A. Les visiteurs, Abraham, Sarah et le serviteur

Cette première section de la solutio s’attache à présenter une interprétation d’ensemble du lemme, en répondant d’emblée de façon claire à la question que Philon pose dans le lemme : « pourquoi tous se hâtent-ils ? » L’exégèse illustre les deux lectures possibles du texte selon les deux visions qui apparaissent à Abraham, mais la symétrie entre les deux visions connaît une perturbation dès la première phrase qui évoque l’hospitalité et la piété d’Abraham. De plus, si Abraham, conformément à l’exégèse de la sixième quaestio, et à la clé de compréhension de l’ensemble de l’épisode, est présenté comme une figure de l’intellect, cette transposition s’accompagne également de celle de Sarah, figure de la vertu, et du serviteur, figure de la parole. L’ajout de ces deux figures provoque une tension dans l’exégèse, car elles ne semblent pas permettre de rendre compte à la fois de la dimension sensible et de la dimension intelligible du récit comme le passage d’Abraham à l’intellect l’a permis dans les quaestiones précédentes, en particulier la quatrième et la sixième. Or, le déplacement apparent vers une exégèse allégorique au sens plein du terme, remplaçant l’ensemble du sens littéral (les trois personnages) par un sens allégorique qui décrit des réalités intelligibles, paraît être contredit par l’attachement de Philon au caractère concret des actions accomplies par ces instances. S’il est possible avec la figure d’Abraham et la focalisation sur son intellect, de tenir en même temps les réalités sensibles et les réalités intelligibles, cela n’est pas possible au même degré pour Sarah et le serviteur. Nous verrons en définitive qu’il est nécessaire de maintenir une focalisation exclusive sur la figure d’Abraham et sur l’exposition de sa piété, afin de rendre compte à la fois de la cohérence de ce premier développement, et d’expliquer la manière dont il se rattache aux développements qui suivent.

‘C’est là l’éloge de l’homme vertueux selon l’une et l’autre apparition. En effet, s’il a vu des étrangers en la personne des hommes qui étaient venus à lui, il est admirable pour son amour des hommes et son hospitalité ; et s’(il a estimé) que c’était la venue de Dieu arrivant avec ses premières puissances, il est heureux. Donc, selon ce qui (a été fait) pour les puissances de Dieu, il ne faut plus y voir des hommes qui pratiquent l’hospitalité, mais des êtres incorporels. Quant aux figures de l’homme et de la femme, il faut les considérer l’une comme (la figure) de la pensée très pure, qui sera appelé Abraham, et l’autre, comme la perfection de la vertu, qui donnera son nom à Sarah ; quant au fait de proférer la parole, c’est ce qui a été appelé serviteur. Et l’intellect et la vertu se hâtent sans retard ni temporisation, se pressant pour plaire à Dieu et le servir ainsi que les puissances < quant à la parole, elle est en vue d’une aide pour diriger ce qui doit se faire en faveur de ceux qui effectuent un travail et l’achèvent> 408. Et l’intellect, à la façon d’un préposé, dirigera et prêtera la main pour faire ce qu’il faut faire et il se pressera ; quant à la vertu, elle fera preuve d’une rapidité diligente pour achever les trois mesures et les pains cuits sous la cendre ; quant à la parole, elle offrira les victimes désignées.’

Notes
408.

Nous insérons ici, entre crochets, une phrase qui se situait originellement, dans les trois traductions modernes et donc déjà dans le texte arménien, au milieu du passage sur les trois mesures. Nous nous expliquerons dans notre commentaire sur les raisons qui nous paraissent rendre ce déplacement nécessaire.