1. L’analyse préliminaire du départ (Migr., 1-12)

Le premier temps du traité constitue l’exégèse proprement dite du premier verset sur les trois que Philon a retenu pour faire l’exégèse du départ d’Abraham. Dans ces douze premiers paragraphes, Philon procède de façon concentrique : il commence par exposer le lemme qu’il va commenter (§ 1), en donne une première paraphrase très courte qui situe l’orientation générale de son exégèse (§ 2), puis développe cette interprétation initiale une première fois, en deux temps, en interprétant les trois réalités qu’Abraham est invité à quitter (§ 3-6) et le sens de ce départ (§ 7-8), avant de récapituler une nouvelle fois sur un nouveau plan le sens de son interprétation (§ 9-12).

Plusieurs degrés apparaissent donc dans l’interprétation, par lesquels Philon analyse, approfondit et ressaisit son exégèse d’une façon complexe. Nous verrons que l’exégèse littérale disparaît complètement, au contraire de la démarche qu’il suit dans les deux précédents types de traités que nous avons présentés : sans même parler du dernier développement, plus étendu encore, qui suit celui-ci et présente la migration d’Abraham en lien avec d’autres figures bibliques, Philon livre déjà une exégèse du verset très particulière. L’illustration de l’activité de l’intellect y tient une place essentielle, et Philon y associe voire y entremêle étroitement aussi bien un vocabulaire scripturaire qu’un vocabulaire philosophique. Dans un développement exclusivement allégorique, Philon se livre à une explication du verset où le travail sur le vocabulaire et les glissements entre registres occupe une place essentielle, à commencer par l’utilisation du terme de μετανάστασις (« migration ») qui structure l’exposé non seulement du point de vue de son sens, mais encore en motivant l’utilisation d’un certain nombre de mots qui lui font écho.

Dans une certaine mesure, alors que la matière propre de l’exégèse du De Abrahamo est l’exposé littéral, la référence à des réalités concrètes à partir desquelles s’édifie l’exposé allégorique, il est possible d’affirmer que Philon accentue ici un procédé que nous avons pu identifier dans les Quaestiones : la matière sur laquelle Philon travaille n’est plus une référence aux réalités sensibles, mais d’une part une vision strictement intellectuelle, et d’autre part le langage avec tous les jeux qu’il permet sur la forme et sur le sens des mots, et non sur les réalités auxquelles ils font référence au premier chef.