2-3-Echographie et mouvements foetaux

Le discours des femmes enceintes hospitalisées pour MAP est teinté d’ambivalence. La présence et les ressentis du fœtus in utero sont souvent problématiques mais ils favorisent toutefois le sentiment d’être enceinte pour une grande majorité de ces femmes.

Les mouvements du fœtus permettent à madame F de croire à sa grossesse, mais ils ne sont pas pour autant associés à des impressions agréables. Elle dit qu’elle est stressée, énervée d’avoir un bébé qui bouge sans arrêt. Elle explique qu’elle ne doit pas toucher son ventre parce que son utérus est contractile et « ça (ne lui) manque pas plus que ça ». Elle est très ambivalente par rapport à sa grossesse :

‘« Je peux pas dire que c’était un début de grossesse épanouie. J’en voulais pas. Avoir quelque chose de vivant et qu’on peut perdre…je me disais s’il m’arrive malheur, je vais craquer… j’ai jamais pleuré pour les fausses couches…une fois que la carapace est cassée ». ’

Avant de sentir bouger le fœtus, madame F « n’a pas de sentiments pour cet enfant » mais dès qu’elle le sent bouger, elle sent qu’il se passe « quelque chose ». Elle utilise à plusieurs reprises ce terme pour évoquer le fœtus :

‘« Au sixième mois, ma fille a pris dans sa main son pied…c’est émouvant…on réalise qu’on a quelque chose qui bouge dans notre ventre. J’ai un bébé qui bouge sans arrêt. C’est de l’émotion, c’est sûr ». ’

Madame F ne peut pas qualifier cette émotion. Il semble qu’il soit trop difficile pour elle d’exprimer tout le négatif associé à l’expérience de la grossesse. Elle peut simplement formuler clairement qu’elle « n’en voulait pas ». Nous voyons avec le cas de madame F que si l’ensemble des grossesses sont consciemment désirées et font partie d’un projet de couple, de manière plus latente, le désir d’enfant se mêle à la mort.

Madame G, qui découvre sa grossesse « par des signes négatifs… des nausées, des chutes de tension », voit l’enfant comme une gêne :

‘« Comme je réalise pas que je porte un enfant…je le vois pas, j’arrive pas à intellectualiser. Je le vois comme une gêne. Les trois fois j’ai eu une menace d’accouchement prématuré. Je fais plus de sport. Je vis très mal ces moments-là. J’ai toujours attendu l’accouchement comme une délivrance. Je me sens mieux après. Je le sens plus comme une gêne. Pour le troisième, le fait que je doive bouger le moins possible a fait que j’étais moins présente avec les aînés ».’

Pour madame J, la présence du fœtus est douloureuse à la fois physiquement et psychiquement. Plus le bébé prend de place et plus madame J se sent « décliner » :

‘« L’étape où on le voit : ça y est, j’ai quelqu’un…Quand on le sent bouger, on se dit : « ça y est. Je vais donner naissance à un petit être. La vie à deux sera plus intense ». Elle bouge beaucoup par rapport à mon fils aîné. Du fait des contractions, quand elle bouge, ça me fait mal. C’est ambivalent ! La nuit, je la sens pas, j’ai le ventre très dur. J’ai très mal quand elle bouge la nuit. (…) Je sentais cet enfant évoluer en moi mais je sentais ma vie personnelle et professionnelle décliner. C’était ambivalent. J’étais contente de donner la vie mais peureuse de revivre cette expérience. » ’

Ainsi que le soulignent F.Ferraro & A Nunziante-Cesaro., (1990, p.94),

‘« La menace abortive d’annulation de soi dans ce voyage à reculons que l’on entreprend, paradoxalement parallèle à la croissance de l’enfant à l’intérieur du ventre, peut être si envahissante qu’elle constitue un sérieux obstacle à la mise en route de la régression et à sa fonction de protection de l’environnement ».’

Madame S qui est contentede porter la vie trouve la présence du fœtus in utero « bizarre » et elle associe le fœtus à un alien.

‘« C’est un peu compliqué parce qu’on est content…j’étais contente de porter la vie de … puis ça fait un peu bizarre de se dire qu’y a quelque chose de vivant qui est à l’intérieur de soi. Ça fait un peu alien (rires) mais c’est vrai que ça fait un peu étrange ». ’

Mais ce sont les mouvements fœtaux qui lui permettent de vraiment réaliser qu’elle est enceinte :

‘« Parce que même avec l’échographie qui donne des images assez précises, c’est pas pareil. Mais quand il commence à bouger on se dit…oui…quand on le sent ». ’

Madame S le sentait peu bouger pendant sa grossesse et depuis son hospitalisation et son alitement, elle le « sent beaucoup plus ». Elle pense que le bébé « accumule un peu plus de liquide » et peut ainsi plus facilement bouger…Les mouvements la rassurent sur l’état de santé de son bébé.

Les mouvements fœtaux donnent le sentiment à madame Q qu’elle réalise « quelque chose de vrai ».

‘« Quand on commence à le sentir, c’est génial et puis quelque part, c’est un accomplissement. J’ai l’impression que ça donne un sens à ma vie ».

Madame T a souvent l’impression de ne pas être enceinte. Dès qu’elle ne sent pas bouger le bébé, elle l’oublie.

‘«Je pense que j’ai fait comme mon mari, j’ai pas voulu trop m’attacher…j’attendais de dépasser une certaine date. Je voulais comme tout effacer et me remettre à y penser après la date. C’est drôle d’ailleurs, j’ai beaucoup compté pendant ma grossesse. Je faisais mes propres calculs pour calculer la date de naissance, la changer…Mon mari me disait que ça rimait à rien. « Tu changes les données ». J’aurais eu envie de m’endormir et de me réveiller après. J’ai connu la même chose avec Gabriel. Je voulais m’endormir et me réveiller avec un nouveau bébé dans les bras. Finalement, c’est bien que j’ai fait ces fausses couches car le bébé aurait remplacé Gabriel. C’est bien que mon corps ait refusé. Ça m’a permis de retrouver ma sérénité. Le seul regret, c’est qu’Amanda a 7 ans mais ce temps, il nous le fallait ».’

Ainsi les mouvements fœtaux sont perçus pour la majorité des femmes de cet échantillon comme la première preuve endogène de la présence du fœtus. Elles sont à la fois « rassurées » par les sensations du fœtus et dans le même temps « dérangées » par la présence de cet autre en elles. Si certaines parlent d’ambivalence, il semble qu’elles sont surtout menacées par les poussées de la pulsion désintricante. Nous y reviendrons dans la discussion des résultats.

Pour ce qui est de l’image échographique, elle ne suscite pas vraiment d’enthousiasme chez ces femmes qui la vivent sur un mode très médical. Ainsi l’image n’est-elle pas un support à la rêverie. Si madame F est émue de voir à l’échographie sa fille prendre son pied dans sa main, que madame Q trouve « géant » d’entendre le cœur battre et que madame R trouve « merveilleux » de le voir bouger à trois mois, pour le reste de l’échantillon, l’image échographique convoque l’inquiétante étrangeté.

La première fois que madame S voit son bébé, elle lui trouve des grands pieds et une grosse tête. Elle décrit sans émotion particulière les échographies :

‘« Je le voyais bien, je le voyais bouger, je vois son cœur qui bat, je le vois bien, je sais pas. Il a pas l’air d’être mal. C’est vrai que j’ai une jolie photo de lui avec son profil, c’est vrai qu’il est très beau ». ’

Pour madame H,

« ça ressemble à un alien quand même… ».’ ‘ Madame I ne voit ’ ‘« qu’un squelette et des organes ».’ ‘ Madame Q évoque’ ‘« une crevette, un petit machin, un vrai bébé tout bien fait avec le visage terrible d’un alien mais super mignon».’

Et pour madame G, les échographies ne favorisent pas la rencontre avec le bébé in utero.

Il ressort des entretiens que ni les sensations fœtales ni les échographies n’enclenchent de processus d’objectalisation du fœtus. Il demeure « étrangement inquiétant » et « étrangement dérangeant » et sa présence est menaçante. Nous retrouvons, comme dans le groupe précédent, un désinvestissement de l’image au profit des sensations fœtales.

Nous discuterons ces résultats dans la dernière partie, mais avant cela, nous allons nous intéresser à la nature des liens que ces femmes entretiennent avec leur mère.