1-3- Echographies et mouvements fœtaux

Dans 3 cas sur 5, les perceptions des mouvements du fœtus, les battements du cœur représentent la première preuve endogène de la présence du fœtus comme corps vivant à l’intérieur de soi.

Madame A semble n’accorder aucun intérêt aux images échographiques et elle résume ses deux échographies de la manière suivante :

‘« Ils (les bébés) se ressemblent tous. Y’a pas de distinction particulière ».’

Ce désinvestissement de l’image est en lien avec le refus de madame A d’imaginer son enfant ou tout au moins de nous faire partager ses rêveries :

‘« je crois que quand on imagine, on est déçu des résultats ». ’

Les mouvements du fœtus, nombreux et vifs rassurent madame A sur la curiosité de son bébé. Comme si son absence de curiosité à l’encontre du bébé, qui la préserve d’un investissement visiblement dangereux pour son équilibre, pouvait atteindre le bébé lui-même. Nous pouvons repérer les effets du fantasme unaire et peut-être l’expression d’une culpabilité inconsciente.

Madame B a fait deux échographies. Elle ne trouve « rien d’exceptionnel » à la première et est « super contente » pour la deuxième alors que « c’est un brouillard ». Elle trouve surtout impressionnant de voir bouger son enfant.

Madame C trouve que l’échographie lui permet

‘« d’être en relation directement avec (son) bébé » mais «c’est un peu froid. On peut pas le toucher ».’

Si pour madame C, l’échographie permet de faire connaissance avec le bébé, ça reste toutefois « médical ». L’enfant imaginaire est construit à partir des sensations fœtales. Elle s’inquiète dès qu’elle ne sent plus le bébé bouger. Elle pense que le bébé ressent ce qui lui arrive. Elle ne lui parle pas et préfère le contact physique :

‘« …ça se passe plus au toucher pour moi ». ’

Elle imagine un bébé actif et se demande si sa fille aura le même rythme après la naissance. Elle pense que, comme elle, sa fille « s’éclate » pendant cette grossesse.

Pour mesdames A, B et C, l’échographie ne semble pas enrichir les représentations. L’échographie semble surtout convoquer l’étrangeté du fœtus à l’intérieur du ventre. Comme le soulignent M.Soulé et M-J.Soubieux (2004, p.305),

‘« en montrant à la fois le dedans et le dehors, en estompant les limites entre le réel et l’imaginaire, l’échographie renforce le sentiment d’inquiétante étrangeté ».’

L’image échographique renvoie à des formes qui ordinairement échappent à la perception, ce qui peut lui donner une valeur inquiétante et parfois persécutrice. L’inquiétante étrangeté apparaît

‘« lorsqu’on doute qu’un être en apparence animé soit vivant, lorsqu’on fantasme qu’un objet sans vie est en quelque sorte animé ».S.Freud (1919, p.234)’

Pour certains auteurs, l’image échographique brise l’élaboration fantasmatique de la femme enceinte. Si M.Soulé ne défend plus sa célèbre formule qui définissait l’échographie comme une « interruption volontaire de fantasmes », d’autres ont continué dans cette voie. Ainsi C.Masson (2007, p.71-72) d’écrire que

‘« la présentation du fœtus par une imagerie, saisi par le regard brise ce rêve porté, ces images fantasmatiques afin de laisser place à une réalité imposée par la machine. [...] Autrement dit, ce dernier (le futur né) naît à l’œil et dès lors cette image externe va suspendre l’image rêvée ou fantasmée d’un enfant qui ne va pas coïncider avec cette image matérielle car justement l’image rêvée relève du fantasme alors que l’image échographique relève d’une certaine réalité (pas forcément la réalité du bébé à naître mais une image projetée dehors d’un futur bébé potentiel) ».’

Ainsi l’image échographique ne permet-elle pas toujours de contenir et transformer les sensations en représentations.

Nous observons que les deux femmes de cet échantillon qui investissent l’image échographique accordent peu de sens et d’importance aux mouvements fœtaux. Madame E qui distingue difficilement ses propres gargouillis et les mouvements du fœtus demande à passer une échographie au cours du troisième mois parce qu’elle veut « voir ».

‘« Parce que t’es enceinte mais fouuuu je voulais voir que tout se passe bien, que tout aille bien quoi. Donc j’ai passé une écho ! C’est vrai quand tu le sens pas, quand…. Moi j’trouve qu’elle a bougé tard quoi. Enfin donc. Le souci c’est vrai que moi j’ai souvent mal au ventre, je suis souvent barbouillée donc on sait pas si c’est le bébé ou si c’est ton ventre qui gargouille alors bon, ça me… ».’

Madame D n’interprète pas les mouvements qu’elle perçoit du foetus et ils ne semblent pas déclencher de rêverie autour de l’enfant à naître. Madame D se sent enceinte dès le premier test de grossesse sans avoir de symptômes particuliers.

‘« J’ai l’impression que les gens vont deviner que je suis enceinte. Dès que je suis enceinte, je me sens enceinte…Ils vont le lire sur ma tête !!! (rires) ».’

Si madame D repère les mouvements du fœtus, elle ne leur attribue aucun sens particulier par rapport au foetus. Ainsi ramène-t-elle tous les mouvements du fœtus à elle-même :

‘« La nuit, je le sens beaucoup bouger. Je me dis que c’est peut-être un moment où je suis plus à l’écoute et moins en mouvement, donc je le sens mieux. Style, si j’ai été très active même quand je m’assieds, je le sens qui bouge ».’

Par contre, elle parle avec beaucoup d’émotions de la vue du fœtus lors de l’échographie.

‘« J’ai fait deux échos plus une à chaque visite mensuelle. C’est du bonheur. On arrive encore plus à imaginer le fait que c’est un deuxième. On l’imagine plus, on l’imagine bébé. C’est encore plus magique que le premier. Je le trouve très beau. Il a une tête qui est parfaite. Beaucoup d’émotions. C’est trente secondes chaque fois mais c’est beaucoup d’émotions de le revoir. C’est très rassurant d’entendre le cœur battre. Ça, ça me fait des frissons. C’est très rassurant…il grossit bien ».

À partir de ce constat, nous pouvons nous demander si pendant la grossesse, l’investissement de la sensation corporelle témoigne de la capacité des femmes enceintes à traduire ou symboliser les mouvements fœtaux. Les femmes qui investissent davantage l’image échographique se sentent-elles passives et démunies par rapport aux mouvements fœtaux ? L’image du fœtus proposée lors de l’examen échographique soutient-elle le travail de représentation de la grossesse ? La représentation de l’enfant sur l’écran peut-elle modifier l’expérience de la grossesse ? S’agit-il de regarder (porter la vue sur) ou de voir (se représenter mentalement, percevoir par l’esprit et saisir par l’intelligence) l’enfant à venir(A.Watillon-Naveau, 2003, p.33) ?