4) Conclusion

L’exégèse des trois mesures apparaît comme l’un des véritables pôles de la séquence de quaestiones qui portent sur l’épisode de l’apparition de Dieu au chêne de Mambré. Après une série de quaestiones plus courtes, centrées sur des problèmes précis, Philon livre de nouveau un développement étendu dans lequel se manifestent les enjeux principaux de sa démarche. La piété d’Abraham est présentée à travers l’action de Sarah, c’est-à-dire de la vertu, qui prend « trois mesures ». Destinées à être offertes aux voyageurs, elles témoignent de l’hospitalité d’Abraham. Mais destinées à Dieu et à ses puissances, les trois mesures indiquent qu’Abraham a reconnu que Dieu et les puissances étaient les trois mesures de l’univers tout entier.

En revenant à une présentation détaillée des puissances, Philon parvient ainsi une nouvelle fois à montrer comment les deux visions, celles des hommes et celle de Dieu, se superposent, et comment les éléments du texte scripturaire peuvent rendre compte des deux registres de réalité de façon conjointe. Ce passage confirme le caractère relatif de la distinction entre les versets qui parlent d’une personne et ceux qui parlent de trois comme critère d’identification de la vision en cause : Philon, grâce à la mobilisation des deux puissances de Dieu, parvient à superposer vision simple et vision triple pour parler de Dieu même lorsque le texte fait référence à une triple vision. La deuxième condition pour que cette exégèse mobilisant les puissances puisse être mise en place, c’est l’hésitation d’Abraham : c’est pour cela que Philon insiste longuement, avec les deux exemples finaux, sur les limites de la vision humaine, sur sa faiblesse, y compris en faisant allusion à Moïse qui constitue l’argument d’autorité le plus élevé qu’il puisse invoquer.

L’importance de la théorie des puissances ne doit pas être sous-estimée : Philon lui-même y insiste en livrant une exégèse des « pains cuits sous la cendre » qui en éclaire le statut essentiel.