III- Voir au dedans

‘« C’est le visuel qui, théoriquement, devient le socle de l’activité de représentation, de re-présentation de ce qui a été perçu. Par la suite, cette activité représentative va davantage se lier au processus hallucinatoire, et s’éloigner du territoire de la perception. Mais il restera toujours une ambiguïté entre ce "seulement dedans" et ce dehors qui peut devenir "aussi dehors". Il s’agit de l’épreuve de réalité et de toutes sesmodalités ». (J.Schaeffer, conférence en ligne).’

En arrivant au terme de notre réflexion, nous pensons important de reprendre le fil autour duquel s’est élaboré l’essentiel de notre pensée, à savoir la place du voir dans la clinique de la très grande prématurité. Comme nous l’avons précisé en introduction, nous avons commencé par voir les mères de bébés prématurés regarder leur bébé pendant des heures à travers la vitre de la couveuse. Nous nous sommes nous-même éprouvée voyeuse d’une scène interdite, celle de la naissance. Dans l’accompagnement de ces mères, la question du regard était centrale. Nous regardions ensemble leur bébé et nous échangions souvent de part et d’autre de la couveuse, l’enfant entre nous, aimantant nos regards.

L’impossible érotisation de la grossesse et la difficulté des femmes rencontrées à déchiffrer l’énigme des mouvements fœtaux nous ont permis d’interroger la pulsion de voir dans leur économie psychique puisqu’elle joue un rôle fondamental dans le désir de déchiffrer et de comprendre les signifiants énigmatiques :

‘« c’est elle qui permet en particulier de regarder l’énigme en face, d’élaborer un réseau de réponses, toujours insuffisantes, mais suffisamment riches et significatives pour les faire entrer dans le discours actuel (…). La pulsion scopique fabrique des images. Et elle ne les fabrique pas à partir de rien : elle part de toutes les impressions vécues et ressenties, de tous les messages envoyés ou reçus pour leur donner un équivalent visuel » (G.Bonnet,1993, p.9/10).’

Les entretiens révèlent également une pauvreté onirique plus importante chez les femmes qui accouchent très prématurément. L’image implique une distance qui témoigne de la séparation. Ainsi que l’écrit R.Potier (2007, p.87),

‘« voir n’est pas une simple opération organique mais un acte complexe où se joue la capacité de chacun à se séparer, à se penser séparé de ce qu’il voit ». ’

Ainsi l’absence d’images oniriques et la présence d’images échographiques viennent-elle questionner leurs capacités à se séparer…