3-2- Le lien mère-fille

Mesdames U et V ont des antécédents de fausses couches. Nous avons vu que pour S.Faure-Pragier, les fausses couches seraient une façon de tuer la mère en soi plutôt que de régler sa dette de vie envers elle, et l’expression d’une violence primitive mal intégrée, traduisant une identification à la mère meurtrière de l’enfance.

F.Guignard (1999, p.18) rappelle que

‘« lorsque les choses se passent bien, la première grossesse peut permettre à la jeune femme de renoncer à son désir de posséder l’utérus maternel, de la même façon qu’elle a dû renoncer à posséder sexuellement la mère dans le courant inversé de l’oedipe. L’empreinte de l’utérus maternel peut alors prendre une valence identificatoire introjective suivant la même voie que les identifications introjectives postoedipiennes. Alors et alors seulement, elle parvient à prendre possession de son propre utérus pour se le représenter et pouvoir l’investir de son auto-érotisme ».’

Pour F.Guignard, l’ultime étape du développement psychosexuel de la femme consiste à accepter de « louer » son corps à l’enfant qu’elle porte :

‘« Les pathologies plus ou moins lourdes de la grossesse sont fréquemment liées à un échec de l’une ou l’autre de ces trois étapes. La forme la plus courante de cet échec est constituée par le fantasme, plus ou moins actif dans la relation ultérieure à l’enfant-né, fantasme selon lequel cet enfant appartient à sa propre mère, selon des modalités qui ne sont pas toujours réductibles à l’un des deux schémas classiquement reconnus, à savoir : rendre à la mère un bébé volé et fait avec le père, ou faire à la mère un bébé dans un fantasme homosexuel où la fille prend la place du père. Certaines femmes au Moi fragile maintiennent parfois durant très longtemps l’investissement et la figuration de leurs organes de reproduction dans une indifférenciation identificatoire très infantile avec ceux de leur propre mère ». ’

Nous verrons, en développant le cas de madame U que rivaliser avec la mère n’est pas chose simple pour ces femmes. Ainsi madame U parle-t-elle d’un rapport plus complice avec son père :

‘« La grossesse a été bien accueilli par l’entourage. Mes parents l’ont bien pris. Je suis plutôt…Je vais pas aller les voir tous les jours. Je suis plutôt…je suis plus proche de mon père. Rapports plus tendus avec ma mère ».’

Madame V n’évoquera quasiment pas sa mère lors des entretiens, mais elle pourra dire qu’elle ne s’imaginait pas du tout avec une petite fille avant d’être enceinte. Elle ne se voyait pas la maquiller, la coiffer. Elle est très surprise de constater que lorsqu’elle est enceinte, elle est persuadée qu’il s’agit d’une fille et cela ne lui pose plus du tout de problèmes !

Quant à Madame W, elle raconte une histoire très conflictuelle avec sa mère et une adolescence très difficile. Vers 14 ans, elle évoque un passage dépressif mêlé à une rébellion et elle formule le désir de partir en pension. Elle part un an. Elle manifeste des troubles anorexiques, a envie de vomir devant la nourriture. Elle a ses premières relations sexuelles à 14,5 ans. Elle multiplie les aventures. Sa mère la traite de pute. Elle ne peut pas rester seule, est instable.

‘« Je me suis sentie sale. (…) Ma mère croyait que je me droguais. (…). Quand elle me traitait de pute, je lui répondais ‘j’m’en fous. Je ferai call-girl au lieu de femme de ménage ». ’

Sa grand-mère maternelle meurt quand elle a 16 ans et sa mère fait une dépression. Sa mère la met à la porte lorsqu’elle a 17 ans. Elle est hébergée par un oncle (qui est décédé lors de son séjour à la maternité). Pour madame W, le décès de la grand-mère est la raison de son exclusion de la maison familiale. Elle décrit cette grand-mère comme « le pilier de la famille ».

‘« J’ai toujours dit que si ma grand-mère avait été là, elle m’aurait pas mise à la porte ».’

Le père était présent et témoin :

‘« ça me rassure sur ma folie. J’ai pas tout inventé ».’

Mise à la porte, elle se retrouve à dormir chez le gardien, dans le bureau de son père. Son père la prend en charge financièrement pendant un an. C’est lui qui l’inscrit à l’école. Sa mère le quitte peu de temps après. Madame W dira :

‘« Elle ignorait mon père aussi ». ’

Elle décrit une mère cassante, blessante, jalouse, qui ne voit que le négatif chez elle. La relation entre les deux femmes est empreinte d’agressivité. Sa mère a rendu deux visites à Juliana tandis que son père n’est pas venu :

‘« Au niveau père, c’est zéro ! Il monte pas parce qu’il a pas le temps (il vit dans le sud de la France). Il a jamais eu le temps pour nous. Mais à 17 ans, il était là. De toute façon, on était tous les deux dans le même bateau. C’est ma mère qui portait la culotte ! Je le prends à la rigolade. Je le vois pas souvent. Je peux tout lui dire. C’est une relation d’amis plus qu’une relation père-fille ».

Pendant l’hospitalisation de sa fille, madame W écrit à sa mère afin qu’elle lui explique pourquoi elle l’a mise dehors à 17 ans. Sa mère a répondu en disant qu’on lui interdisait de voir sa petite fille et a réclamé des photos, tout en refusant d’aborder le sujet des 17 ans.

Pour ces trois femmes, le lien mère-fille est en trop ou pas assez. Ainsi madame W dira de sa mère « qu’elle était là sans être là » et dans le même temps, qu’elle « en a trop fait » . La rivalité entre ces femmes et leur mère est très forte sans que le père n’empêche qu’elles s’entretuent. Les filles sont mises à la porte lors de l’émergence de la sexualité (mesdames U et W). L’accès à la maternité attise les jalousies entre la mère et la fille. À qui appartient l’enfant ? Comment trouver sa place de mère si sa propre mère cherche à occuper tout l’espace ? Madame W éprouve cette difficulté et le danger de la répétition :

‘« J’ai un travail à faire. J’ai peur des conséquences sur ma fille. C’est difficile de cerner la répétition. Je pense que je serai comme elle, très possessive. C’est ce que je ressens ». ’