C. Isaac et Dieu (Migr., 31-33)

Les trois paragraphes qui viennent présentent le véritable terme de la migration, en illustrant les grâces déversées avec abondance par Dieu. Dans la trame de l’exégèse développée par Philon, ce dernier développement représente la suite du commentaire de l’expression « je serai avec toi » (ἔσομαι μετὰ σοῦ ; Gn 31, 3) : introduite à propos de Jacob, à qui elle est effectivement adressée, elle trouve une véritable concrétisation avec l’évocation d’Isaac. Le phénomène de tuilage entre Jacob et Isaac se manifeste donc ici par un déplacement de la valeur de la citation scripturaire d’un personnage à l’autre : c’est Isaac qui en endosse la réalisation.

Ce passage témoigne d’un propos une nouvelle fois très dense : Philon entrelace les références philosophiques et scripturaires de façon très serrée, pour montrer comment le terme de la migration représente un retour total à Dieu, qui laisse en arrière non seulement tout le monde sensible, mais encore tous les efforts de l’intellect lui-même, pour revenir en quelque sorte au dessein initial de Dieu pour sa création.

‘[31] Τί οὖν ἂν ἐπιλίποι καλὸν τοῦ τελεσφόρου παντὸς παρόντος θεοῦ μετὰ χαρίτων τῶν παρθένων αὐτοῦ θυγατέρων, ἃς ἀδιαφθόρους καὶἀμιάντους ὁ γεννήσας πατὴρ κουροτροφεῖ; Τότε μελέται μὲν καὶ πόνοι καὶἀσκήσεις ἡσυχάζουσιν, ἀναδίδοται δὲἄνευ τέχνης φύσεως προμηθείᾳ πάντα ἀθρόα πᾶσιν ὠφέλιμα. [32] Καλεῖται δʼ ἡ φορὰ τῶν αὐτοματιζομένων ἀγαθῶν ἄφεσις, ἐπειδήπερ ὁ νοῦς ἀφεῖται τῶν κατὰ τὰς ἰδίας ἐπιβολὰς ἐνεργειῶν καὶὥσπερ τῶν ἑκουσίων ἠλευθέρωται διὰ τὴν πληθὺν τῶν ὑομένων καὶἀδιαστάτως ἐπομβρούντων. [33] Ἔστι δὲ ταῦτα θαυμασιώτατα φύσει καὶ περικαλλέστατα. Ὧν μὲν γὰρ ἂν ὠδίνῃ διʼ ἑαυτῆς ἡ ψυχή, τὰ πολλὰἀμβλωθρίδια, ἠλιτόμηνα· ὅσα δὲἂν ἐπινίφων ὁ θεὸς ἄρδῃ, τέλεια καὶὁλόκληρα καὶ πάντων ἄριστα γεννᾶται.
[31] Quel bien peut-il manquer en présence de Dieu qui porte tout à la perfection, avec les grâces, ses filles vierges, que le Père a engendrées et élève, incorruptibles et pures ? Alors les soins, les peines et les exercices trouvent le repos, et sans art, par la providence de la nature, tout est donné ensemble pour le bénéfice de tous. [32] On appelle la production des biens spontanés “relâche”, puisque précisément l’intellect se trouve libéré des opérations qui se font selon ses propres intentions, et comme affranchi des opérations volontaires grâce à l’abondance des biens qui pleuvent et se déversent sans discontinuer. [33] Ils sont par nature particulièrement admirables et d’une beauté exceptionnelle. En effet, parmi les biens auxquels l’âme donne naissance par elle-même, la plupart sont avortés, prématurés ; mais tous ceux que Dieu fait tomber comme la neige, sont engendrés parfaits, complets, et les meilleurs de tous.’