III- rencontres avec les femmes qui ont accouché très prématurément sans MAP (groupe 2)

3-1- Histoire et vécus de grossesse

Pour aucune des trois femmes la grossesse n’est un moment d’épanouissement. La grossesse de madame U n’était pas consciemment désirée. Dans l’histoire de ces trois femmes, des bébés potentiels sont morts, que ce soit à l’occasion de fausses couches ou d’IVG (Interruption Volontaire de Grossesse). Ainsi, si mesdames V et W accouchent pour la première fois, elles ne sont pas pour autant primigestes. Madame V a un antécédent de fausse couche et madame W a pratiqué deux IVG. Madame U, elle, accouche pour la troisième fois. Elles accouchent toutes très prématurément.

Madame U apprend sa grossesse par hasard, en allant consulter pour des saignements qu’elle attribue à l’évacuation d’un fibrome. Elle prenait une contraception. Une prise de sang est effectuée et révèle que madame U est enceinte de deux mois et demi. Les saignements étaient probablement liés à l’évacuation d’un autre fœtus-jumeau. Son mari ne souhaite pas qu’elle poursuive cette grossesse. Il lui propose d’avorter mais madame U refuse. Elle s’inquiète pour son dos car les médecins lui avaient déconseillé une nouvelle grossesse. Finalement, elle ne souffre pas de son dos pendant la grossesse, mais de tension, et d’albuminurie qui déclenchent une naissance prématurée à 29 SA et 4 jours.

‘« J’étais hyper contente d’être enceinte. Une autre grossesse me dérangeait pas. Mon mari, lui, a beaucoup souffert de l’hospitalisation de notre fille. Il m’a proposé d’avorter. Moi, j’ai dit « je n’avorte pas » donc mon mari m’a dit d’accord, je peux pas t’obliger. J’étais contente mais j’avais peur à la fois. On m’avait déconseillé une autre grossesse à cause de mes problèmes de dos. J’avais peur pour mon dos et en fait j’ai rien eu au dos ».
« Je me suis longtemps posée la question de savoir si j’étais ou non enceinte. Quand je suis rentrée de l’hôpital après la prise de sang, je suis quand même allée acheter un test pour être sûre. J’ai mis vraiment longtemps avant de la croire. Il a fallu que je vois pousser mon ventre pour être bien sûre d’être enceinte ».
Elle dessine rapidement sans faire de commentaires particuliers.
« Moi j’imagine un gros ventre avec le bébé à l’intérieur comme on le voyait à l’échographie. On voyait le cordon ombilical ».
Lorsque nous lui demandons à quoi est relié le cordon, elle répond :
« Au ventre. Je sais pas où ça s’arrête ».
Elle n’a pas dessiné le sexe du bébé qu’elle connaissait avec l’amniocentèse mais qu’elle ne voulait pas savoir. Ainsi, peut-elle dire :
‘«  On savait que c’était un garçon avec l’amniocentèse mais pour moi, ça comptait pas. Il était positionné siège. J’ai balisé à ce moment-là (l’amniocentèse). S’il m’annonce une trisomie. Pour moi…j’envisageais…c’était mon bébé…je voulais pas le faire partir. Je me disais, il faut qu’il soit normal ».

Madame U associe la découverte du sexe du bébé et sa peur qu’il soit anormal. Elle porte un garçon alors que sa mère a eu trois filles, ce qui semble mobiliser des vœux de mort inconscients et des fantasmes d’anormalité. Comme le souligne S.Missonnier (2003b),

‘« (…) force est de constater combien une blessure psychique délétère peut advenir si l’annonce du sexe est synonyme d’interruption violente non anticipée et consentie d’une rêverie parentale bisexuelle ».’

Madame V se sent différente des autres femmes. Elle n’avait pas vraiment envie d’avoir d’enfant, dit qu’elle a « pris son temps », qu’elle n’était pas pressée mais que son mari voulait des enfants depuis toujours. Elle a fait une fausse couche un an plus tôt.

‘« De toute façon, ce n’était pas une envie viscérale comme d’autres mères qui n’attendent que ça et qui sont tellement épanouies pendant leur grossesse ». ’

Madame V ne s’est jamais vraiment sentie enceinte. Elle n’annonce pas elle-même sa grossesse, préfère que son mari ou ses proches le fassent à sa place. Elle culpabilise tout au long de sa grossesse de ne pas éprouver de joie. Elle commence à réaliser qu’elle est enceinte au début du cinquième mois alors qu’elle sent vraiment bouger le bébé et après l’avoir vu pour la deuxième fois à l’échographie. Elle accouche très peu de temps après. Elle associe son manque d’enthousiasme pendant sa grossesse et la naissance prématurée de sa fille.

‘« Je me suis dis que tout ça arrivait parce que je ne l’ai pas suffisamment désirée, attendue… »
« Même mon mari m’a culpabilisée pendant ma grossesse. Il voulait tout le temps que je lui dise ce qui se passait en moi, ce que ça me faisait alors que ça me faisait rien… Les quatre premiers mois j’ai rien senti alors… Bien sûr lorsqu’elle a commencé à bouger, ça me faisait quelque chose mais je comptais sur le temps… J’ai toujours bien pensé qu’il fallait neuf mois ! »’

Elle rêvait à un bébé potelé.

‘« Il s’est passé tout ce que je voulais pas ! »’

Quant à la grossesse de madame W, elle se passe mal dès le départ. Elle vomit beaucoup, dort toute la journée et est très vite alitée. Elle pleure souvent et supporte mal d’être obligée de rester chez elle. Elle évoque un désir d’enfant très ancien. Elle a eu deux IVG avant cette grossesse. La première lorsqu’elle avait 20 ans et la seconde avec le père actuel qui ne se sentait pas prêt à avoir un enfant un an plus tôt.

‘« Il m’avait dit que si je gardais l’enfant, il partait ».’

Elle dit de cette IVG qu’elle les a rapprochés, « ressoudés » et que c’était positif. Comme madame S, madame W craint de rejeter sa fille à la naissance. Pendant sa grossesse, elle reprend contact avec le psychiatre qui la suivait pendant son adolescence.