Quaestio 3

« Pourquoi (l’Écriture) dit-elle : “Lorsqu’il (les) vit, il courut au devant d’eux et (les) adora sur la terre” ? (Gn 18, 2) ? »

Cette quaestio, la première après la mise en place du cadre interprétatif de l’ensemble du passage, confirme l’exégèse d’ensemble suivie par Philon en illustrant la manière dont il rend compte du caractère littéral de la manifestation de Dieu.

L’exégèse se déroule en deux temps : Philon illustre d’abord l’exemplarité de l’attitude d’Abraham qui court à la rencontre de ceux qu’il voit, avant de livrer une interprétation de la valeur qu’il faut donner à son acte de prosternation, compris dans une perspective strictement religieuse. Ces deux aspects paraissent relever de l’exégèse littérale habituelle de Philon, mais nous verrons que cette quaestio est très liée à la suivante, qui permettra de préciser, de façon rétrospective, la manière dont Philon comprend réellement ce premier lemme.

Concernant la lettre de ce lemme, Philon paraît être fidèle à la lettre du texte : καὶἰδὼν προσέδραμεν εἰς συνάντησιν αὐτοῖςἀπὸ τῆς θύρας τῆς σκηνῆς αὐτοῦ καὶ προσεκύνησεν ἐπὶ τὴν γῆν (« à leur vue, il courut à leur rencontre depuis l’entrée de sa tente et il se prosterna à terre » ; Gn 18, 2). Le seul changement notable est l’absence de la mention de la porte de la tente (ἀπὸ τῆς θύρας τῆς σκηνῆς αὐτοῦ) : il est probable que Philon considère comme superflue l’exégèse d’un élément qu’il a déjà présenté en détail dans la première quaestio.

‘Ceux qui, sans penser ni réfléchir, se lancent en quoi que ce soit, sans regarder ni penser auparavant, il les instruit en leur donnant le conseil de ne pas se lancer en quoi que ce soit avant d’avoir vu la chose clairement et de pouvoir réussir. C’est pourquoi il dit : « Ayant vu, il courut », afin que, la perception étant faite auparavant par la vue, il s’ensuive un acte non blâmable et agréable. Mais il est raisonnable de dire qu’aussitôt après avoir vu, « Il courut en avant ». En effet, ceux qui n’ont pas vu tardent et temporisent, mais celui qui a vu (court) vers tout ce qui mérite qu’on s’y hâte et qu’on y coure. Mais, après un examen à fond, (l’Écriture) dit qu’il « adora sur la terre ». Car, s’ils eussent été par hasard des hommes, il n’aurait pas adoré ces (êtres) mortels, mais Dieu, qui est au-dessus du ciel et de la terre et de tout le monde.’

Le premier temps de la solutio paraît correspondre au temps d’exégèse littérale par lequel Philon commence généralement l’examen d’un lemme scripturaire. Le commentaire se fait moral, pour montrer en quoi l’attitude d’Abraham, qui voit, puis court, est un exemple de sagesse qui mérite d’être suivi. Philon procède à cet effet en deux temps, en envisageant dans les deux sens la relation logique entre les deux membres de phrase qu’il commente, pour illustrer ce que signifient le fait de voir avant de courir et le fait de courir après avoir vu.

Plusieurs éléments introduits par Philon soulignent la dimension morale de ce commentaire. Le premier est la présence d’un locuteur, glosé par Mercier et Marcus comme l’Écriture (Aucher n’explicite pas le sujet), mais que l’on peut voir une fois encore comme étant Moïse, le sage le plus parfait. Cette personne ayant autorité « instruit » et « donn[e] [un] conseil » 348. La notion d’un enseignement donné par l’Écriture ou par Moïse à travers elle, se retrouve ailleurs chez Philon, par exemple lorsqu’il écrit, à propos du verset Gn 3, 8 : δόγμα εἰσηγεῖται διδάσκον, ὅτι ὁ φαῦλος φυγάς ἐστιν (« il introduit une doctrine qui enseigne que le mauvais est un fuyard » ; Leg. III, 1). Moïse est explicitement désigné dans le même traité pour rendre compte d’un autre verset : διδάσκεται δὲὑπὸ τοῦἱεροφάντου καὶ προφήτου Μωυσέως, ὃς ἐρεῖ· “οὗτός ἐστιν ὁἄρτος” (« Cela est enseigné par le hiérophante et prophète, Moïse, qui dit : “ceci est le pain” » ; Leg. III, 173, sur Ex 16, 15). L’enseignement et le conseil, ou l’avertissement, sont par ailleurs rapprochés lorsque Philon traite du « conseil adressé à l’homme moyen » (ἡ δὲ παραίνεσις πρὸς τὸν μέσον), par opposition à l’ordre et à la défense :χρείαν ἔχει παραινέσεως τῆς ἀνέχειν μὲν τῶν φαύλων διδασκούσης, προτρεπούσης δὲἐφίεσθαι τῶν ἀστείων (« il a besoin d’un conseil lui enseignant de s’abstenir des actes mauvais, et l’entraînant à viser les actes bons » ; Leg. I, 93). Philon place ainsi sa solutio, à l’image d’autres passages de son œuvre, dans une perspective didactique et protreptique qui fait de l’Écriture, ou de son auteur, un guide pour une bonne action morale, à partir d’un cas exemplaire, l’attitude d’Abraham.

De fait, le vocabulaire employé pour désigner les actes d’Abraham correspond à cette perspective d’éloge : il accomplit « un acte non blâmable et agréable » 349, et court vers « ce qui [le] mérite » 350. L’acte auquel on ne peut adresser de blâme, de reproche, peut correspondre, si l’on s’appuie sur la convergence des trois traductions modernes qui rendent toutes les trois une tournure négative, aux adjectifs grecs ἄμεμπτος ou ἄμωμος, voire à ἀναίτιος. Le terme « agréable » (« gratum » ; « pleasing ») peut renvoyer à la notion d’ἀρέσκεια, même si l’adjectif ἀρεστός lui-même n’est présent chez Philon que dans trois citations scripturaires (Congr., 153 : Gn 16, 5 ; Spec. I, 318 : Dt 13, 19 ; Spec. IV, 131 : Dt 11, 8), tandis que le participe ἀρέσκων, qui pourrait également convenir ici, n’est employé qu’une seule fois, sous une forme substantivée : καὶ σὺ τηρήσεις αὐτοῦ, τοῦ νοῦ, τὰς ἐπιβάσεις καὶἐφιδρύσεις τῶν ἀρεσκόντων (« et toi, consacre ton attention aux bases et aux fondements des choses qui lui plaisent, à lui l’esprit » ; Leg. III, 189). Philon pourrait faire écho à des conceptions stoïciennes, telle celle rapportée par Plutarque à propos du traité Sur la beauté morale de Chrysippe : τὸἀγαθὸν αἱρετόν, τὸ δ’ αἱρετὸν ἀρεστόν, τὸ δ’ ἀρεστὸν ἐπαινετόν, τὸ δ’ ἐπαινετὸν καλόν (« Le bien est objet de choix, l’objet de choix est ce que l’on agrée, ce que l’on agrée est louable, et ce qui est louable est beau moralement » ; Sur les contradictions des Stoïciens, 1039 C 6 351), ou encore la conception du même Chrysippe selon laquelle, à part la justice, les vertus doivent être « bonnes et objets d’agrément » (ἀγαθάς[…] καὶἀρεστάς ; ibid.,1040 E 9-10). La notion de mérite renvoie quant à elle très probablement à l’adjectif ἄξιος, ce qui mérite, vaut la peine (Marcus : « worthy ») que l’on s’y consacre ou qu’on le loue. Il s’agit là encore d’un terme central dans le vocabulaire de l’éloge et du blâme.

Enfin, ceux qui reçoivent l’enseignement sont ceux qui agissent « sans penser ni réfléchir », « sans regarder ni penser auparavant » 352, et ceux qui « tardent et temporisent » (Aucher : « cunctari » ; Marcus : « delay or tarry »). Pour autant que l’on peut en juger à partir des différentes traductions, Philon joue sur des quasi-synonymes pour donner à la vision une dimension non pas simplement sensible mais également rationnelle : il s’agit de voir, c’est-à-dire de réfléchir et de comprendre la situation. L’accusation est ainsi portée à partir des termes mêmes du lemme, pour la vision comme pour l’action de « tarder », que Philon dérive par simple effet d’antonymie du verbe « courir ». l emploie probablement ici le verbe βραδύνω, auquel il donne généralement un sens négatif, opposé à la hâte avec laquelle il convient de quitter l’Égypte 353, et plus généralement avec laquelle il faut faire le bien : δέον ὑπερτίθεσθαι μὲν τὸἁμαρτάνειν μέλλοντας ἀεὶ πρὸς αὐτὸ καὶβραδύνοντας, πρὸς δὲ τὸ κατορθοῦν ἐπεσπευσμένῳ τάχει χρῆσθαι (« il convient de différer la faute, en remettant toujours à plus tard d’aller vers elle et en prenant du retard, tandis qu’une rapidité pleine de hâte est nécessaire vers la rectitude » ; Spec. I, 243). C’est du reste l’exemple que donne déjà Abraham, et toute sa maison avec lui, dans le de Abrahamo (Abr., 108-109). Philon dresse ainsi une opposition terme à terme entre Abraham et ceux qui ont besoin d’être corrigés, parce qu’ils font le contraire de ce qu’il faudrait, dont Abraham donne l’exemple.

En somme, ce passage livre tous les termes d’un enseignement, de façon concentrée : un maître, qui s’adresse à des élèves qui ont besoin d’être repris pour apprendre la vertu, et utilise un exemple concret, celui d’Abraham. Cette exégèse s’inscrit de façon claire dans la démarche d’interprétation littérale de l’Écriture, qui consiste à présenter le sens obvie du texte d’une manière qui permette à chaque lecteur d’y trouver un enseignement, à partir de la présentation d’un cas particulier exemplaire : ce que fait Abraham s’applique à tout homme.

Il faut encore montrer comment Philon constitue le caractère exemplaire de l’attitude d’Abraham. Il procède par un examen de la relation logique entre les deux membres de phrase qui l’intéressent : la proposition subordonnée temporelle, « lorsqu’il (les) vit », et la proposition principale (« il courut au devant d’eux »), en lui donnant une double signification. Selon la première, il faut voir avant de courir, et l’on pourrait gloser la phrase par : « ce n’est que lorsqu’il vit qu’il courut ». Pour recourir à un vocabulaire linguistique, le thème de la phrase, son élément de base, est l’action de courir, tandis que son propos, ce qui qualifie le thème, est le fait de voir. Selon la seconde signification, l’action de voir implique de réagir par le fait de courir, ce que l’on pourrait gloser par « il vit, et donc il courut ». Le thème de la phrase est alors l’action de voir, et son propos le fait de courir. Philon éclaire la relation temporelle entre les deux actions, que le texte scripturaire donne de façon neutre, par une double perspective, qui montre le lien nécessaire et réciproque qui les unit. L’enchaînement entre les deux actions d’Abraham est ainsi doublement justifié et rendu doublement exemplaire. Cette méthode implique également un effet de totalisation qui épuise l’exégèse possible en dégageant les deux modalités possibles de compréhension de la relation entre le fait de voir et le fait de courir. Cela participe bien d’une volonté de présenter un cas particulier comme porteur d’une exemplarité générale, dépassant le simple compte-rendu factuel d’événements sans relief particulier.

À cette exégèse qui correspond bien aux traits de l’exégèse littérale que nous avons déjà rencontrée – et que l’on pourrait qualifier d’horizontale, en ce qu’elle confronte la narration d’un événement ponctuel avec un propos d’ordre général sur la relation entre vision et action –, ne succède aucune exégèse allégorique, ou verticale, faisant passer des réalités sensibles, des phénomènes, aux réalités intelligibles, comme c’est le cas le plus souvent dans les solutiones qui font se succéder exégèse littérale et exégèse allégorique. En effet, le dernier temps de cette solutio est consacré non pas à un nouvel examen, sur un registre différent, des termes du lemme, mais à l’exégèse du troisième membre de phrase, « et (les) adora sur la terre ». Néanmoins, il y est bien question de mettre en relation ce lemme avec une réalité d’ordre intelligible. En effet, Philon explique que l’action d’adorer ne peut concerner des « mortels », mais seulement « Dieu, qui est au-dessus du ciel et de la terre et de tout le monde », autrement dit qui n’appartient pas au monde sensible, mais le transcende.

Cette lecture n’est pas sans poser problème, si l’on considère les emplois scripturaires du verbe « adorer », ou « se prosterner », à savoir προσκυνεῖν. Lot se prosterne pareillement devant ses deux visiteurs, qui ne sont pourtant pas Dieu en personne, mais des anges ou les puissances de Dieu, selon l’interprétation de Philon (Gn 19, 1). Plus difficile encore, Abraham lui-même se prosterne devant les fils de Khet : ἀναστὰς δὲ Αβρααμ προσεκύνησεν τῷ λαῷ τῆς γῆς, τοῖς υἱοῖς Χετ : « Abraham se leva, se prosterna devant le peuple de cette terre, les fils de Khet » (Gn 23, 7). Les mentions de prosternation d’une ou plusieurs personnes devant une autre sont fréquentes dans la fin du livre de la Genèse : dans la bénédiction d’Isaac sur Jacob (Gn 27, 29) ; lorsque Jacob, puis ses servantes et leurs enfants, puis ses deux épouses et leurs enfants, se prosternent devant Ésaü (Gn 33, 3.6.7) ; dans les songes de Joseph (Gn 37, 7.9), qui trouvent ensuite une réalisation (Gn 42, 6 ; 43, 26.28) ; lorsque les fils de Joseph se prosternent devant Jacob (Gn 48, 12) et enfin dans la bénédiction de Jacob sur Juda (Gn 49, 7).

Philon néanmoins se montre constant dans son œuvre pour refuser d’employer ce terme à l’endroit d’une personne. Les passages existants des Quaestiones in Genesim qui illustrent les versets que nous avons cités, ou bien gomment le terme (QG VI, 217 sur Gn 27, 29) ou bien lui donnent une acception particulière : Lot « adore sur la face », ce qui est le signe de son imperfection (QG IV, 32 sur Gn 19, 1), tandis que la bénédiction adressée à Jacob est prise dans un contexte allégorique de soumission à la raison (QG VI, 216-217). Dans le De Iosepho, le terme est pareillement effacé, ou bien justifié dans un cas par la mention « selon une coutume ancienne » (ἔθειπαλαιῷ ; Ios., 164, sur Gn 42, 6), qui attribue ainsi le fait de se prosterner à un usage égyptien qui n’a pas à être assumé comme un exemple. Dans le reste de l’œuvre de Philon, le terme n’est appliqué à des personnes que de façon négative 354, ou bien il relève de façon générale d’un discours de type religieux sur toutes les formes d’idolâtrie 355, sur le vrai culte rendu à Dieu 356 ou encore il est appliqué à des réalités qui tirent de Dieu leur supériorité (l’homme sur l’animal : Opif., 83 ; le Jeûne de la fête de l’Expiation, Mos. II, 23 ; les deux sœurs que sont les versions en hébreu et en grec de la Loi : Mos. II, 40 ; Auguste devant le Temple : Legat., 310). Il n’y a que trois exceptions : deux concernent la coutume d’embrasser le sol natal (Abr., 65 ; Spec. IV, 17) et relèvent donc d’un registre différent, tandis que la troisième concerne précisément la prosternation d’Abraham devant les fils de Khet : elle est nécessaire, justifie Philon, pour amadouer des êtres violents (Somn. II, 89-90). Cela ne doit donc pas remettre en cause la valeur propre de l’adoration, de la prosternation, qui est réservée à Dieu seul.

La réorientation du sens de l’acte de se prosterner vers une perspective religieuse est confirmée par l’usage du substantif προσκύνησις dans la Legatio ad Caium, où sa seule occurrence est accompagnée d’un commentaire très critique : ἔνιοι δὲ καὶ τὸ βαρβαρικὸν ἔθος εἰς Ἰταλίαν ἤγαγον τὴν προσκύνησιν (« certains ont également introduit en Italie une coutume barbare, la prosternation » ; Legat., 116). De fait Philon se garde bien d’employer le mot lorsqu’il décrit la salutation adressée par sa délégation à l’empereur Caligula : ἅμα τῷ θεάσασθαι μετʼ αἰδοῦς καὶ εὐλαβείας τῆς ἁπάσης νεύοντες εἰς τοὔδαφος ἐδεξιούμεθα (« en même temps que nous regardions avec respect et en toute révérence, nous tendions la main vers lui en inclinant la tête vers le sol » ; Legat., 352). L’attitude est bien celle d’une prosternation, mais Philon refuse d’en parler en ces termes, sauvant ainsi, sinon la réalité même de l’acte, son intention et sa signification profonde.

Si Philon s’appuie de façon précise sur l’Écriture et sur son vocabulaire, cela ne l’empêche donc pas de la lire en employant des critères qui en modifient le sens, lorsque des réalités qui ont une portée religieuse concrète et immédiate sont en cause : la prosternation doit être réservée dans le judaïsme à Dieu et aux réalités divines 357, donc il est légitime de façon rétrospective de considérer qu’un acte de prosternation d’Abraham (sauf circonstances contraignantes) est un acte de piété envers Dieu. Ce n’est pas ici la lettre du texte qui éclaire directement l’exégèse, mais la recherche d’un usage précis et cohérent du vocabulaire, pour parler de Dieu et des actes de piété envers lui, qui éclaire le sens qu’il faut donner à la lettre du texte. En ce sens, cette lecture du lemme biblique s’inscrit donc bien, elle aussi, dans une exégèse de type horizontal, confrontant un cas particulier, tiré de l’Écriture, et une réflexion terminologique sur la manière adéquate d’exprimer le culte rendu à Dieu, dans le contexte qui est celui de Philon. Abraham n’est exemplaire, et le texte ne joue son rôle d’autorité, qu’à condition que l’on puisse faire d’Abraham un croyant selon les termes philoniens, quitte à s’écarter des usages scripturaires. L’exégèse implique une relation d’éclairage réciproque : la réalité présente donne un contexte au texte, qui livre en retour un exemple normatif.

Cette lecture rétrospective permet à Philon d’insérer l’exégèse de ce lemme biblique, entièrement littérale, dans le cadre de son exégèse d’ensemble de l’épisode : Dieu se manifeste à Abraham d’une façon que le texte révèle dans sa lettre. Il n’est pas besoin pour le comprendre de chercher à déchiffrer un sens autre, caché : il faut seulement pouvoir comprendre que l’action d’Abraham est nécessairement un acte de piété.

Les deux temps de la solutio consacrée à ce lemme biblique sont donc tous deux caractérisés par une lecture littérale qui replace les actions d’Abraham dans la réalité des destinataires de l’exégèse, à la fois morale et philosophique, pour la première partie, et religieuse, pour la seconde. Cela rend possible l’expression d’une véritable exemplarité d’Abraham à l’égard de ceux à qui Philon s’adresse éventuellement, ou tout au moins d’une exemplarité selon les repères de sa propre pensée. Les actions du patriarche, en elles-mêmes, peuvent servir de modèle moral mais aussi plus spécifiquement de modèle de piété, confirmant ainsi la perspective centrale de l’exégèse de Philon dans cet ensemble de quaestiones : le texte porte clairement, en sa lettre, des indications selon lesquelles Dieu se manifeste à Abraham. Il suffit d’observer les actions concrètes de celui-ci pour le comprendre. Cette quaestio, malgré sa brièveté, met donc en évidence de façon significative les principes de l’exégèse littérale que Philon emploie dans les Quaestiones comme dans un traité tel que le De Abrahamo, et l’importance que celle-ci occupe en particulier dans l’interprétation de la vision reçue par Abraham au chêne de Mambré.

Il n’en reste pas moins que cette quaestio pose des problèmes quant à son insertion dans l’exégèse d’ensemble du passage, dans la mesure où Philon ne fait pas mention des trois visiteurs et de l’amour des hommes qu’Abraham a manifesté à leur égard, alors que ce lemme a préalablement été classé, dans la deuxième quaestio, comme un élément manifestant que l’une des deux visions était bien celle d’êtres sensibles. C’est en réalité la quaestio suivante, qui forme avec celle-ci, à certains égards, un diptyque, qui permet de rendre compte de ce problème, et du même fait de préciser la nature de l’exégèse développée ici par Philon.

Notes
348.

Aucher : « monet instruens » ; Marcus : « gives a warning », « teaches ».

349.

Aucher : « opus invituperabile ac gratum » ; Marcus : « an act that is irreproachable and pleasing ».

350.

Aucher : « condigna » ; Marcus : « something worthy ».

351.

Traduction de D. Babut (CUF).

352.

Aucher : « inconsulto sine praevia consideratione visioneque » ; Marcus : « without reflexion », « without first thinking and looking ».

353.

Migr., 25 ; Her., 255.

354.

Somn. II, 132.133.140, à propos d’un gouverneur romain plein d’orgueil.

355.

Confus., 49 ; Mos. I, 276 ; II, 165 ; Decal., 4.64.72.76 ; Spec., I, 24 ; Contempl., 9.

356.

Gig., 54 ; Congr., 103 ; Somn. II, 99 ; Spec. II, 199 ; QG V, 130.

357.

Chez Flavius Josèphe (AJ XII, 114), le terme est employé pour décrire la prosternation respectueuse de Ptolémée devant la traduction des Septante, comme c’est le cas aussi chez Philon (Mos. II, 40).