B. L’exposé allégorique (Abr., 147-166)

Après un exposé littéral qui a fait l’impasse sur un pan important de la lettre du texte, l’histoire de Lot, l’exposé allégorique ne peut pourtant se comprendre sans un retour à un certain nombre de détails de la narration scripturaire. Philon semble se lancer dans un développement sur les mérites de la vue qui n’a que peu à voir avec le texte scripturaire, en dehors de la transposition allégorique initiale qui permet d’associer à la vue la seule ville épargnée parmi les cinq que comptait la région, qui figurent les cinq sens. Or nous voudrions montrer que ce développement s’articule en réalité bel et bien sur un ensemble de détails attachés à Lot, sa femme et à Abraham, tels qu’ils sont présentés dans le texte. Plus précisément, Lot figure le sens de la vue, sa femme, l’ouïe, et Abraham, la contemplation intelligible. Philon articule ainsi des détails de la narration, pour établir une sorte de fil conducteur qui s’organise autour de la question de la vue, et une réflexion générale sur la contemplation intelligible, qui faisait déjà l’objet de son exposé allégorique concernant le chapitre précédent sur Dieu et ses puissances. Ainsi, alors que l’exposé littéral du châtiment de Sodome a permis de confirmer la manière dont agissait respectivement chacune des puissances, l’exposé allégorique vient de son côté confirmer la perfection de la contemplation d’Abraham, en prenant appui sur la figure de Lot.

Formellement, l’exposé allégorique se présente, après la mise en place des termes généraux de l’allégorie, comme l’illustration de trois motifs d’éloge de la vue, selon une gradation qui mène de la question de l’expressivité du regard jusqu’à sa faculté à contempler la totalité de la création, en passant par l’activité plus importante de la vue que celle des autres sens. Le troisième éloge est redoublé par l’introduction de la relation entre la vision sensible, dans ses potentialités les plus hautes, et la contemplation des réalités intelligibles. Le premier temps peut être abordé à travers la figure de Lot, tandis que l’élargissement final paraît conduire à un retour à la figure d’Abraham : toute la difficulté de l’exégèse repose sur le fait que Philon ne rend explicite aucune de ces relations entre son développement et le texte scripturaire.

En réalité, nous verrons que son exégèse semble suivre un fil sous-jacent à la trame narrative du texte, mettant en valeur tous les détails du texte qui peuvent contribuer à nourrir un développement sur la question de la vue, et qui s’organise de façon successive, aussi bien dans le texte scripturaire que dans l’exégèse de Philon, autour des figures de Lot et d’Abraham.