Quaestio 8

« Pourquoi tous se hâtent-ils ? En effet, (l’Écriture) dit : “Abraham se hâta vers la tente auprès de Sarah et il lui dit : Hâte-toi et pétris trois mesures de fleur de farine et fais un pain cuit sous la cendre ; Et il courut au gros troupeau, et prit un veau tendre et le donna au domestique et il se précipita pour l’apprêter.” (Gn 18, 6-7) »

L’ampleur considérable de cette quaestio, qui est l’une des trois plus longues parmi l’ensemble des quaestiones consacrées à l’épisode de la théophanie de Mambré, laisse augurer de son importance. De fait, Philon y reprend de façon détaillée la question des deux visions, sensible et intelligible, et consacre à la manifestation de Dieu et de ses puissances de nouveaux approfondissements.

Le plan lui-même de la solutio tranche sur l’ensemble des autres quaestiones. Philon commence par répondre clairement à la question initiale qu’il pose en introduisant le lemme, à travers une exégèse d’ensemble de la scène qui a comme particularité de présenter Abraham, Sarah et le serviteur comme des figures respectivement de l’intellect, de la vertu et de la parole. Philon s’attache ensuite beaucoup plus longuement à rendre compte d’un premier détail, les « trois mesures », qui lui permet de reprendre la question de Dieu et de ses puissances, avant de compléter ce développement par une interprétation du « pain cuit sous la cendre », qui constitue une forme de commentaire réflexif sur l’exégèse des trois mesures. Il conclut enfin par une description d’ensemble du repas d’hospitalité offert par Abraham, qui ne paraît reprendre à première vue aucun élément scripturaire.

La complexité formelle de cette solutio est redoublée par une complexité exégétique. L’interprétation conjointe des trois personnages comme trois figures représentant des instances de la vie de l’âme entre en tension avec les actions concrètes que Philon continue de leur imputer, semblant engager un discours proprement allégorique tout en continuant à décrire des actions sensibles. Nous verrons que la difficulté se résout si l’on fait de Sarah et du serviteur des figures véritablement subordonnées à Abraham, qui reste le centre du récit et le seul véritable point d’articulation entre le registre sensible et le registre intelligible, conformément aux solutiones précédentes. Cela permet également d’éclairer le statut du long développement sur les mesures, ainsi que de l’appendice que constitue l’interprétation du pain sous la cendre, comme deux illustrations de la vertu de piété d’Abraham. Enfin, le dernier développement peut apparaître comme une amplification de l’action prêtée dans le texte au serviteur, là encore imputée à Abraham, alors que le serviteur est pour sa part totalement absent de ce dernier développement.

Nous verrons donc comment, malgré son ampleur et certaines tensions, cette exégèse, si longue et complexe qu’elle puisse paraître, s’inscrit de façon claire dans la suite de la démarche commencée dans les quaestiones précédentes, à savoir l’illustration de la manière dont Abraham répond aux deux visions qui se présentent à lui, avec toutefois un penchant dans cette quaestio pour la question de la piété d’Abraham, enjeu essentiel qui explique les déséquilibres du développement, et la différence avec ceux qui précèdent.

Nous procèderons selon l’ordre de la solutio en distinguant quatre temps : l’illustration générale du lemme et de son sens ; l’exégèse des « trois mesures » ; l’interprétation du « pain cuit sous la cendre » ; et la description finale du festin.