2. La descente en Égypte (Abr., 89-106)

Le deuxième développement consacré à l’illustration de la piété d’Abraham s’attache au récit de la descente en Égypte (Gn 12, 10-20) : celui-ci suit immédiatement l’évocation de la migration d’Abraham, objet du chapitre précédent. L’exégèse de Philon suit de façon plus claire la trame narrative de l’épisode, mais en pratiquant un certain nombre d’omissions plus ou moins significatives. Si l’absence de Lot (à l’exception d’une allusion très vague au paragraphe 92), étant donné qu’il ne figure que dans la dernière partie du dernier verset (καὶ Λωτ μετ’ αὐτοῦ : « et Lot était avec lui ; Gn 12, 20) et ne joue aucun rôle dans le récit, est sans conséquence, nous verrons que d’autres omissions sont plus significatives de la lecture particulière que Philon propose de ce passage.

Si le précédent chapitre apparaissait organisé autour de la notion de migration, ce nouveau chapitre porte sur la notion de vertu, en particulier dans l’exposé allégorique. Celui-ci répond de beaucoup plus près à l’exposé littéral que ne l’a fait l’exposé allégorique du chapitre précédent : il livre en définitive de façon très concentrée la clé du premier temps de l’interprétation et des difficultés posées par le texte scripturaire, sans avoir à revenir à l’exposé littéral.

Ce passage présente donc un double intérêt : nous dégagerons la méthode exégétique qui lui est propre et lui permet d’être, des cinq chapitres que nous étudions, le plus équilibré et celui où l’exégèse est en quelque sorte la mieux intégrée, d’un niveau de commentaire à l’autre ; nous mettrons en évidence le propos de Philon sur la vertu qui peut être défini à partir de cette exégèse, à laquelle il donne un riche déploiement, tant dans l’ordre des réalités humaines que dans l’ordre des réalités divines. En définitive, nous verrons comment la bipartition entre réalités sensibles et réalités intelligibles est de nouveau dépassée par la présentation implicite de Dieu comme celui en qui repose véritablement la vertu d’Abraham. La distinction entre exégèse littérale et exégèse allégorique constitue de ce fait une trame qui permet à l’exégèse de se développer, mais sans en circonscrire le sens final, qui l’outrepasse.