2-4- La Menace d’Accouchement Prématuré (MAP)

La menace d’accouchement prématuré concerne, d’après le réseau AUDIPOG1, plus de 10 % des grossesses et se solde dans 25 % des cas par une naissance prématurée (soit 2,5 % des grossesses ou près de la moitié des accouchements prématurés). Si les MAP sont fréquentes, il demeure toutefois difficile d’en donner une définition ou d'en décrire une étiologie rigoureuse.

‘« Le diagnostic de MAP a été rappelé au niveau national, il y a quelque temps, il est porté devant une patiente présentant avant terme (< 37 S) des contractions utérines régulières et douloureuses se répétant à des intervalles inférieurs à dix minutes et/ou à une modification cervicale au toucher vaginal. La MAP est de diagnostic plus facile en cas de rupture prématurée des membranes ou de survenue d’une hémorragie génitale évoquant une anomalie placentaire » (F.Vendittelli, P.Lachcar, 2002, p.504)’

Une menace qui contient ?

‘« LA MAP et le risque corrélatif qui pèse sur l’enfant « donnent corps » en quelque sorte à l’ambivalence dont le versant hostile n’est pas assumable par ces patientes, dans ce contexte » (F.Michel, 1996, p.65).’

Pour évaluer l’impact d’une prise en charge psychologique des femmes hospitalisées pour MAP, M.Segueilla et N.Mamelle (1992) ont comparé le taux de prématurité chez des femmes ayant une menace d'accouchement prématuré, à deux périodes différentes. En 1992/1993, il n’y a pas de prise en charge psychologique proposée pour les femmes enceintes hospitalisées et en 1994/1995 une intervention psychologique est mise en place. La population cible est constituée de femmes enceintes entre 18 et 35 SA, présentant des contractions constatées à l’examen et/ou des signes de maturation utérine (col court, segment inférieur amplié, col perméable à l'orifice interne, présentation fixée ou engagée). Le premier groupe, dit « groupe témoin » est constitué de 323 patientes femmes recevant le protocole de soins habituel au sein de la maternité et le second, dit « groupe intervention » (309 patientes) recevait le même protocole accompagné d'une prise en charge psychologique.

L'efficacité de l'intervention a été mesurée par le taux de prématurité observé dans le groupe "intervention" par rapport à celui du groupe "témoin". Globalement le taux de prématurité observé chez les femmes du groupe "intervention" a été de 12,3 % contre 25,7 % dans le groupe "témoin". Les résultats allaient dans le même sens pour la grande prématurité. Concernant la prématurité spontanée, la réduction de la prématurité était également significative (12,3% contre 22,5%).

Cette recherche a montré que la prise en charge psychologique de la future mère, son portage tant physique que psychique est une aide précieuse qui favorise la contenance du fœtus, ce qui est en lien avec le concept de holding développé par D-W.Winnicott. L’interrogation demeure sur ce qui rend ce portage opérant pour certaines femmes et pas pour d’autres. Si des facteurs psychologiques ont ainsi pu être repérés comme des facteurs de risque, causes potentielles de la prématurité, nous continuons à nous interroger surla définition même d’un « facteur psychologique ».

‘« S’agit-il seulement des événements passés tels qu’ils se sont déroulés réellement, voire même de leur aspect ou impact traumatique ou bien s’agit-il de leur représentation (représentation des choses et des mots) ou de leur perception, voire encore de leur construction imaginaire ? » (F.Vendittelli et al. Op.Cit., p.510).’

La recherche de N.Mamelle qui met en évidence l’impact de la prise en charge psychologique pour les femmes enceintes hospitalisées ne rend pas compte des effets de l’hospitalisation elle-même. Il nous semble pourtant intéressant de questionner ce qui est mobilisé psychiquement chez les femmes enceintes lors des MAP. Car, certaines femmes, sans recevoir d’aide psychologique, vont parvenir à mener leur grossesse à terme. Qu’est-ce qui est alors contenu pendant l’hospitalisation et par qui ou quoi ? Si la MAP est l’expression somatique de conflits intrapsychiques, en quoi permet-elle à certaines femmes d’élaborer les mouvements inconscients soulevés par le processus de la grossesse ? C’est ce que nous tenterons de définir.

Dans la recherche de N.Mamelle (1992), M.Segueilla, qui a mené les entretiens auprès des femmes hospitalisées pour MAP a dégagé des "marqueurs de vulnérabilité" spécifiques, qui les mettent en difficulté dans leur "devenir mère". Elle distingue trois registres : celui de l’histoire, (l’histoire de la patiente et de sa famille), celui de l’histoire obstétricale de la patiente et celui de l’histoire actuelle.

Histoire des patientes et de leur famille :

Concernant l’histoire familiale, elle constate qu’une femme sur deux relate des événements associés à des séparations, des décès, des ruptures dans les liens de filiation. L’histoire obstétricale de la mère de la femme enceinte ou des autres femmes de la famille comporte des fausses couches, des décès périnataux, des complications au cours de la grossesse ou de l'accouchement. Autant d’événements particulièrement susceptibles d'être remis en scène dans le travail psychique propre au processus de maternalité.

Histoire obstétricale :

Par ailleurs,une femme sur deux a présenté un antécédent obstétrical qui renvoie soit à un vécu de perte (FC, IVG, décès périnatal), soit à des complications de la grossesse et/ou de l'accouchement (prématurité, séparation à la naissance). M.Segueilla a cherché à entendre l'éventuel impact traumatique de ces événements au cours de la grossesse actuelle.

Histoire actuelle :

Et enfin au niveau de l'histoire actuelle, elle constate que 72% des femmes rencontrées ont vécu, peu de temps avant ou pendant leur grossesse, des événements susceptibles de mobiliser de fortes angoisses de mort et d’éventuels mouvements dépressifs (maladie grave, décès d'un parent proche, crise conjugale importante).

Aussi la problématique du deuil est-elle dominante dans le discours des femmes hospitalisées pour MAP.

‘« Qu'il s'agisse d'un deuil ancien que l'état de grossesse remet en scène, d'un deuil actuel ou d'expériences de pertes narcissiques, quelque chose de la perte est là à travailler, dans ce temps où la femme a à se centrer sur l'investissement d'une nouvelle relation objectale. Tout se passe comme si un travail de deuil se trouvait fusionné au processus de vie en cours. On peut se demander si des mécanismes comme la dénégation de la grossesse ("je vivais comme si je n'étais pas enceinte") et l'angoisse de perte ("jusqu'à trois mois, j'ai pensé que j'allais le perdre"), tous deux souvent présents au premier trimestre, ne sont pas les deux faces d'un même mécanisme destiné à lutter contre l'angoisse de mort, et si l'apparition ultérieure des contractions ne constitue pas une véritable mise en acte, dans le corps, de ce travail psychique autour de l'angoisse de mort » (M.Segueilla, 1997).’

M.Segueilla souligne une deuxième problématique chez ces femmes autour de la question de l'identification à la mère, et notamment à la mère des origines. Ses travaux rejoignent ceux de S.Faure-Pragier sur les stérilités féminines. M.Segueilla repère ces enjeux non seulement dans le contenu du discours des femmes mais aussi dans l'analyse des relations établies entre les femmes et les soignants. Les images maternelles convoquées dans le discours sont terrifiantes, dangereuses, inadéquates et mettent les futures mères en difficulté pour se penser elles-mêmes comme mères "suffisamment bonnes".

‘« De plus, il semble que la présence chez ces femmes de cette "mère interne défaillante" soit fortement corrélée à plusieurs éléments qui renvoient à la même problématique. Il s'agit d'un vécu corporel inconfortable, voire désagréable, d'une absence de sentiment de plénitude, d'une plus grande tendance à être pressée d'accoucher, et enfin d'un sentiment plus ou moins intense de n'être pas prise en charge de façon satisfaisante ».’

Parmi les femmes hospitalisées pour MAP certaines sont difficiles à prendre en charge sur le plan médical. Elles restent debout alors que la consigne donnée est le lit strict, elles sont parfois agressives, elles réclament des soins incessants, etc…

L’hypothèse de M.Segueilla (1997) est que ces femmes, qui font tout pour supprimer chez les soignants l'envie de les soigner, rejouent sur la scène du soin la question de la contenance,

‘« comme si, en miroir de ce bébé qu'elles ont du mal à porter, elles ne pouvaient accepter d'être elles-mêmes portées par une équipe soignante ». ’

Les soignants devenant alors des ’"mères internes défaillantes", incapables de les contenir pendant leur hospitalisation.

‘« À l’image de l’utérus qui menace de lâcher, quelque chose se met à dysfonctionner à un point ou à un autre de toutes les interactions de la femme avec son environnement et son histoire passée et présente, mettant ainsi les femmes en situation de perte ou de rupture d’un cadre protecteur, cadre interne représenté par leur propre capacité psychique à vivre cette grossesse, cadre externe représenté par l’entourage familial, social et médical ».’

La recherche de S.Broussous-Lazarus (1991) va également dans ce sens. Les femmes enceintes ne s’autoriseraient pas à se différencier de leur mère. Le conflit préexistant à la grossesse resurgirait sous la forme du symptôme MAP. La MAP serait ainsi une tentative pour résoudre un conflit inconscient plus infantile : comment exister et devenir mère sans détruire sa propre mère ?

Dans son travail, M.Segueilla repère que le travail psychique engagé auprès des femmes hospitalisées pour MAP est particulièrement important chez les femmes présentant des antécédents obstétricaux. Ces évènements (mort périnatale, fausse couche etc…) envahissent totalement la scène actuelle, au point d’entraîner une confusion entre les grossesses. M.Segueilla fait l’hypothèse que les symptômes survenant pendant cette grossesse ont pour but, après-coup, de permettre une tentative d'élaboration psychique de ce qui est resté enkysté, à l'état brut, et qui n'a jamais été repris dans un travail psychique.

Nous avons retrouvé dans la clinique des femmes hospitalisées pour une menace d’accouchement prématuré, les problématiques décrites par M.Segueilla. Mais ce que nous avons souhaité questionner, ce sont les enjeux de l’hospitalisation elle-même et ses effets sur le psychisme des femmes enceintes.La MAP permet-elle à certaines d’expérimenter une situation de contenance externe (le holding) et de relibidinisation du corps et des sensations ?

Enfin, avant de conclure cette partie sur la néonatologie, il nous semble nécessaire de rappeler les conditions et les caractéristiques d’une naissance prématurée.

Notes
1.

L'association AUDIPOG (association des utilisateurs de dossiers informatisés en pédiatrie, obstétrique et gynécologie) a été créée en 1982 par le Professeur Claude Sureau à la suite d'un groupe de travail réuni par le Comité consultatif pour l'informatique médicale (CCIM) au sein du ministère de la Santé. Le but de cette association était de promouvoir l'utilisation d'un "dossier périnatal commun" et l'informatisation des maternités.