4) Conclusion

La dimension narrative du récit scripturaire induit un jeu chez Philon entre l’évocation future d’une fin, de la fin véritable de la vie de l’intellect, et un retour au passé le plus fondamental, celui de la création selon le dessein de Dieu, avant la faute d’Adam et Ève, mais qui est aussi en même temps l’âge d’or présent dans la pensée grecque. La différence entre les deux repose sur la conception générale de l’histoire et du temps : l’âge d’or grec s’intègre chez Platon dans une vision cyclique de l’univers, sur le mode d’une répétition infinie de la succession des âges. La perspective philonienne est différente : il y a une seule origine, dans le dessein de Dieu, une seule histoire depuis la création, et une seule finalité, la vie contemplative. Le jeu entre l’avenir, la fin ultime, et le passé, le projet fondamental de Dieu, permet une lecture du présent, ou de chacune des situations qui caractérisent les différents épisodes et personnages bibliques mobilisés par Philon.

La multiplicité des figures converge vers une unique vision, comme le montreront les paragraphes 36 à 42, qui prolongent l’analyse du même lemme mais que nous avons choisi de ne pas commenter en détail, car ils n’apportent pas d’élément significatif au vu des enjeux que nous étudions et opèrent un changement de registre : ils fonctionnent par l’examen méthodique, sous ses trois dimensions possibles, de l’action de faire voir (cela ou celui qui est vu, celui qui voit, celui qui fait voir), avec des références scripturaires pour l’étayer, mais celles-ci n’ont qu’un rôle secondaire dans la mise en place de la logique de ce développement. Ces paragraphes apportent toutefois un éclairage intéressant à ce pan de l’exégèse de Philon, en récapitulant d’une façon resserrée la présentation de la fin de la migration : Philon y explique en effet que dans la vision qui est donnée (ἥν σοι δείξω ; Gn 12, 1), celui qui se fait voir, c’est l’Être (§ 36-37), celui qui voit, c’est le sage, conformément à l’étymologie d’Israël comme « voyant » généralement retenue par Philon (§ 38-40), et celui qui fait voir, c’est de nouveau Dieu (§ 40-42). L’exégèse se concentre donc en définitive sur un face-à-face entre Dieu et le sage, qui est représenté par Jacob-Israël, mais dans le but d’éclaircir la migration d’Abraham, et en ayant également convoqué en chemin Moïse et l’Exode, Joseph, ainsi que la figure d’Isaac comme exemple de la vie contemplative réalisée, de manière telle que les figures de Jacob et d’Isaac semblent avoir fusionné.

Le terme de la migration est donc illustré dans la section que nous avons étudiée par ce retour progressif vers l’arrière à partir de la présentation de l’Exode, de façon à rassembler les principales figures scripturaires que sont Moïse et les patriarches, et à un moindre degré Joseph. Toutefois, et c’est le dernier élément particulièrement significatif que nous voudrions relever dans ce traité, Philon intercale, entre l’évocation de la vie contemplative et la récapitulation finale sur la contemplation de Dieu, un développement particulièrement significatif sur une expérience personnelle.