1-5- Etude de cas : madame B

Nous recevons madame B à l’hôpital dans l’une des salles de la consultation gynécologique. C’est une jeune femme souriante et massive. Elle évoque dès le début de l’entretien un parcours du combattant pour avoir un enfant, entamé deux ans auparavant sans succès. Le couple, affecté par ces échecs décide de se marier et interrompt les traitements et c’est tout naturellement que madame B tombe enceinte. Elle découvre sa grossesse à son retour de voyages de noces et l’annonce à son entourage après la première échographie. Ils sont par ailleurs déçus par les échographies.

‘« La première, on était super motivés et un peu déçus à la sortie ». ’

Et pour la deuxième, ils sont déçus car le mari de madame B souhaitait un garçon et il apprend que c’est une fille.

Madame B a « bien pris » les nausées et les vomissements du premier trimestre et ne vit pas mal la prise de poids ce qui, en temps ordinaire, lui pèse. Elle continue à fumer et se sent coupable de ne pas arrêter. La grossesse a modifié les habitudes du couple. Ils font moins la fête et madame B trouve que son mari fait plus attention à elle.

‘« Le week-end, on fait tout ensemble…les mêmes activités. Il a changé aussi. Il me laisse pas toute seule à la maison ». ’

Leur vie sexuelle est également modifiée par la grossesse :

‘« …moi ça me dit rien…j’ai un peu peur…je focalise trop sur la petite. C’est un mec alors ça réagit différemment. J’ai pas une libido, pas très… Lui, il est plus attentionné…oui énormément…Y’a des moments où ça le gave ».’

Au départ, madame B n’arrive pas à croire qu’elle est enceinte. Elle n’y croit vraiment que lorsqu’elle sent bouger le bébé et elle s’inquiète dès qu’elle ne le sent plus. Le moment où son mari sent bouger le bébé est important pour le couple. Elle rêve à plusieurs reprises que sa grossesse n’est pas vraie et que les médecins reviennent sur leurs décisions, « qu’il n’y a rien ». Elle n’en parle à personne. Elle pense que le bébé ressent ce qui lui arrive. Le fantasme unaire est exprimé à plusieurs reprises. Elle ne parle pas au bébé et préfère le contact physique :

‘« …ça se passe plus au toucher pour moi ». ’

L’enfant est imaginé à partir des sensations fœtales. Elle imagine un bébé actif et se demande si sa fille aura le même rythme après la naissance. Elle pense que, comme elle, sa fille « s’éclate » pendant cette grossesse.

Elle imagine surtout sa fille à l’adolescence. Cette période correspond pour elle à un moment de conflits avec sa propre mère. C’est à cette époque qu’elle décide du prénom qu’elle donnera, un jour, à sa fille. Aussi le choix du prénom de l’enfant s’inscrit-il dans son adolescence et non dans l’histoire du couple.Nous voyons bien comment le désir d’enfant est désir d’enfance. Elle craint d’ailleurs que sa fille souffre des mêmes problèmes de poids que ceux qu’elle a connus. L’identification au bébé est très forte.

Elle dessine un bébé sans relief de manière très schématique. Elle ajoute le placenta qu’elle représente comme un coussin entre les deux poches et le cordon ainsi que différents organes : intestin, vessie…L’enfant n’a pas de visage. Il est à l’intérieur d’une première bulle, elle-même entourée d’une seconde bulle (le ventre maternel). Le cordon est relié à la première poche. Le fœtus est entouré par les organes. Madame B s’inquiète dès l’annonce de sa grossesse de la place nécessaire au bébé.

‘« Est-ce qu’il aura assez de place ? Comment je vais gérer ça de l’intérieur ? ».’

Elle évoque plusieurs rêves autour de l’enfant à naître.

‘« J’ai rêvé à quoi elle ressemblait dans mon ventre…c’était comme les images vues dans les livres ».
« Je la rêve le jour de l’accouchement ».’

Madame B exprime aisement ses craintes de ne pas arriver à être mère. Elle se compare à sa sœur qui est infirmière et qui sait quoi faire en cas de problèmes. La relation avec sa mère est ambivalente. Elle veut lui ressembler en tant que mère mais dit par ailleurs que sa mère « a du mal à être grand-mère ». Elle se projette déjà dans l’après-coup de la naissance. Elle a peur de se faire « prendre sa fille » et redoute le surinvestissement familial et les visites :

‘« elle est pas encore là mais je voudrais pas qu’on me l’enlève tout de suite. Je veux de la tranquillité ». ’

Le fantasme de rapt de l’enfant par la grand-mère est très vif chez madame B qui dit de sa mère qu’elle « attend qu’(elle) fasse la petite ». Dans le même temps, elle exprime ses craintes d’être trop possessive. L’identification au bébé mobilise des images relatives à sa propre enfance. Enfant, dit-elle, « il fallait qu’on s’occupe de moi ». Aussi sa place de maman se superpose-t-elle avec sa place d’enfant au sein de la famille et le bébé attendu est encore fortement associé pour madame B au bébé qu’elle a été. La régression inhérente à la grossesse ravive chez madame B les conflits infantiles sur un mode pré-conscient.

Pour conclure, il ressort de cet entretien que les changements relatifs à la grossesse sont pris en compte par madame B pour qui la grossesse fait écho à l’adolescence. Les changements physiques sont mieux vécus et le conflit avec sa mère est plus tempéré. Le processus de différenciation avec le fœtus semble engagé mais l’identification au bébé demeure très forte. Les rêves de madame B témoignent du travail psychique de séparation.