2-4- Le lien mère-fille pendant la grossesse

Il ressort des entretiens que le lien des femmes enceintes de ce groupe avec leur mère est soit fusionnel, soit conflictuel (de façon manifeste ou larvée). Le conflit mère-fille est particulièrement présent chez les femmes qui accouchent très prématurément (mesdames P, Q et T). Aussi Madame P attendait-elle la question sur sa mère avec hantise.

Les femmes qui sont en conflit avec leur mère souhaitent s’en différencier en se montrant moins distante avec leur enfant et plus démonstrative. Ainsi donnent-elles à entendre un lien à leur mère froid et distant avec peu de contacts physiques.

Madame T décrit des parents très rigides, absolument pas démonstratifs. Elle n’a jamais vu ses parents s’embrasser ou avoir des gestes tendres entre eux. Elle dit en avoir souffert. Sa mère lui a dit qu’elle l’aimait pour la première fois, au téléphone, quelques jours après la naissance prématurée de sa fille. Elle parle de la gêne de sa mère lorsque sa fille aînée lui fait des câlins.

‘« Elle ne dit rien mais ça la gêne ». ’

La mère de madame T, à la retraite, se dit « très occupée » et elle attendra donc les vacances scolaires pour venir voir le bébé de madame T, soit dix jours plus tard.

Madame P qui redoutait d’avoir à parler de sa mère ne souhaite pas lui ressembler :

‘«Je serai beaucoup plus câline, je ferai plus de démonstration d’affection. Je lui ressemble plus sur la droiture, l’éducation ».’

C’est la grossesse qui instaure une rupture dans le lien entre madame P et sa mère. Madame P qui est fille unique était très proche de sa mère. Ses parents décident de divorcer au moment de la grossesse de madame P. Madame P trouve sa mère maladroite et peu présente lors de la grossesse, ce qu’elle «justifie » par le divorce.

Madame H qui n’a « pas envie d’en parler… » s’exprime longuement au sujet de sa mère. Elle pense qu’elle ne lui ressemblera pas comme mère. Elle décrit une mère tout en apparence, contrôlant les faits et gestes de ses enfants en fonction du regard des autres :

‘« Danser, chanter, fallait pas faire ça à la maison…elle (sa mère) se moquait avant que les autres se moquent de moi. Elle a jamais su si ce qu’on faisait était bien ou mal. Elle nous rabaissait. Je vais tout faire pour encourager ma petite, pour elle, pour son éveil personnel… »
« Y’a pas énormément de communication avec ma mère…ça vient depuis tout le temps. Je m’entends pas avec ma mère…enfin comment dire…elle m’énerve…on fait semblant parce que bon…Je fais des efforts pour la petite. C’est pas qu’elle a pas été une bonne mère mais bon… elle a eu des conflits avec sa mère…j’ai pas envie non plus que ça devienne simple… y’a quand même des choses bizarres…j’ai pas envie d’en parler… ça m’énerve…le jour où elle a appris que j’étais enceinte (première grossesse), elle a eu des maux de tête qui l’ont pas quittée…elle a fait tous les examens possibles…un vrai malade imaginaire…elle a fait une grossesse nerveuse à ma place ! je vois pas pourquoi, elle s’est jamais occupé de moi. Si des principes mais en terme de sentiments, de communication, y’a jamais rien eu, j’ai jamais communiqué avec elle. Le jour de mes règles, m’en a pas parlé… m’a dit quelque chose du style « ça se trouve dans le placard » et débrouille-toi…Elle veut pas le reconnaître…elle se fait passer pour quelqu’un de bien…[…]». ’

Madame Q espère ne ressembler en rien à sa mère. Une mère dont elle dit qu’elle n’a jamais pu se soucier de ses enfants.

‘« Elle pensait pas à aller voir son fils à l’hôpital. On ne fait pas partie de son monde. Je sais pas comment elle nous considère. Elle entend pas bien ce qui nous arrive ».’

Parallèlement le lien avec leur père semble idyllique et fusionnel. Madame P évoque une relation symbiotique :

‘« Mon papa c’est très…j’étais vraiment sa petite-fille. Il me donnait des petits noms mais c’est ma mère qui a géré l’éducation. Avec ma mère on se faisait pas de câlins mais on a beaucoup parlé…avec mon père on avait pas besoin, c’était presque symbiotique… »’

Madame Q dit de son père qu’il était « à la fois son père et sa mère ».

Madame H prend soin de ne pas affliger son père des mêmes maux que sa mère. Sa colère reste toutefois perceptible envers ce père « soumis » mais dont elle a pu se rapprocher et avec lequel un dialogue semble possible :

‘« J’ai rien envie d’attendre d’elle. Mon père, c’est différent. Il est soumis. Avec mon père, on a drôlement parlé pendant la dépression de ma mère. Ce qu’elle m’a fait subir, elle le fait subir à mon père »’

Madame R qui ne parle pas de sa mère pendant l’entretien mais de « ses parents » ou de « sa famille », parlera à la fin de l’entretien de sa proximité avec son père :

‘« J’étais plus la fille à papa (…) On a toujours eu de très bonnes relations. J’étais plus proche de mon père. On avait des relations tendres…on est pas…J’ai plus tendance à garder sur moi… »’

À l’inverse, les femmes qui entretiennent un lien fusionnel avec leur mère décrivent un père absent ou inexistant.

Madame F répond à la question sur les liens qu’elle avait enfant avec ses parents en occultant son père :

‘« J’étais très heureuse enfant. Ma mère n’a jamais travaillé, elle était à la maison. On passait les vacances avec maman ».’

Madame I décrit son père comme « un éternel enfant », qui ne s’occupait jamais d’elle et avec lequel elle entretient depuis toujours un lien conflictuel:

‘«En ce moment, il me saoule, mon père est très anxieux. Ses varices sont son centre d’intérêt. Il m’appelle et me parle de ses varices pendant une demi-heure alors ça va bien !!! j’ai déjà pas de maman alors en plus un papa centré sur lui… ».’

Dans le discours de madame S les parents sont indissociés, elle évoque sa famille comme un tout dont elle ne peut pas distinguer les membres : « je dissocierais pas comme ça. Pour moi on était quatre ».

Pour ces trois femmes,l’identification à leur propre mère est totale, elles veulent « être comme elle » et espèrent lui ressembler en tous points.

Madame F :

‘« Je pense que je serai pareille, protectrice, soucieuse ».’

Madame I :

‘« Ben, j’ai que des côtés positifs de sa part. J’aimerais être comme elle mais pas avoir le même mari qu’elle. (…) Je veux faire des bisous, des câlins comme elle, pareil ».
« Pour moi, c’était Dieu ».’

Mesdames G et I sont orphelines de mère.Aussi, le deuil peut-il renforcer le processus d’idéalisation de leur mère et raviver l’aspect fusionnel du lien.

Madame S qui reconnaît pourtant des sentiments contradictoires envers sa mère

‘« qui a tendance à vouloir trop bien faire, comme toutes les mamans. Tu devrais faire comme ci, tu devrais faire comme ça »,’

souhaite lui ressembler :

‘« Ah ben je pense que je suis quasiment comme elle, à appeler 50 fois par jour pour savoir si tout va bien. Mais en même temps, elle est assez…enfin j’espère que je pourrais être comme elle. Elle arrive à prendre sur elle pour lâcher la bride et heu…je suis partie faire mes études à Montpellier et j’avais 17 ans donc heu ça a pas dû être évident pour elle à ce moment-là. Mais elle arrive à, j’allais dire, à laisser la responsabilité des choses comme ça…Mais j’aimerais bien être comme elle. C’est une mamie gâteau… ».’

L’ensemble de ces résultats témoigne de deux mouvements opposés : soit la mère et la fille forment un couple fusionnel et aconflictuel et dans ce cas le père est inexistant, soit la mère est distante et froide avec sa fille et le père dans un lien bien plus fusionnel.

Dans l’actuel, le père de l’enfant est décrit comme « plus protecteur, plus attentionné » par les femmes qui décrivent un père absent ou inexistant dans leur enfance. Pour celles qui entretiennent un lien plus fusionnel avec leur père, elles ne perçoivent pas de véritables changements dans l’attitude de leur conjoint pendant la grossesse.

Il ressort de l’ensemble des entretiens que les femmes hospitalisées pour MAP ont un vécu très ambivalent de la grossesse. Pour la plupart, la grossesse ne se vit qu’en négatif. Nous retrouvons dans notre échantillon une problématique de deuil pour deux d’entre elles (mesdames G et I) et des antécédents obstétricaux (dans l’histoire de la patiente ou dans la lignée des femmes) pour sept d’entre elles. Ainsi, les caractéristiques décrites par M.Segueilla au sujet des femmes hospitalisées pour MAP se retrouvent-elles dans notre recherche. Nous notons une pauvreté de la vie fantasmatique autour de l’enfant imaginaire et l’expression de vœux de morts inconscients ou des sentiments ambivalents à l’égard du bébé . Cette perception ambivalente de la présence du fœtus ne semble pourtant pas favoriser la construction du fœtus comme sujet à part entière, individualisé. Nous pouvons nous demander si l’absence de représentations de l’enfant à venir est une façon de se protéger de la représentation d’un enfant porteur de leurs vœux de mort inconscients.

Nous allons à présent présenter deux cas, représentatifs de l’échantillon femmes enceintes hospitalisées, et qui nous permettront lors de la discussion de mettre en perspective les deux sous-groupes, MAP et MAP + accouchement prématuré,de cet échantillon.