2-1- Histoires et vécus de grossesse

Comme précédemment, pour les dix femmes de cet échantillon, la grossesse est désirée et fait partie d’un projet de couple mais aucune n’est vécue positivement. Les problèmes surviennent très tôt dans la grossesse, laissant peu de place au bonheur d’être enceinte. La réalisation de ce projet a été parsemée d’obstacles pour cinq d’entre elles, quatre sont primipares : madame F, madame I, madame P, madame R et madame T, troisième pare qui a de lourds antécédents obstétricaux.

Pour madame F, le projet d’enfant est engagé depuis 7 ans :

‘« Ça fait déjà six ans et demi, sept ans qu’on essaie d’en avoir. On a envie de fonder une famille. On se connaît depuis dix ans et demi et elle est pas encore là. On a fait plein de traitements, des inséminations artificielles ». ’

Elle a fait quatre fausses couches avant cette grossesse et chacune des fausses couches a nécessité un curetage. Pour madame F le début de la grossesse est très dur, elle a des saignements pendant les trois premiers mois et a « presque envie de faire une fausse couche ». Madame F exprime des vœux de mort importants:

‘« C’était très dur au début de ma grossesse. On peut pas dire s’il va survivre ou pas. J’ai eu des saignements pendant les trois premiers mois. Jusqu’à quatre mois, j’avais presque envie de faire une fausse couche. J’y croyais pas ».’

Madame I s’est lancée dans les inséminations deux ans auparavant et c’est lors de la cinquième insémination qu’elle tombe enceinte. La première prise de sang de madame I, après la FIV (Fécondation In Vitro) est négative alors qu’elle est enceinte.

Madame P est suivie depuis deux ans pour unsyndrome des ovaires polykystiqueslorsqu’elle tombe enceinte. Suite à un retard de règles, elle fait un premier test de grossesse qui s’avère négatif (comme pour madame I). Son gynécologue soupçonne une grossesse extra-utérine et lui fait passer une échographie. La grossesse est confirmée et très vite madame P perd du sang. Ces pertes restent inexpliquées. Elle a des maux de ventre importants qui l’amènent à consulter son médecin. Son col est court et le médecin décide de l’envoyer à l’hôpital où elle passe une échographie et elle est immédiatement transférée dans un hôpital de niveau 3. Elle est alors hospitalisée 5 jours pour MAP et accouche prématurément à 29SA d’un garçon de 1260 grammes.

Madame R est stérile suite à une leucémie. Son mari et elle décident de faire une FIV avec don d’ovocytes à l’étranger La première tentative réussit mais elle ne vit pas très bien cette première grossesse, « a peur qu’il arrive quelque chose », souffre de nausées « du soir au matin les trois premiers mois » et perd du sang le premier trimestre.

‘« Le vrai moment d’euphorie, c’est le coup de fil qui disait que c’était positif ».’

Alors qu’elle commence à se sentir mieux, elle attrape une gastro-entérite et les vomissements provoquent une modification du col de l’utérus. Elle est hospitalisée et accouche spontanément, par voie basse, peu de temps après, à 25SA et trois jours d’un petit garçon. Madame S saigne, vomit et accouche !

Madame T est enceinte pour la troisième fois. Elle est surprise mais elle n’utilisait pas de moyens contraceptifs depuis sa dernière grossesse. Elle est suivie par une sage-femme à domicile une fois par semaine en raison d’antécédents obstétricaux douloureux. Elle a fait plusieurs fausses couches et sa deuxième grossesse était une grossesse interstitielle qui s’est terminée avec la mort de l’enfant à la naissance en raison d’un décollement placentaire à 31 SA. Des examens ont permis de voir qu’elle avait une double cloison de l’utérus dont elle s’est fait opérée. Pour cette grossesse, elle redoute la date fatidique des 31 SA. La veille de l’accouchement, elle apprend que la démarche d’adoption qu’elle a entrepris avec son mari a abouti et qu’une petite fille âgée de cinq ans porte leur nom et les attend.

‘« J’ai appelé mon mari. J’étais contente. La veille, Amanda (sa fille aînée) était invitée chez une copine, pour son anniversaire. C’était au quatrième étage sans ascenseur. Si je l’avais su, je n’y serais pas allé. J’ai donc monté et descendu deux fois les escaliers et le soir, j’ai perdu une partie du bouchon muqueux. Je me suis angoissée. Je savais que c’était le signe que j’allais accoucher. J’ai surtout été stressée par le fait de passer le cap de Gabriel (l’enfant décédé à la naissance) ».’

La démarche d’adoption s’est enclenchée 2,5 ans avant la naissance de Gabriel, suite à ses deux fausses couches. L’initiative est venue de son mari qui «s’est lancé dans l’adoption ».

Ensuite, elle est tombée enceinte de Gabriel qui est décédé à la naissance.

‘« Après le décès de Gabriel, je me suis lancée aussi dans l’adoption ».’

Elle tombe enceinte juste après l’envoi du dossier en Afrique. Elle a prévenu l’association de sa grossesse mais les dirigeants ont choisi de poursuivre la démarche étant donné que sa grossesse précédente n’avait pas abouti et qu’elle avait des antécédents de fausses couches. Ainsi la démarche d’adoption se poursuit sur fond de pari morbide et mortifère. Et madame T accouche très prématurément de Lenna à 28 SA qui pèse 1150 grammes à la naissance.

Pour les autres femmes, la grossesse survient sans problèmes après l’arrêt de la contraception mais très vite les choses se compliquent et la grossesse n’est pas bien vécue.

Madame G n’aime pas être enceinte et ne vit pas la grossesse comme « un moment d’épanouissement » car elle ne peut plus faire de sport et elle se « sen(t) dépossédée de (s)on corps », elle ne se reconnaît plus, se trouve trop différente physiquement.

Madame H n’est pas surprise de se retrouver hospitalisée car elle était « fatiguée depuis le début (et) surmenée ». Elle exprime clairement une forme de dénégation de sa grossesse. Elle a maintenu son rythme de vie et ses habitudes comme si elle n’était pas enceinte et sans écouter sa fatigue.

Madame J tombe enceinte très rapidement mais elle a « des problèmes au bout de trois mois », stade auquel elle décèle des contractions.

‘« Pour tomber enceinte, j’ai pas de problèmes mais pour les porter, c’est plus délicat ».’

Elle a déjà été hospitalisée pour MAP lors de sa grossesse précédente.

Madame Q tombe enceinte très facilement après l’arrêt de sa contraception. Elle est très vite malade et fatiguée. Le couple est en conflit suite à la prise de sang pour la trisomie qui témoigne d’un facteur de risque important. Dans l’attente de l’amniocentèse, ils s’aperçoivent qu’ils n’ont pas le même regard sur le handicap. Le mari de madame Q ne souhaite pas garder le bébé si le handicap est avéré tandis que madame Q n’envisage pas de s’en séparer. Les résultats de l’amniocentèse écartent le risque de trisomie mais vingt quatre heures plus tard, madame Q a des saignements associés à des contractions. Après deux passages aux urgences, elle est hospitalisée une semaine. Les médecins diagnostiquent un placenta praevia, c’est-à-dire une insertion basse du placenta qui nécessite la plupart du temps du repos. Madame Q est mise au repos. Elle respecte le lit strict. Le placenta remonte de deux centimètres. Les contractions s’arrêtent et c’est à ce moment qu’elle sent « que tout descend ». Elle retourne à l’hôpital où les médecins lui apprennent qu’elle a perdu les eaux et l’hospitalise. Elle accouche trois semaines plus tard à 27SA d’une petite fille de 990 grammes.

Madame S est enceinte pour la deuxième fois et de manière très rapprochée :

‘« c’est une deuxième grossesse, enfin c’est un retour de couches, mais qui était voulu parce que j’avais envie d’avoir deux bébés très rapprochés (…) ».’

Elle est hospitalisée une première fois à 14SA pour des saignements qui font penser à un décollement placentaire puis les saignements cessent, madame S reprend le travail et ensuite la poche des eaux craque. Elle est alors hospitalisée dans le service de grossesse pathologique une seconde fois à 24SA et 2 jours et elle accouche par voie basse d’un petit garçon de 900 grammes à 26SA et 5 jours.

La vie onirique pendant la grossesse

Il existe une différence significative entre les deux sous-groupes. Contrairement aux femmes hospitalisées pour MAP qui sont allées au terme (sous-groupe 1-1), les femmes qui ont accouché très prématurément (sous groupe 1-2) ne se souviennent d’aucun rêve particulier lors de leur grossesse. Le matériel onirique est très pauvre.

Madame P n’a pas fait de rêve, ce qui la surprend, madame Q ne se rappelle pas de ses rêves, madame S imagine qu’elle rêve mais n’a pas de souvenirs et madame R dit simplement qu’elle se voyait enceinte dans ses rêves.

Par contre le matériel onirique recueilli auprès des femmes enceintes hospitalisées et qui sont allées au terme (1-1) est plus important. Madame F et madame I évoquent des cauchemars en cours de grossesse. Pour les deux, des angoisses de mort s’y expriment. Madame F rêve de

‘« perdre le bébé, être une mauvaise mère…que des choses négatives : la mort ou la maladie. Plus maintenant, c’est fini…j’aurais aimé pas me réveiller, dormir trois mois…»’

Madame I qui a perdu sa mère cinq ans plus tôt rêve d’elle

‘« dans son lit d’hôpital, juste avant sa mort, y’a pas longtemps. La veille j’avais eu des tâches de sang. Ça faisait deux ans que j’avais pas rêvé d’elle. Y’a deux ans, dans un rêve elle me disait « c’est pas normal, va voir un médecin ». Elle avait raison ».’

Mesdames H, I et J ont rêvé de leur accouchement. L’accouchement dont rêve madame H est interminable, elle n’arrive pas à avoir une péridurale et son col arrête de s’effacer :

‘« j’accouchais jamais. (…) Ça durait des heures ». ’

L’accouchement rêvé par madame I est agréable, il se déroule en présence de son mari et du corps médical mais elle accouche d’une petite fille alors qu’elle attend un garçon. Enfin, madame J qui fait des rêves éveillés nous raconte celui de la nuit précédente :

« Cette nuit, c’était un peu dur. J’allais accoucher et je voyais cet être… Je peux pas imaginer que ce sera un enfant. Je suis certaine que cet enfant souffre. Vivre mais à quel prix ? Le voir avec toutes ces machines, de faire cet être qui est pas fini, on se dit pourquoi. La culpabilité serait très présente…un enfant qui ne sera pas…J’y pense… je me dis…il se peut que…Il faut que je tienne deux mois…voir cet être comme ça. On se dit : on n’est pas capable de l’alimenter… ».’

Ainsi les rêves des femmes hospitalisées pour MAP et ayant mené leur grossesse à terme témoignent d’angoisses de mort importantes, avant même l’hospitalisation pour MAP. Parmi les femmes hospitalisées celles qui ont rêvé de l’accouchement sont allées au terme de la grossesse. Nous discuterons dans notre dernière partie de la fonction des rêves pendant la grossesse.