B. L’exposé allégorique (Abr., 119-130)

Dans son exposé littéral, Philon s’est gardé de procéder à une explication de la manifestation de Dieu explicitement formulée par la lettre du texte, même si par ailleurs il a réalisé une innovation formelle en déployant un deuxième niveau d’interprétation pour approfondir le premier, et insister sur l’idée d’une perméabilité entre les réalités humaines, lorsqu’elles touchent à la perfection, et les réalités divines, qui descendent se manifester y compris à travers des vertus humaines. À l’inverse, il s’appuie de façon essentielle sur ce verset pour rendre compte de la manière dont Dieu se manifeste, y compris à travers une triple apparition. Philon apporte ici une réponse personnelle au problème de la manifestation de Dieu accompagnée de deux autres figures, grâce à sa théorie des puissances. Même s’il ne le formule pas explicitement, l’enjeu de son exposé allégorique est d’expliquer comment le texte peut rapporter une manifestation de Dieu, du Dieu unique, alors qu’il est question de trois visiteurs – étant entendu que la triple apparition est bien celle de Dieu, et non celle d’anges ou d’autres personnes qui se manifestent à côté de Dieu, à la différence de ce que l’on peut rencontrer dans les traditions rabbiniques.

Philon aborde donc désormais de front le problème de la manifestation de Dieu, mais à cette fin il s’attache seulement à un détail particulier, la coïncidence de l’heure (midi) et de l’apparition triple, sans chercher apparemment à revenir sur le contenu de son exégèse littérale. Contrairement au chapitre précédent, l’exposé allégorique n’est donc pas une reprise et un approfondissement de l’exposé littéral, mais une autre lecture du texte à partir d’éléments distincts : cela révèle une deuxième réflexion largement autonome de la première. C’est ce que nous chercherons à préciser en étudiant les deux temps successifs de l’exposé allégorique : la mise en place proprement dite de l’exégèse allégorique, puis son développement et son éclaircissement.