1-3- Le désir d’enfant

Questionner ce qui fait advenir père ou mère revient à questionner le désir qui sous-tend la reproduction dans l’espèce humaine. Comment l’ontogenèse récapitule-t-elle la phylogenèse ? Pourquoi fait-on des enfants ? De quoi relève le désir d’enfant ? Quel est son rôle ou sa place dans la construction de la parentalité ? L’expression du désir d’enfant est souvent réduite à l’évocation de conditions matérielles qui expliqueraient la réalisation de ce désir. Ainsi l’âge, la situation professionnelle sont souvent mis en avant pour parler du désir d’enfant. Pourtant, comme le rappelle M.Bydlowski (1989, p.57),‘

‘« Le désir d’enfant peut être entendu comme le lieu de passage d’un désir absolu. Ce qui est désiré, ce n’est pas un enfant, c’est le désir d’enfant (désir d’enfance), réalisation d’un souhait infantile ». ’

Est-ce à dire que le désir d’enfant questionne trop intensément notre propre origine, notre propre naissance ? De quel désir sommes-nous nés nous-mêmes ? Qu’est-ce qui a conduit nos parents à devenir parents ? Qu’est-ce qui fait qu’une femme désire être mère et comment passe-t-elle, selon une formule de P-L.Assoun de « ma mère » à « moi-mère » ? Pourquoi et comment se forme le « vouloir devenir-mère » ?

Le désir d’enfant est un mélange complexe: désir d’amour, de transmission, de lutte contre sa propre mort. Le désir naît du manque. Aussi le désir d’enfant n’est-il jamais saturé par l’enfant lui-même. Ainsi que le souligne M.Bydlowski (1989,‘ p.60 ’),

« le désir inconscient maternel ne se satisfait complètement d’aucun enfant vivant ».

En Afrique Noire, il n’y a pas de naissance sans mort. La mort peut toucher la mère au moment de l’accouchement (mort temporaire), ou alors le placenta qui est l’objet de beaucoup d’attentions parce qu’il est le double mort de l’enfant vivant. Les rites autour du placenta indiquent que

‘« tout enfant vivant connote un enfant mort au désir de sa mère » (Idem, p.60). ’

L’enfant du désir demeure inlassablement.

‘« Le désir traduit un élan, une projection, un manque : l’enfant est à la fois l’ « objet » capable de recevoir cet élan, de réaliser cette projection, de combler ce manque, et le « sujet » capable d’engendrer à son tour de nouveaux élans, des projections nouvelles, des manques ultérieurs » (M.Marzano, 2004, p.174).’

S.Freud (1925,‘ ’ ‘ p.130 ’) associe le désir d’enfant au désir de la fille d’obtenir le pénis du père. Pour S.Freud la petite fille

‘« renonce au désir du pénis pour le remplacer par le désir d’un enfant et, dans ce dessein, elle prend le père comme objet d’amour ». ’

Il y a donc dans la proposition de S.Freud, l’idée que toute grossesse participe d’un désir incestueux inconscient. Mais quelques années plus tard, dans son texte intitulé La sexualité féminine (1931), S.Freud (p.140) donnera de l’importance aux liens qui unissent une mère et sa fille. Il écrira que ce lien influence la sexualité féminine et qu’il est difficilement analysable,

‘« blanchi par les ans, semblable à une ombre à peine capable de revivre, comme s’il avait été soumis à un refoulement particulièrement inexorable»,’

et que l’attitude hostile des filles envers leurs mères

‘« n’est pas une conséquence de la rivalité du complexe d’oedipe ; (mais qu’)elle provient, au contraire, de la phase précédente (…) » (p.144)’

Lors de la grossesse écrit S.Freud,

‘« la relation charnelle sensuelle est réactivée sous la forme d’une identification à la mère »’

et en même temps des motions plus hostiles réapparaissent. Ainsi que le souligne C.Squires (2003, p.121),

‘« l’investissement narcissique de la grossesse centré sur le corps, les limites de la peau, les soins, contribuent au retour des origines, de l’archaïque. Cette reviviscence d’un lien obscurci par l’Œdipe est l’occasion d’un travail de détachement ».’

Aussi la grossesse comporte-t-elle également un versant homosexuel. De nombreux auteurs ont mis en évidence les enjeux identificatoires et les investissements libidinaux liés au processus de grossesse. S’engager sur la voie du « devenir-mère » suppose un mouvement d’identification ou de contre-identification à sa propre mère.

Pour M.Bydlowski (1997), être enceinte, c’est reconnaître sa propre mère à l’intérieur de soi et s’acquitter d’une dette à l’égard de sa mère. Ce qui suppose de parvenir à s’identifier à la mère toute-puissante aussi enviée que haïe tout en parvenant à la penser suffisamment faible pour pouvoir prendre sa place.

Pour C.Squires (2003, p.121),

‘« la fille devenant mère revivrait sous une forme inversée le lien à la mère, à rebours de la dynamique qui l’avait conduite à se tourner vers son père ». ’

Pour M.Klein, la rivalité avec la mère ne naît pas de l’amour pour le père mais bien de l’envie à l’égard de la mère qui posséderait « à la fois le père et le pénis ».

Dans ses recherches sur la stérilité féminine, S.Faure-Pragier (2000) note la récurrence d’éléments transgénérationnels dans les situations d’infertilité. Selon elle, l’inconception implique plusieurs générations de femmes :

‘« (…) l’imago maternelle archaïque occupe l’espace psychique et empêche la fille de s’identifier elle-même à une maternité qui l’aliène et qu’elle a besoin d’attaquer pour se sentir relativement indépendante ».’

Chez les femmes infécondes, la relation à la mère domine les entretiens. L’enfant est désiré pour satisfaire leur propre mère, tout en étant inconsciemment redouté comme pouvant les détruire. S.Faure-Pragier observe que dans le psychisme des femmes qu’elle rencontre pour des problèmes d’infertilité,

‘« le père occupe souvent une place marginale. Il ne serait qu’un simple instrument de conception pour la mère ».’

Il est déprécié dans le discours, vécu comme absent, indifférent au sort de ses enfants. Aussi, la configuration oedipienne n’est-elle pas au premier plan, le père ayant manqué à instaurer l’ordre des générations, c’est de la mère que la fille veut un enfant, même s’il est attendu comme celui qui pourrait enfin les séparer.

‘« Le père ou plutôt ce à quoi il est réduit, n’est qu’une possession de la mère » (J.Kristeva, 2000, p.193).’

Parfois, le désir d’enfant est aussi « désir narcissique de fusion léthale » comme l'écrit J.Kristeva (1987, p.101) en citant le cas d’une patiente, Isabelle, qui décide d'avoir un enfant «au moment le plus sombre d'une période dépressive ». Dès le moment où elle attend cet enfant, l'angoisse de malformations du foetus, angoisse très courante chez les femmes enceintes, devientchez elle «d'un paroxysme suicidaire».

‘« Elle imaginait que son bébé mourait au cours de l'accouchement ou bien naissait avec un grave défaut congénital. Elle le tuait alors, avant de se donner la mort, mère et enfant se retrouvant de nouveau réunis, inséparables dans la mort comme dans la grossesse. La naissance tant souhaitée se transformait en enterrement, et l'image de ses funérailles exaltait la patiente, comme si elle n'avait désiré son enfant que pour la mort. Elle accouchait pour la mort. L'arrêt brutal de la vie qu'elle se préparait à donner, ainsi que la sienne propre, était destiné à lui épargner tout souci, à la soulager des ennuis de l'existence. La naissance détruisait avenir et projet ».’

Ainsi désirer un enfant et prendre le risque de devenir parent, c’est toujours prendre le risque de réveiller

‘« des conflits de séparations de « l’évolution libidinale » (Benedek, 1959), individuelle de chacun des parents » (S.Missonnier, 2003a, p.22).’

Nous nous attacherons tout au long de ce travail à comprendre l’impact de ces résurgences sur le désir d’enfant, sur sa conception et sur la grossesse elle-même.