1-2-3- Le dessin

Nous avons souhaité, dès le D.E.A faire dessiner les femmes enceintes rencontrées. L’envie de les faire dessiner est venue initialement d’une réflexion sur la place de l’image échographique dans le déroulement de la grossesse. Nous souhaitions voir si l’échographie était utilisée comme un support au dessin et si ces deux formes de « visualisation » de l’enfant in utero mobilisaient les mêmes représentations. Par la suite, au regard de la richesse de cet outil, il nous a semblé pertinent de maintenir la proposition du dessin dans le cadre de la passation de l’IRMAG. Le dessin permet de rompre le rythme de l’interview et d’ouvrir un espace de parole plus libre dont les femmes enceintes peuvent se saisir si elles le souhaitent.

Nous avons trouvé dans la littérature différentes expériences de dessin auprès de femmes enceintes. P-.J. Parquet et G.Delcambre (1980) ont expérimenté le dessin chez la femme enceinte dans les années 1970-1980. Leur travail visait essentiellement à rendre compte de la prévalence entre le corps imaginé de l’enfant (corps complet, unifié, sexué et autonome) ou le corps organique (qui remplit, comme un organe surajouté).

E.Petroff (1999), gynécologue obstétricienne à la maternité des Bluets à Paris utilise également le dessin auprès des femmes hospitalisées au cours de la grossesse. Elle leur propose de représenter sur le papier « comment elles se voient elles et leur bébé ».

D.Cupa et al. (1992) ont aussi utilisé le dessin en maternité avec la consigne suivante: « dessinez votre enfant tel que vous l’imaginez maintenant ».

Par ailleurs, le dessin se présente comme un support permettant l’émergence d’un imaginaire culturel et social. La grossesse a toujours donné lieu à des fantasmes collectifs. ‘ Pendant ’ ‘ ’ ‘ longtemps les fameuses « envies » de la femme enceinte étaient attribuées

‘« à la puissance malfaisante de l’utérus considéré comme avide de sang, capable de s’agiter, de griffer et de mordre la future mère » (M-F.Morel, 2004, p.30). ’

Il semblait intéressant de repérer à l’aide du dessin les représentations de la femme enceinte sur son propre corps ainsi que ses représentations sur les échanges entre son propre corps et celui du fœtus. Les représentations de la grossesse sont-elles imprégnées de croyances communes ?

Le dessin est également un support très riche pour verbaliser les interactions entre la mère et son bébé et voir si les échanges sont physiques, affectifs etc…

Le dessin peut rendre visible la place accordée au placenta, aujourd’hui sujet de nombreuses recherches dans le champ de la psychiatrie foetale. Comme le soulignent ’ M.Soulé et M.-J Soubieux, (2006, p.140),

‘« Sur le plan des interactions biologiques, la véritable « mère » du foetus est la placenta ». ’

C’est le placenta qui donne l’oxygène, les aliments et qui fait grandir le fœtus (hormones). Il existe des relations interactives placenta-mère et mère-placenta. Le placenta s’adapte aux signaux et aux conditions du milieu (la mère). Ainsi,

‘« (...) certaines excitations biologiques venues de la mère prennent une valeur traumatique chez le foetus si le placenta ne joue pas son rôle de pare-excitation biologique» (Idem).’

Il est donc intéressant de questionner la place que les femmes enceintes accordent au placenta.

Les dessins recueillis nous permettront d’explorer différentes pistes :

  • le fantasme unaire  ’ ‘ : la mère et son bébé ne font qu’un. Il y a un échange direct entre la mère et l’enfant. Fantasme qui repose sur la pensée commune qui
« considère la femme enceinte comme un corps transparent : tout ce qui l’atteint d’une manière ou d’une autre, en bien ou en mal, a des effets sur le fœtus » (M-F.Morel, Op.Cit., p.26).
  • le fantasme parthénogénétique  ’ ‘ : le cordon ombilical est-il fixé au nombril de la mère ? Quelle est sa destination ? A-t-il un rôle alimentaire ?
  • les angoisses concernant les anomalies éventuelles de l’enfant ’ ‘   ’ ‘ : le dessin est commenté par les femmes : « on dirait un monstre ». « J’ai oublié ses pieds, c’est horrible » etc…
  • les représentations du corps féminin  ’ ‘ : le ventre comprend-il le vagin, l’utérus est-il fermé, est-il représenté comme une poche sans issue etc…
  • les représentations du fœtus  ’ ‘ : est-il sexué, humanisé, est-il serré dans le ventre maternel, enkysté, est-il confortable etc…

Le dessin est proposé dans le cadre de l’IRMAG. Après la question 16 « comment imaginez-vous votre enfant ? » et « comment l’imagine votre partenaire », le chercheur propose à la femme enceinte de dessiner, sur une feuille de dimension A4 et au crayon de papier à partir de la consigne suivante : « Dessinez l’intérieur de votre ventre tel que vous l’imaginez ».

La consigne a été élaborée pour permettre de saisir, à travers le dessin, si l’intérieur du ventre est perçu comme accueillant un autre ou accueillant du même. L’idée étant alors d’accéder par la médiation du dessin à la représentation de l’objet interne chez les femmes rencontrées et de voir ce que l’évocation de leur « intérieur » mobilise.

Cette consigne impose aux femmes rencontrées de soulever le voile de leur intérieur et se montrer transparentes pour le chercheur et pour elles-mêmes, ce qui nous renvoie au concept de la transparence psychique développé par M.Bydlowski (2001). L’intime est convoqué dans la proposition du dessin. L’intérieur du corps est à la fois l’objet et l’endroit d’un interdit. Comme l’écrit G.Bachelard (1986),

‘« tout intérieur est un ventre qu’il faut ouvrir pour rendre manifeste ce qui est caché. On ne saurait songer à un tel mystère sans le sexualiser » (d’après C.Durif-Bruckert, 1994, p.11). ’

Le dessin est proposé dans la continuité d’une rêverie sur l’enfant. Il semblait pertinent de voir si les femmes interrogées faisaient un lien entre l’enfant à venir, précédemment évoqué dans l’interview et l’enfant du dedans.

Les réactions des femmes enceintes lors de la consigne ont souvent été des réactions de surprise et de peur. Le dessin fait peur car nous ne savons plus dessiner à l’âge adulte. Certaines femmes parviennent à se saisir très librement de la consigne et se laissent aller à une « rêverie maternelle » tandis que d’autres s’inscrivent immédiatement sur un mode opératoire et produisent un dessin très schématique, au plus près d’un savoir biologique.

Lorsque le dessin est terminé, les femmes sont interrogées sur les pensées qui ont orienté leur dessin, si elles ont dessiné un sexe au bébé et si elles ont représenté un moment précis de la grossesse. L’aspect formel du dessin (force du tracé, esthétisme) ne sera pas examiné.