Conclusion : une démarche allégorique ?

Le premier volet de l’exégèse de Philon sur le départ d’Abraham présente une exégèse qui dépasse l’opposition entre sens littéral, lequel expose le sens d’un ensemble de faits et de paroles, et sens allégorique, lequel donnerait à voir un sens philosophique plus profond. D’emblée, Philon commence son traité en laissant de côté tout sens littéral : ce que l’on peut sans difficulté qualifier de lecture allégorique (le terme de σύμβολον, qui en constitue un marqueur, comme le contenu proprement dit de l’exégèse, en sont caractéristiques) constitue l’ouverture même du développement et reçoit un premier éclairage systématique, autour de chacun des trois éléments qu’il faut quitter. Cette première étape (§ 2-6) est proprement allégorique : à chaque terme scripturaire correspond une réalité intelligible, et Philon développe chacune des trois transpositions qu’il opère à partir ces éléments. Ce faisant, nous avons relevé la cohérence de l’interprétation proposée par Philon : l’allégorie révèle une analogie entre les affaires humaines, la vie de l’âme et l’action divine sur la création. L’exégèse allégorique trouve ainsi son fondement non pas dans une transposition arbitraire d’une réalité à une autre, mais bien dans le dévoilement d’un ordre inhérent à l’ensemble de la création dont Dieu est l’auteur et le pilote. Enfin, l’allégorie permet à Philon de montrer comment l’Écriture est la source ou la garante de ces interprétations en rapprochant différents passages scripturaires. Le premier temps du développement est donc caractérisé par la transposition de termes scripturaires banals dans un registre philosophique et dans un registre scripturaire qui se répondent, grâce à un travail poussé sur le vocabulaire et les images.

L’exégèse de la notion proprement dite de départ (§ 7-8) est menée d’une façon plus complexe. Philon commence par s’appuyer sur le développement précédent : ce n’est que parce que les trois éléments à quitter ont été clairement identifiés que l’on peut élucider la nature du départ qui est exigé. Il y a de ce point de vue une continuité et une cohérence dans l’allégorie. Il y a aussi une démarche allégorique caractérisée, dans la mesure où une réalité physique (le départ d’Abraham) est transposée dans la vie de l’âme. Mais la transposition n’est pas univoque et claire comme elle pouvait l’être dans le premier temps du développement : Philon opère par une suite d’équivalences (ἴσον ; § 7) qui font glisser progressivement le sens, jusqu’à donner au lemme scripturaire une nouvelle signification, qui est la lettre d’un autre passage de l’Écriture, la prescription faite par Moïse d’être attentif à soi-même. Il n’y a pas de transposition directe de l’expression spécifiquement commentée par Philon, ἄπελθε, dans un registre intelligible : en effet, la valeur du verbe n’a pas besoin d’être transposée d’un registre à l’autre. Le mouvement physique qu’il décrit peut aussi rendre compte d’un mouvement dans l’âme. Ce que le passage vise à préciser, c’est la manière dont il faut comprendre ce mouvement. Le verbe possède donc en quelque sorte une fonction de pivot, autour duquel s’opère la transposition allégorique des trois réalités qui doivent être quittées, mais qui ne l’affecte pas directement. Le travail qui le concerne est une élucidation progressive, par glissements, de son sens exact.

Ces glissements sont opérés par Philon au moyen d’un jeu sur la notion de migration, avec l’introduction d’un nouveau synonyme, le verbe ἀλλοτριῶ, ainsi que par un jeu sur les éléments qui composent le terme même de μετανάστασις : le support de l’exégèse n’est donc plus seulement le sens premier d’un mot, transposé de façon figurée dans le registre des réalités intelligibles, mais il est aussi la matière même d’un mot choisi par Philon pour rendre compte du sens du verset. Il y a dans l’analyse un degré d’éloignement supplémentaire par rapport au texte : Philon s’appuie sur une première étape qu’il a lui-même introduite, et non pas directement sur le vocabulaire scripturaire. En complément de ces glissements apparaît un autre procédé qui reviendra encore dans les trois développements de l’étape suivante, à savoir l’apparition d’une distinction entre départ positif et départ négatif : Philon introduit un élément de variation supplémentaire qui permet d’approfondir encore la notion de départ, de façon systématique, en la faisant jouer sur différents registres et en opérant des distinctions à l’intérieur de celle-ci. Partir n’est pas une fin en soi : il faut comprendre de quoi il est nécessaire de partir, et de quoi il convient de ne pas s’éloigner. Enfin, le rapprochement des deux versets opérés par ces divers moyens permet de mettre en évidence un sens proprement philosophique, dans une perspective apparemment polémique contre un dualisme platonicien trop strict.

Si l’on entend par exégèse allégorique les types de développements que nous avons rencontrés dans les deux précédents genres de traité, à savoir la transposition du contenu concret d’un lemme scripturaire ou du sens propre des mots qui y sont employés pour mettre en évidence un contenu intelligible, il apparaît que le travail de Philon est ici plus complexe. L’allégorie correspond de façon précise à la première étape, tandis que la deuxième, l’exégèse de l’action du départ, prend appui sur cette première interprétation allégorique pour se livrer à un travail différent, mais dont le but est sensiblement identique : préciser le sens dans lequel doit être pris le départ, afin de proposer une lecture philosophique dont l’expression est en même temps scripturaire.

Le souci d’associer développement philosophique et vocabulaire scripturaire est un trait fondamental de la troisième étape, qui consiste à récapituler l’un après l’autre chacun des départs qu’il faut effectuer. Philon semble chercher à faire résonner le lemme scripturaire en commençant chacun des trois paragraphes par une paraphrase de celui-ci, distribuée en trois temps successifs pour faire voir la spécificité du départ respectif loin de chacun des trois éléments que sont le corps, la sensation, et le verbe exprimé. Ces reformulations le conduisent, en plus d’adopter un ton de diatribe fondé sur la sècheresse de l’impératif scripturaire et justifié par l’enjeu fondamental qu’est le salut de l’âme, à trois développements où la réflexion proprement philosophique est nourrie par la lecture de l’Écriture dans la perspective de l’Exode de l’ensemble du peuple hébreu.

La reprise du lemme au début de chacun des trois développements peut laisser penser que Philon prolonge sa démarche allégorique. En réalité, les nouvelles images qui sont introduites (la prison, les geôliers, le prêt) ne constituent pas des transpositions, dans un registre intelligible, de réalités d’abord présentées de façon concrète, mais au contraire ramènent à des images concrètes des réalités intelligibles : le corps, les désirs et les plaisirs, ou encore les sensations, sont présentés à travers des images introduites par Philon pour illustrer de façon plus efficace leur rapport avec l’intellect. Du point de vue de la technique allégorique telle que nous l’avons rencontrée jusqu’à présent, le processus peut paraître en quelque sorte inversé : alors que les réalités intelligibles ont déjà été mises en place, Philon revient à des images concrètes. En réalité, il s’agit d’une amplification de l’allégorie de départ, mais qui se fonde sur des éléments entièrement extérieurs au lemme. Le corps ou les sensations, qui permettaient de rendre compte du sens de la terre ou de la parenté, sont à leur tour investis d’une nouvelle valeur qui complète la première, grâce à des appuis sur d’autres passages scripturaires. S’il y a allégorie dans le cas du deuxième départ, c’est par rapport aux prescriptions du livre du Deutéronome sur les prêts et les nations étrangères. Il y a donc bien encore une démarche allégorique, mais celle-ci excède la simple question de la transposition d’un lemme ou d’un épisode : Philon développe un travail autour d’une notion, le départ, en faisant converger plusieurs passages. L’occasion de départ est donnée par le lemme scripturaire, mais le propos finalement tenu le dépasse.

La démarche allégorique, en définitive, est intégrée dans un discours où le trait dominant est l’entrelacement du discours philosophique et des références scripturaires à l’Exode ; elle disparaît même du troisième temps, sur le verbe, où les seuls termes qui pourraient avoir une valeur figurée sont ceux qui expriment le départ (μετανάστηθι ; διοικιζόμενον), sans que cela en fasse à proprement parler une allégorie, ou à tout le moins une allégorie nouvelle. Ces emplois figurés se substituent au vocabulaire du lemme biblique, alors que Philon était plus fidèle à ce dernier dans les deux premiers temps, et se chargent des acquis des développements allégoriques antérieurs sans impliquer un véritable travail de transposition allégorique, qui marquerait le passage d’un registre vers un autre.

La référence au vocabulaire de l’idolâtrie ne semble pas non plus pouvoir être qualifiée de démarche allégorique : Philon en extrait plutôt la dimension philosophique afin de nourrir son explication, sans pour autant lui attribuer un sens nouveau dans un registre différent. Sans doute cela est-il permis par le fait que ce vocabulaire touche déjà, dans l’Écriture, à la question de la représentation des réalités visibles et invisibles, et n’a donc pas besoin d’être transposé pour rendre compte des réalités intelligibles. Il faut encore ajouter que la réflexion sur le langage échappe au dualisme entre le monde sensible et le monde intelligible, pour se situer à un autre niveau, dans le problème de la relation des mots à la fois à l’un et l’autre monde. Le point de départ est bien celui de l’intellect, tel que l’a fait apparaître la compréhension allégorique des termes du lemme, mais le contenu du paragraphe en lui-même ne fait pas intervenir d’élément allégorique nouveau, tout en prolongeant néanmoins la réflexion de façon poussée.

De façon générale, sur l’ensemble de la première partie du développement, il est significatif de constater – et nous verrons que la suite du traité continue d’en attester – que Philon donne à l’impératif scripturaire un nombre important de synonymes ou d’équivalents, sous la forme de verbes comme de noms : ἀφορμή, μετανάστασις (§ 2), διαζεύγνυμι (§ 7, 11 et 12), ἀλλοτριῶ (§ 7 et 11), ἐκφύγω (§ 9), μετανίσταμαι (§ 12), διοικίζομαι (§12). L’approfondissement de la compréhension du verset ne passe pas par le simple changement de registre, de niveau, pour montrer que derrière un premier sens se dissimule un second qui lui correspond terme à terme, mais porte sur des réalités intelligibles, et non plus sensibles. Philon au contraire multiplie les variations, joue sur les synonymes, les glissements. Le point focal autour duquel s’organise le propos n’est pas l’articulation entre deux registres similaires, l’un concernant les réalités sensibles, l’autre les réalités intelligibles, mais une notion, le départ en vue d’une migration, qui porte d’emblée sur les réalités intelligibles, et que Philon s’efforce de déployer selon différents aspects, pour tisser autour d’elle un contenu à la fois philosophique et scripturaire qui en montre la fécondité, et illustre la richesse de la sagesse scripturaire.

Ainsi, à la différence d’un traité comme le De Abrahamo, où Philon tente de présenter une vision synthétique de l’ensemble d’un épisode, de façon littérale et de façon allégorique, mais aussi à la différence des Quaestiones, où Philon reste guidé par un souci de proximité avec chacun des versets, commentés tour à tour, l’exégèse qu’il livre ici tend à mettre en évidence non pas tant le sens du verset que la notion que celui-ci illustre, mais ne circonscrit pas. Le choix de commenter des lemmes très courts peut être l’un des éléments qui suscitent cette démarche, en conduisant à des analyses très poussées de mots isolés, plutôt que de nécessiter de rendre compte d’une succession de faits ou de paroles, qui engageraient plus naturellement un exposé littéral. Toutefois, l’exégèse des Quaestiones peut également porter sur des lemmes courts, et s’attacher de façon particulière à un mot ou à un groupe de mots, comme nous l’avons vu. La différence tient donc à un questionnement différent : il s’agit pour Philon de faire ressortir dans le lemme qu’il commente une notion, dont il est entendu que l’illustration ne se limite pas à un commentaire systématique des mots du texte scripturaire, mais doit être éclairée de façon bien plus large par le recours à la fois à l’ensemble de Loi et à la philosophie. Philon cherche à présenter une réflexion complète sur une notion à l’occasion de l’exégèse d’un lemme précis. L’exégèse est ainsi orientée par le travail sur cette notion : les paragraphes que nous venons de présenter ne sont du reste que le premier temps du commentaire, celui de sa mise en place, avant un autre temps où elle est déployée sur un plan nouveau – sans parler du fait que c’est tout le traité qui paraît ici être concerné par la notion de migration, puisqu’elle lui a laissé son nom, quoique avec l’usage d’un autre terme : Περὶἀποικίας (« Sur l’émigration »). Ce dernier terme ne figure du reste qu’une seule fois dans le traité (§ 176) : c’est le signe, si le titre est de Philon, que la notion de départ n’est pas enfermée dans une terminologie étroite, mais déployée largement dans une diversité de mots qui en manifestent les différents aspects.

Philon paraît chercher à illustrer une forme de sagesse scripturaire. La première dimension est une vision fondée sur l’Écriture et sur les modalités de l’Exode : Philon considère la Loi comme un tout cohérent, et interprète le départ d’Abraham en recourant à une réflexion à partir des prescriptions adressées au peuple hébreu. Il suggère ainsi une analogie profonde entre le cas particulier d’Abraham et le parcours du peuple dans son entier. De fait, Abraham, souligne-t-il dans le De Abrahamo, est une des « lois vivantes et rationnelles » (ἔμψυχοικαὶλογικοὶνόμοι ; Abr., 5). Or les cinq livres de la Loi eux-mêmes sont donnés par Dieu à Moïse dans le cadre de l’Exode, au cours d’un parcours dont la fin, la vie sur la Terre promise, est annoncée et d’avance réglée par des prescriptions, sans avoir encore été elle-même donnée. Le caractère normatif du départ d’Abraham n’est donc qu’un cas particulier, et anticipé, de l’Exode vécu par le peuple hébreu dans son ensemble, et qui fait figure d’expérience fondamentale. Dans les deux cas, la fin annoncée est de pouvoir « retirer les fruits, à jamais, de biens particuliers » (οἰκείωνἀγαθῶνεἰςἀεὶκαρπούμενος ; § 11), expression qui marque bien l’analogie entre la situation d’Abraham et la promesse faite au peuple hébreu de recevoir une terre dont ils pourront recueillir le fruit.

La démarche philosophique quant à elle se manifeste tout d’abord par le souci de présenter l’ensemble de la réalité d’une façon cohérente. Cela passe par la mise en lumière de sa double dimension, sensible comme intelligible, mais aussi de la relation analogique qui s’applique à tout l’univers, de haut en bas, entre ses différents niveaux. Elle se manifeste encore dans la recherche d’un vocabulaire qui permet à Philon d’intégrer des problématiques philosophiques dans le cadre de son exégèse, et de polémiquer avec certaines positions. Rappelons le cas du verbe διαζεύγνυμι pour exprimer la notion de séparation, dont nous avons signalé l’origine platonicienne. Philon l’emploie une première fois pour mettre en garde contre un dualisme excessif impliquant la recherche de la séparation totale de l’âme et du corps (§ 7). Par la suite, il apparaît que le terme continue à garder cette valeur négative et peut-être polémique, de sorte qu’il n’est employé que pour décrire des séparations qu’il faut se garder d’accomplir (§ 11 et 12).

Les deux perspectives, scripturaire et philosophique, se croisent pour donner à la vie de l’intellect une expression plus riche et plus précise. Tout se joue dans le déploiement d’un langage qui trouve son fondement dans la parole divine révélée à Moïse, sous la forme de récits et de prescriptions, et qui permet dans le même temps de rendre compte des exigences de la vie de l’intellect. Tout comme David Runia propose de comprendre la pensée de Philon comme une ellipse organisée autour du double foyer du judaïsme et de l’hellénisme, le propos se rapprochant par moments de l’un sans jamais pour autant se détacher de l’autre 550, il paraît possible d’affirmer de façon plus spécifique que l’exégèse de Philon s’organise autour de deux foyers qui sont ses deux points d’ancrage dans la réalité, ses deux critères fondamentaux : d’une part, la Loi divine révélée dans l’Écriture, d’autre part, l’enquête philosophique et rationnelle sur le monde.

Ces deux pôles s’éclairent réciproquement : l’Écriture est confirmée par la philosophie qui en livre le sens rationnel, mais dans le même temps la philosophie se déploie dans le langage de l’Écriture qui lui donne une consistance et une expression plus approfondies. Les deux pôles ne peuvent être séparés sans rompre la trame de l’exégèse elle-même, qui consiste en un travail minutieux sur le langage pour les réunir. Le fait même qu’ils soient mis au service de l’exégèse d’un lemme biblique ne crée pas à proprement parler de déséquilibre entre eux, puisque le lemme lui-même est d’emblée reformulé et synthétisé autour de la notion de migration. La trame plus large du traité demeure toutefois celle d’une exégèse, et nous verrons que le développement de la notion de migration répond au souci de Philon de joindre les deux parties de l’ordre donné à Abraham, celle qui concerne le départ, et celle qui concerne la terre qu’il atteindra. Le recours à la philosophie permet d’éclairer l’Écriture, mais le discours philosophique n’est jamais déployé pour lui-même. Il constitue plutôt le moyen pour Philon de rendre compte de la cohérence doctrinale de l’Écriture en mettant en relation différents lemmes.

La conséquence décisive d’une focalisation sur le langage, celui du lemme, et plus généralement de l’Écriture et de la philosophie, et sur une notion, celle de μετανάστασις, est que la réalité de l’expérience d’Abraham devient une question en quelque sorte secondaire. La lettre du texte n’importe pas, au sens où il faudrait justifier le déroulement du récit comme Philon le fait dans le De Abrahamo de façon systématique, ou encore de façon très fréquente dans les Quaestiones, comme si le texte faisait référence à un épisode historique réel dont les modalités doivent être examinées : l’essentiel est que l’Écriture donne matière à une compréhension approfondie de la notion de départ, qui est à la fois une réalité scripturaire portée par l’évocation de l’Exode du peuple hébreu, et une exigence philosophique. Le critère d’interprétation de Philon n’est pas que le récit des épisodes de la vie d’Abraham soit historiquement exact, mais que d’une part il s’intègre dans une perspective scripturaire qui en fait une illustration de la volonté divine exprimée de façon générale dans la Loi, et que d’autre part il soit possible de lui conférer une signification philosophique. Le cas particulier d’Abraham dans ce traité est subordonné à la réalité plus fondamentale de l’Exode du peuple hébreu, étant acquis que celui-ci renvoie à la vie de l’intellect.

Dans cette perspective, l’allégorie est la clé par laquelle Philon opère une ouverture dans la lettre du texte pour déployer les ressources polysémiques du langage et relier entre elles des registres distincts. Elle ne caractérise pas en tant que telle la démarche de Philon, mais son point de départ et son outil le plus visible : elle ouvre la voie à un travail de tissage du langage de l’Écriture et du langage de la philosophie qui déploie une réflexion visant à éclaircir une notion donnée. Ce travail est rendu possible par l’allégorie, il peut s’appuyer encore sur de nouvelles interprétations allégoriques implicites ou indirectes, mais en tant que tel il ne paraît pas pouvoir être qualifié d’allégorique au sens que nous avons rencontré dans les deux autres types d’exégèse que nous avons présentés.

La relation initiale entre le texte scripturaire et l’exégèse de Philon, exprimée ici par le terme de σύμβολον, n’est pas une transposition du texte d’un registre littéral à un registre allégorique, d’un registre scripturaire à un développement philosophique, mais l’enclenchement d’un développement au sein duquel toute la Loi et toute la philosophie peuvent être convoquées et entrelacées. Il y a donc une relation non pas simple – le passage d’un registre à un autre – mais double : une première interprétation allégorique qui ne trouve sa signification plénière que dans un double déploiement scripturaire et philosophique à partir d’une première transposition.

Il ne saurait être question de remettre en cause la qualification de « commentaire allégorique » attribuée à ce traité, mais il est important de voir la complexité de la démarche exégétique que recouvre une telle appellation. L’allégorie occupe une place incontestable, et en même temps effacée derrière ce qui apparaît comme le véritable cœur de la démarche de Philon : la mise en relation, d’une façon toujours plus étroite, de la philosophie et de l’Écriture, de l’ordre du monde dévoilé par une enquête rationnelle et des commandements divins, de la façon la plus étroite et en même temps étendue possible. La démarche allégorique est une modalité importante de ce travail, mais elle ne saurait le qualifier entièrement dans sa complexité. C’est ce que l’étude de la suite du traité nous permettra de mettre encore en lumière avec l’introduction d’un élargissement supplémentaire du discours sur la notion de départ.

Notes
550.

D. T. Runia, « Was Philo a Middle Platonist ?… », art. cit., p. 130.