2) Le « chêne »

Poursuivant sur l’exégèse de l’expression « chêne de Mambré », Philon s’attache à expliquer le rôle du chêne dans le lemme. L’interprétation se développe en deux temps : le premier évoque, de façon complexe, la valeur symbolique du chêne comme figure de la manifestation de Dieu et de la vision qu’Abraham en reçoit ; le deuxième, plus original encore, présente la suprématie du chêne sur les arbres à partir d’une interprétation de la mythologie grecque et d’usages courants du vocabulaire grec. La première partie permet donc de creuser le sillon de la relation entre Dieu et Abraham sur un mode allégorique tandis que la seconde relève plutôt d’un souci de rendre compte non pas de la signification, mais de la valeur du chêne : sa finalité, ainsi que la référence à la mythologie et aux usages de la langue grecque pourraient la rapprocher d’une exégèse littérale, dans la dialectique entre général et particulier que nous avons illustrée dans le De Abrahamo, mais elle présente la particularité de proposer une exégèse allégorique de la mythologie grecque elle-même tout à fait unique.

‘Deuxièmement, les extrêmes sont admirables, et celui qui apparaît, car c’est Dieu, et celui à qui il apparaît, c’est-à-dire celui qui voit ; aussi (l’Écriture) a disposé entre les deux de façon très symbolique un chêne, le plus puissant et le plus grand en autorité, en tant que c’est un arbre très familier parmi les (arbres) sauvages, qui laisse deviner le sage devenu œil (tout entier). Quand il a commencé à voir celui qui est vraiment le guide bon, puissant de tous les êtres, il voit, saisi par l’épaisseur, (l’arbre) sauvage qui ne connaît ni obstacle, ni entrave, et il (voit) la limite où il n’y a plus d’obstacles, les rayons qui luttent jusqu’à ce qu’ils s’accommodent à la vue. En effet, la partie du tronc est sauvage, mais son fruit est une noix domestique, qui a été donnée en nourriture aux hommes avant le blé. Pour cette raison, la vie lui a attribué la prééminence, en considérant le chêne comme le temple et l’autel de l’unique Dieu. En effet, comme le laurier du soleil, il va au service de la santé et les révolutions du soleil ont fait apparaître clairement les saisons de l’année et, parmi elles, l’une a apporté la bonne température, et l’autre produit, à la façon d’une maladie, les calamités des intempéries. Et l’olivier (est) d’une essence toujours vierge, plus pure, qu’a obtenue le globe fixe, car l’huile est la matière de la lumière, et le ciel a une forme rayonnante et en lui il y a aussi des astres lumineux. C’est pourquoi c’est l’habitude de ne pas appeler nombre d’entre eux (les arbres) d’après ce qu’ils sont, mais c’est d’après le chêne, qui a qualité de chef, qu’on les appelle ; dans les endroits où il y a surtout des forêts denses formées d’arbres épais, bien que par nécessité pas un seul chêne ne réclame ; et (ils sont appelés) coupeurs de chênes ceux-là aussi qui coupent les sapins, les cèdres et les (arbres) semblables, et d’autres arbres dont justement il arrive qu’on utilise le bois pour dresser ce qu’on appelle des barrières de bois. Et tous les fruits des arbres, des (arbres) domestiques et des sauvages, sont dits fruits du chêne et olives, et ils appellent « chênes murs » (les fruits) qui mûrissent sur la branche, imposant même à tous (les arbres) le nom de chêne et d’olivier, comme celui de l’arbre qui a qualité de chef.’