A. L’exposé littéral (Abr., 133-146)

La transition opérée par Philon entre ce chapitre et le précédent marque d’emblée la dépendance du second envers le premier : φανερώτατα μέντοι καὶ διαπονητότατα μηνύει διὰ τῶν ἑξῆς τὸ δηλούμενον (« [Moïse] indique de façon très claire et très soignée, par ce qui vient ensuite, ce qui est montré » ; § 133). Le passage d’un chapitre à l’autre ne se fait pas comme le précédent sur un mode thématique, l’hospitalité, qui laisse à chaque chapitre son autonomie et sa cohérence propre : le nouveau chapitre constitue une illustration et un approfondissement du propos du précédent. Qu’il ne s’agisse pas d’une simple formule rhétorique, c’est ce que confirme à son tour la transition entre ce chapitre et le suivant, au paragraphe 167 : περὶ μὲν οὖν τῆς ἐπιφανείσης ὄψεως καὶ τῶν ἀοιδίμων καὶ παγκάλων ξενίων, ἐν οἷς δοκῶν ἑστιᾶν ὁ ξενοδόχος εἱστιᾶτο, καθʼ ὅσον ἐφικτὸν ἦν, ἀκριβοῦσιν ἡμῖν τὰ περὶ τὸν τόπον δεδήλωται (« À propos donc de la vision qui s’est manifestée et des dons d’hospitalité dignes de poèmes et parfaitement beaux, dans lesquels, alors qu’il paraissait donner un festin, c’est l’hôte qui le recevait, nous avons montré avec précision pour autant que c’était possible ce qui concernait le passage »). Philon remonte directement à l’épisode des visiteurs d’Abraham au chêne de Mambré, sans faire allusion à la destruction de Sodome, qui est de fait considérée comme une simple extension du propos du chapitre précédent, même si sa taille et sa composition en font un développement formellement comparable aux autres.

Cette dépendance est visible dans la manière dont Philon illustre le sens littéral du passage, en insistant sur le châtiment mais aussi en mentionnant le salut apporté par Dieu, et en le mettant en relation avec l’action des deux puissances de Dieu. Toutefois, l’ampleur du développement, très soigné, sur les vices de Sodome et le châtiment qui lui est infligé, et dont Philon paraît presque s’excuser (§ 142), doit être soulignée : Philon donne une portée considérable à l’épisode scripturaire pour livrer un propos essentiel sur l’impiété et les lois de la nature, qui permet de situer l’exégèse de ce passage dans la continuité des précédents chapitres, mais au prix d’un grand éloignement par rapport à la lettre du texte.