4. Le châtiment de Sodome (Abr., 133-166)

Après avoir commenté l’épisode de la visite reçue par Abraham au chêne de Mambré, Philon s’attache à l’épisode qui suit immédiatement, celui du châtiment de Sodome et de trois des quatre autres villes de la région – abstraction faite du dialogue entre Abraham et Dieu qui occupe la deuxième moitié du chapitre 18 (Gn 18, 16-33). Cette nouvelle exégèse correspond formellement aux précédents chapitres, puisque Philon fait à nouveau se succéder un commentaire littéral et un commentaire allégorique, mais elle n’en manifeste pas moins un caractère problématique sur plusieurs points. Le premier d’entre eux est la dépendance du commentaire à l’égard du chapitre précédent et du discours sur les puissances que Philon a introduit : il entraîne une forte perturbation de la méthode d’exégèse littérale, beaucoup moins proche du texte scripturaire qu’elle ne l’est dans les autres chapitres. Philon ne développe pas à travers cette exégèse une question qui naîtrait de l’étude autonome de l’épisode, mais confirme l’illustration de l’action des puissances entamée à propos des visiteurs d’Abraham. Le texte scripturaire n’est pas lu pour lui-même, à partir des questions que peut soulever la cohérence propre des faits rapportés, et il ne sert pas non plus d’appui à l’illustration de la piété d’Abraham, qui n’intervient à aucun moment du développement. Philon prend d’autant plus facilement une certaine distance à l’égard des détails de la narration dont des pans entiers sont gommés, en particulier toute la trame narrative de l’histoire de Lot et de sa famille, alors que dans le même temps l’exposé littéral est nettement plus long que les précédents.

Cette méthode littérale a des conséquences sur l’exégèse allégorique, qui est essentiellement consacrée à une réflexion sur la vision. Une fois encore, Abraham et la notion de piété sont absents de ce développement même si, malgré l’absence de tout élément en ce sens dans l’exposé littéral, Philon reprend implicitement, pour conduire son argumentation des détails du récit scripturaire, à propos de Lot et d’Abraham. Après avoir présenté le sens littéral du passage comme une illustration de l’action des puissances dont il a fait état dans le chapitre précédent, Philon opère également un approfondissement de sa réflexion sur la contemplation des réalités divines, qui constituait l’enjeu principal de l’exégèse de l’hospitalité d’Abraham, d’une manière qui, nous le verrons, s’applique effectivement au personnage d’Abraham tel que le présente le récit scripturaire.

Nous chercherons donc à montrer dans l’étude de ce passage comment Philon s’attache à respecter la régularité formelle générale de son exégèse – un exposé littéral suivi d’un exposé allégorique –, comme s’il s’agissait d’un chapitre autonome, et subordonne dans le même temps son propos aux réflexions amorcées dans le chapitre précédent, au prix de fortes perturbations dans le détail de son commentaire. Ce chapitre permet ainsi de constater plus clairement encore que le précédent les conflits qui peuvent exister dans la méthode d’exégèse de Philon entre deux exigences : la fidélité au texte scripturaire, et le souci d’en proposer une lecture d’ensemble cohérente et satisfaisant à des critères rationnels.