1-2-5-1- Le bébé imaginé

Les travaux de M.Soulé (1983) et S.Lebovici (1994) sur le bébé imaginé ont mis en évidence quatre catégories de représentations : le bébé imaginaire, le bébé fantasmatique, le bébé mythique et le bébé narcissique, déjà évoqué par S.Freud en 1914 avec sa célèbre formule : « His majesty the baby ».

Le bébé imaginaire est porteur de l’histoire transgénérationnelle, faite d’éléments de l’histoire des parents mais aussi des grands-parents. Les parents transmettent à l’enfant des contenus conscients, préconscients ou inconscients, ils transmettent aussi des valeurs familiales, un système culturel. Pour M.Soulé (1983), le bébé imaginaire est le fruit du désir oedipien.

Pour S.Lebovici, le bébé imaginaire est celui des rêveries maternelles auxquelles se rattachent des représentations simples (sexe, corps, caractère, affects, valeurs). 

Notre recherche nous a permis d’accéder aux représentations simples de l’enfant imaginaire, comme en témoignent les propos de ces femmes enceintes :

‘« Ça change suivant le sexe. Je l’imagine pas très gros. Mon premier faisait 2,6 kg. Peu de cheveux et une tête toute ronde… »
« Alors déjà, vu qu’on sait pas le sexe, j’imagine souvent une fille…mais ça change. Au début je pensais une fille, après un garçon, là, plus une fille, ça évolue dans la grossesse ».’

Selon D.Cupa, L.Valdes, I.Abadie., M.Pineiro., A.Lazartigues., (1992), deux types de représentations se rattacheraient au bébé imaginaire : les représentations simples et les représentations d’interactions, c’est-à-dire les fantasmes concernant les rapports entre la mère et l’enfant, le père et l’enfant, l’enfant et son environnement etc… 

Le bébé fantasmatique serait le produit de désirs anciens. Il naît très tôt dans l’inconscient maternel, c’est le bébé des fantasmes inconscients. Ce sont les mêmes représentations qui sont mobilisées mais sur un registre inconscient.

Le bébé mythique fait appel à des représentations préconscientes ou inconscientes sur la filiation, le transgénérationnel. Les propos de madame B rencontrée au cours de notre recherche en témoignent :

‘« Une fille. Pour l’instant, je l’imagine pas. Je souhaite qu’elle ait pas mes cheveux…et puis l’histoire du bec de lièvre. Après plus tard, on est tous les deux costauds. Le régime m’angoisse un peu. Je veux pas qu’elle ait l’adolescence qu’on a eue. Pour plus tard, y’a deux-trois trucs que je veux pas qu’elle vive mais bébé, ça m’est égal. Mon mari, ça le traumatise pas ».’

Le bébé narcissique « est l’enfant supposé tout accomplir, tout réparer, tout combler ».

Lorsque le bébé naît, il est appréhendé par le filtre du bébé imaginé. Le bébé imaginé s’oppose et se superpose au bébé réel et constitue une double représentation chez la mère que D.Cupa et al. (Op.Cit., p.49) ont appelé le « bébé construit ». Les représentations parentales ne sont pas figées et lors de la rencontre du bébé imaginaire avec le bébé réel, ces représentations s’élaborent et se transforment.

Un intérêt particulier a été porté par M.Ammaniti, R.Tambelli, P.Perucchini, (2000) à cette évolution des représentations pendant la grossesse et après l’arrivée du bébé. Selon ces derniers auteurs, entre les quatrième et septième mois de la grossesse, les représentations concernant l'enfant imaginaire et fantasmatique s'enrichiraient et se préciseraient, puis, à l'approche de la naissance, alors que le foetus donne des signes de plus en plus évidents de sa présence, ces représentations deviendraient plus vagues, c'est-à-dire plus ouvertes à l'accueil de l'enfant réel (ce qui laisse augurer du problème posé par la naissance prématurée).

D’après les travaux de J.Raphael-Leff (1980), des représentations assez définies de l’enfant à naître apparaîtraient dès le deuxième trimestre de la grossesse. Il divise la grossesse en trois périodes assimilées aux phases d’individuation-séparation décrites par M.Mahler (1975). La première phase de la grossesse correspondrait à la phase autistique normale, à l’union symbiotique de la mère et de son bébé. La deuxième phase correspondrait à la perception et l’individuation du foetus dans l’esprit de la mère. Celle-ci doit reconnaître la différence entre elle-même et son enfant. Et enfin la dernière phase est celle de l’accouchement et de la naissance qui conduit à un rapprochement de la mère et du nourrisson.

Selon D.Stern (1989), la femme enceinte commencerait à envisager des caractéristiques physiques et psychologiques à son bébé seulement à partir du 3ème mois lorsque les risques de fausses couches sont éloignés. Le ressenti des mouvements fœtaux participerait à la construction du bébé imaginaire. Afin de se préparer à l’arrivée du bébé réel et éviter une trop grande déception, les fantaisies maternelles, les désirs de la femme enceinte concernant son bébé déclineraient progressivement.

Toutes les recherches citées précédemment soulignent qu’aux alentours du 7 ème mois, les représentations de la femme enceinte concernant le fœtus changent. Aussi l’entrée dans le dernier trimestre de la grossesse correspondrait-elle à une modification des représentations maternelles. La très grande prématurité viendrait-elle donc en lieu et place des représentations maternelles ? C’est ce que nous tenterons d’éclaircir tout au long de ce travail.

L’ensemble de ces concepts qui fondent la psychopathologie périnatale permet de rendre compte du fonctionnement psychique spécifique à la période périnatale et également du processus de parentalité, du devenir parents.

En réanimation néonatale, l’environnement technique et l’environnement parental se créent conjointement, aussi, comme le soulignent E.Batista Pinto, S.Graham, B.Igert, L.Solis-Ponton (2002, p.294), la pratique de la parentalité se développe dans un contexte émotionnel et matériel très particulier :

‘« […] la parentalité d’un enfant prématuré est différente, spécialement au début de la vie de la parentalité d’un enfant à terme, et y figure toujours l’influence de facteurs provenant de l’enfant, associés à d’autres facteurs provenant des parents. L’enfant parentalise ses parents pour reprendre l’expression de Lebovici (1999) ».’