L’exégèse développée dans ce premier chapitre pose un certain nombre de problèmes au regard des règles que se donne Philon et qu’il applique de fait avec une certaine rigueur dans les chapitres suivants. Si l’on retrouve bien la distinction entre deux exposés successifs, littéral puis allégorique, et si le premier est clairement littéral, le deuxième exposé, allégorique, revient en partie sur le sens littéral du passage avant que le celui-ci ne se conclue par un véritable retour à l’exégèse littérale : le plan suivi par Philon apparaît ainsi problématique. De plus, Philon paraît suivre au fur et à mesure de son commentaire la trame de la narration, livrant un exposé littéral des premiers versets, puis un exposé allégorique en plusieurs temps, qui inclut de surcroît une anticipation d’un passage plus éloigné, avant d’opérer un retour au sens littéral qui porte sur la fin du passage scripturaire : nous n’avons donc pas affaire ici à une exégèse systématique où l’ensemble du commentaire littéral puis l’ensemble du commentaire allégorique portent sur le même texte scripturaire.

Nous verrons que Philon peut être guidé par deux préoccupations. La première, dans ce chapitre liminaire d’un nouveau développement de son traité, pourrait être de souligner le registre propre de chacune des exégèses. La seconde, qui rend mieux compte de l’organisation d’ensemble du chapitre, est d’essayer de rendre compte des différentes étapes de l’épisode scripturaire, qui conduisent progressivement Abraham, une fois qu’il s’est mis en route (premier exposé littéral), à connaître Dieu (exposé allégorique), puis à s’avancer résolument vers lui (deuxième exposé littéral). Le problème central de ce passage, justifiant son organisation complexe, serait la question de la manifestation de Dieu à Abraham, qui intervient au cœur de l’exposé, dans le deuxième développement de l’exégèse allégorique : Philon ne peut en rendre compte de façon littérale qu’après avoir montré, par un passage d’exégèse allégorique qui porte sur la vie de l’âme, comment Dieu se fait voir à Abraham.

Nous présenterons ces différentes questions en étudiant successivement les trois volets de ce chapitre : le premier exposé littéral, l’exégèse allégorique en trois temps qui le suit, et le retour au sens littéral.