3-3- La question du tiers

‘« Au-delà de l’assomption jubilatoire de la découverte, dans le miroir, du Soi-hors-de-la-mère, c’est le visage de la mère-occupée-par-un-autre-désir qui, « de l’autre côté du miroir », révélera soudain le tiers à l’infans dans cet espace du « féminin primaire ». Ainsi, le « trop peu » de la femme maternelle se redoublera-t-il précocément du « trop » de la mère sexuelle » (F.Guignard, 1999, p.13).’

Le père de la femme enceinte

L’intérêt porté aux relations mère-fille pendant la grossesse a mis en évidence la place singulière du père des femmes qui accouchent très prématurément. La plupart évoquent un lien « privilégié » avec leur père et une mère distante et froide.

Mesdames P et R parlent d’un lien fusionnel avec leur père qui semble dupliquer le lien à l’objet maternel dans une sorte d’indifférenciation. Il n’est pas présenté comme une figure capable de s’opposer à la mère et de faire tiers.

Madame Q dit que « son père était à la fois son père et sa mère », à la fois père et substitut maternel. Elle mobilise un fantasme de parents combinés qui nie l’existence d’une scène primitive.

Madame S ne différencie pas les membres de sa famille : « pour moi on était quatre ».

Mesdames U et W se sentent plus proches de leur père sans pour autant le présenter comme une figure rassurante et étayante pour elles. Elles consolent le père, abandonné comme elles.

Le père que ces femmes décrivent semble complètement absent de la psyché maternelle. Pourtant le père est celui qui interdit à l’enfant de posséder la mère et à la mère de réincorporer l’enfant… S’il ne parvient pas à être auprès de ses enfants dans une fonction séparatrice et différenciée de la mère, il ne peut pas assurer de fonction pare-excitante. Leur père ne semble pas avoir réussi à les délivrer de la séduction maternelle et de la dépendance érotique à leur mère. Ainsi, l’enfant est désiré comme étant le seul être capable de les séparer, de les arracher à la mère archaïque. L’enfant devient

‘« en l’absence d’un fantasme de scène primitive organisateur, (…) le seul tiers imaginable. En même temps, un tel enfant ne peut être conçu sans que cette perspective ramène des angoisses archaïques de destruction. Souvent, elles imaginent risquer d’avorter, d’avoir un enfant anormal, de l’étouffer dans leur ventre pendant leur sommeil. Inversement, la grossesse attaquerait leur corps : elles vont grossir monstrueusement, perdre leurs dents comme leurs cheveux, leur peau va s’épaissir et se tacher, et ne dit-on pas que les hormones conseillées par leur médecin entraînent le cancer. La mort pourrait apparaître à l’issue de telles grossesses « volées » à leur mère ». (S.Faure-Pragier, 2001, p.411)’

Lorsque le père des origines et la mère phallique sont confondus, le père réel ne parvient pas à advenir.

‘« (…) le père réel intervient véritablement pour déprendre l’enfant de la permanence d’un double mouvement concernant le père de l’identification primaire « acharnement à détruire l’emprise de cette ombre paternelle et acharnement tout aussi grand à conserver le lien d’amour avec lui » (N.Zaltzman, 1998, p.169, cité d’après G.Roger, 2003, p.158).

Nous avons vu avec le cas de madame F à quel point la figure du gynécologue a occupé une place centrale dans le processus de sa grossesse. Si la problématique oedipienne semblait première, nous avons montré que le tiers recherché était « l’autre de la mère » bien plus qu’un tiers oedipien, castrateur et séparateur. La figure du père de la préhistoire personnelle fonctionne

‘« comme un modèle identifiant précoce et pouvant être longtemps clivée de celle du père de l’histoire personnelle, elle constitue alors une défense narcissique tenace contre l’élaboration oedipienne » (J.Guillaumin, 2003 , p.69). ’

Le conflit oedipien surgit et s’organise en rapport avec un conflit d’ambivalence avec un objet tiers. Mais parfois le tiers n’est pas un tiers mais la moitié mauvaise de l’objet. Ainsi pouvons-nous

‘« repérer trois termes dans l’organisation oedipienne : un sujet uni par des relations à ses géniteurs, eux-mêmes unis par la différence des sexes. Cependant, au lieu que cette différence des sexes structure la relation autour de la problématique de la castration qui s’articule avec celle de l’identification, comme il en va chez le névrosé, cette triangulation subit une mutation profonde. Les deux termes, tout en gardant leur différence, vont se trouver identifiés selon un critère qui ne sera pas celui de leur identité sexuée mais selon leur qualité bonne ou mauvaise. Comme toute dichotomie a pour conséquence que chaque terme renvoie nécessairement à l’autre comme son double inversé, la triangulation sujet-objet, bon et mauvais objet aboutit en fait à une relation duelle, car l’objet tiers n’est jamais que le double de l’objet » (J-L. Donnet, A.Green, 1973, p.265)’

Dans l’histoire des femmes qui accouchent très prématurément, nous avons vu que la dimension oedipienne de la grossesse n’était pas prévalente. Le registre archaïque est bien plus largement mobilisé. L’histoire de madame T en est un exemple que nous allons développer à présent pour éclairer nos propos.

Le père de l’enfant à venir

‘« Penser le père avec la mère, en fonction de celle-ci, c’est rencontrer la place du père dans la construction de la différence, c’est penser comment l’étranger peut prendre une autre figure que celle de l’intrus, comment l’inquiétant, l’inquiétant familier, peut introduire à la découverte du plaisir de la différence, peut « transitionnaliser » la découverte de la différence pour en faire une source de plaisir » (R.Roussillon, 2003, p.187). ’

Pour rappel, madame T a une fille aînée, Amanda, et elle a perdu un fils à la naissance prénommé Gabriel. Lorsque nous la rencontrons, elle vient d’accoucher prématurément de Lenna. Madame T nous explique qu’elle n’était pas prête à avoir un enfant lors de sa première grossesse et que c’est son mari qui l’a « poussé ». Ainsi dira-t-elle :

‘« J’avais peur. Je me disais qu’on était marié seulement depuis un an…et puis, j’étais jalouse à l’avance de ce bébé. Je me disais que tout l’amour qu’il avait pour moi serait pour le bébé, qu’il aimerait plus cet enfant que moi, qu’il allait prendre de l’amour et que j’en aurais moins…J’ai tellement besoin d’amour et de tendresse ».’

Lorsqu’elle parle de sa grossesse précédente qui s’est achevée par la mort de son fils, madame T dit que son mari était sans cesse en déplacement. Il était toujours absent et ne rentrait que le week-end. Après le décès du bébé, « il s’en est beaucoup voulu » et a changé de travail. Il est retourné dans son ancienne entreprise, à côté du domicile familial.

‘«J’pouvais pas compter sur mon mari ».’

Pour cette troisième grossesse, elle dit que son mari s’est senti utile parce qu’il devait s’occuper de leur fille aînée, elle-même étant alitée, puis elle ajoute :

‘« Il a épuisé ses dernières ressources avec sa fille ». ’

Elle parlera souvent de son envie de « retrouver son corps » après la grossesse. Elle craint de ne plus être désiré par son mari. Elle évoque de fréquentes scènes avec son mari qu’elle provoque afin d’être rassuré. Elle se décrit elle-même comme une enfant capricieuse, toujours à la recherche de preuves d’amour :

‘« Je lui ai fait vivre des choses difficiles. Je lui ai fait du mal alors que c’était pas sa faute. J’ai mis notre couple en péril. Il a les épaules solides. Si on a tenu bon, c’est qu’il a vraiment quelque chose entre nous ». ’

Madame T considère son mari en partie responsable de la mort de leur fils :

‘« Je me disais qu’il aurait dû me pousser à aller à la clinique. À la place, il est allé acheter des pneus pour sa voiture. En tant qu’homme, il aurait dû me pousser à partir tout de suite ». ’

Nous lui avons demandé ce qui signifiait pour elle, être un homme à ce moment-là, elle a répondu :

‘« Prendre la décision pour moi. C’était de l’hésitation parce que j’avais peur. Pour Amanda, j’ai eu des saignements à la fin du premier trimestre. J’ai beaucoup hésité à aller consulter car j’avais peur que ce soit une fausse couche. C’est bizarre cette façon de faire : au lieu de se précipiter et d’empêcher que ça arrive, je préfère ne pas y aller de peur qu’on me dise que j’ai perdu mon bébé ». ’

Madame T espérait que son mari la protégerait de ses pulsions destructrices et mortifères. Mais il ne l’a pas fait. Il n’est pas intervenu, il est parti s’acheter des pneus.

Selon R.Debray (1997), l’un des rôles fondamentaux du père est de fournir un contenant aux angoissesmaternelles.

‘«S’il y parvient, c’est-à-dire s’il en a la capacité et si la mèrele lui permet, il réalise comme un deuxième englobement, un deuxièmecercle qui contient la dyade mère/bébé. Je rappelle en effet que l’économie psychosomatique de la mère englobe celle du bébé, ce qui est incontestable durant le temps de la grossesse mais ce qui persiste, de mon pointde vue, durant les semaines et les mois qui suivent la naissance».’

Mais parfois l’arrivée d’un enfant désorganise l’intrication pulsionnelle, jusque-là plus oumoins préservée, dans la psyché des parents. Et le père n’est pas en mesure d’englober la mère. Il ne peut pas jouer son rôle de protection. Avant cette deuxième grossesse, la répétition des fausses couches avait conduit monsieur T a envisagé l’adoption. Il a visiblement été très touché par les fausses couches.

Après la mort de son fils, madame T adressera toute sa colère, non pas à son mari mais à sa fille avec laquelle elle devient violente et qu’elle « secoue » physiquement. Une fois encore, le mari n’intervient pas. Ainsi, en l’absence d’un tiers séparateur et protecteur, la violence de la mère envers sa fille a-t-elle pu se déchaîner. Cette enfant-fille, au moment de la mort du bébé-garçon, n’est-elle pas venu réactiver les liens de madame T avec sa mère ? Liens qu’elle décrit comme douloureux et froids. Madame T cherchait-elle à régler, dans la violence, un contentieux avec sa propre mère, sur le corps de sa fille ? Sa fille, qui est devenue une rivale au moment de l’accouchement prématuré de sa deuxième fille, Lenna. Elle reviendra à plusieurs reprises sur le fait que sa fille de six ans a dormi dans le même lit que son mari pendant son hospitalisation.

À son retour au domicile, elle a trouvé que sa fille était grande, qu’elle n’avait plus besoin d’elle, qu’elle avait mieux travaillé pendant son absence, avec son père, qu’elle avait « fait ses lettres » et progressé. Elle rapporte une phrase de sa fille lui disant : « J’ai chauffé ta place dans le lit maman ». Ainsi, la fille de madame T exprime que la place de la mère et celle de la fille sont interchangeables, mobilisant des fantasmes incestueux prégénitaux. Madame T ne pense pas qu’elle doive intervenir dans la relation entre son mari et sa fille. Madame T se sent trompée par sa fille qui lui prend sa place mais semble le vivre comme une fatalité. Ainsi en est-il des mères et de leur fille, interchangeables, l’une contenant l’autre, la mère pouvant remplacer la fille et la fille la mère... Si la naissance de sa seconde fille ravive le fantasme de scène primitive, lui permettant de s’éprouver comme la spectatrice passive du rapprochement dans le même lit de sa fille et de son mari, est-elle vraiment à l’extérieur de la scène ? En est-elle exclue ? Dans cette scène, la dimension incestuelle entre la mère et la fille est violente et ravivée par la phrase de la fille de madame T : « j’ai chauffé ta place ». Autrement dit, la mère retrouvera également sa fille dans le lit conjugal puisqu’elles partagent la même couche et le même homme.Elle est très contrariée par ce qui s’est passé mais se dit que « c’est lui le père, il sait ce qu’il fait ». Ainsi, dans l’histoire de madame T, être un homme signifie être capable de protéger une femme de ses pulsions de mort et de la haine qu’elle peut éprouver envers le fœtus ou envers son enfant. Le climat incestuel qu’elle décrit entre son mari et sa fille donne à entendre la haine d’une mère envers sa fille et le père, plutôt que de les séparer favorise des retrouvailles dangereuses et inquiétantes…

La mort est omniprésente dans l’histoire de madame T, comme dans la plupart des histoires de grossesse des femmes qui accouchent prématurément. Dans certains cas, la pulsion de mort s’est exprimée dès la conception de l’enfant, non pas du côté des femmes enceintes mais du côté de leur conjoint : désir d’avortement, renoncement, dépression…

Le mari de madame U lui suggère d’avorter mais ne peut pas la forcer, le compagnon de madame W a souhaité une IVG pour la grossesse précédente, et madame Q a le sentiment que son ami « passe à autre chose avant qu’on ait vécu cette histoire », qu’il « avait presque tourné la page pour un autre bébé ». Elle précise lors de l’IRMAG que son désir d’enfant était plus fort que celui de son ami. Dans le discours de ces femmes, les réticences ou le refus d’enfant de leur mari ou compagnon ne semblent pas vraiment importants. Elles se plaignent par contre du manque d’attentions de leur mari pendant la grossesse.

Madame Q a été

‘« frustrée du non-changement de comportement. Sur le coup, pas les petites attentions. Il l’a eu quand ça a commencé à se passer moins bien. Au début, pas du tout ».’

Le mari de madame U

‘« est resté un moment sans parler après la découverte de la grossesse. Il se trouvait vieux pour être père. Il est très timide. On sait pas grand chose. C’est pas le tempérament…J’arrive à me débrouiller toute seule ».’

Ainsi le père de l’enfant qu’elles portent ne les aide pas à surmonter leur ambivalence à l’égard de la grossesse.Si

‘«dans les cas heureux, les caractéristiques du système préconscient maternel et paternelpeuvent se trouver en quelque sorte modérées, tempérées ou adoucies lesunes par les autres, témoignant alors d’une certaine complémentarité quiexisterait entre mère et père (…) » (R.Debray, 1997), ’

dans le cas des femmes rencontrées, la pulsion désintricante semble atteindre aussi bien le père que la mère. Nous avons appris au cours du suivi de monsieur et madame V que monsieur V était lui aussi né prématuré et que sa naissance était un sujet très douloureux dans sa famille.

Dans le discours de ces femmes, les hommes sont impuissants à les protéger de l’objet primaire. Nous avons vu que le départ du mari de madame U pour la laisser seule avec nous déclenche une immense colère chez elle, qui se traduira par une importante montée de tension.

Par ailleurs, alors que nous n’avions pas prévu d’interroger les pères, nous nous sommes retrouvée, à deux reprises, en présence des maris des femmes interrogées sans parvenir à séparer le couple. Ainsi, lorsque nous rencontrons madame R et madame G dans leur chambre, elles sont avec leur mari. Nous nous présentons au couple puis proposons à madame de participer à notre recherche. Attendant que le mari propose naturellement de sortir, nous sommes surprise et déstabilisée par son insistance à rester. Lorsque nous exprimons notre désir de rester seule en présence de son épouse, cette dernière répond qu’elle ne voit pas de raison que son mari sorte. Madame G insiste sur le fait qu’elle « n’a rien à cacher » et madame R dira : « au contraire, il est concerné » à entendre peut-être comme « il est plus concerné » c’est lui le père et moi je ne suis qu’une « mère porteuse ? »

Éprouvant sans doute quelque chose d’une lointaine culpabilité à vouloir séparer les parents, nous nous sommes retrouvée en présence du couple parental. Le fantasme de scène primitive que nous avons déjà largement évoqué battait son plein. Ces couples ne voulaient personne derrière la porte ! Aussi nous sommes-nous retrouvés tous ensemble dans la chambre ! D’intrus que nous étions, nous avons été invitée à taire la différence et à nous perdre dans une indifférenciation angoissante.

Pour ces deux femmes, le mari et « futur » père de l’enfant semble occuper une place singulière dans l’histoire de leur grossesse. Ainsi madame G peut-elle dire de son mari qu’elle aimerait qu’il porte les enfants, qu’il soit enceint à sa place ! Le fantasme de parents combinés et interchangeables est clairement formulé. Monsieur G intervient durant l’entretien lorsqu’il est gêné de la violence des propos de sa femme. Ainsi lui suggère-t-il de dessiner une fleur plutôt qu’une bombe… Madame G utilise l’entretien pour exprimer à son mari toute la violence de ses éprouvés mais il ne veut/peut pas entendre. Nous avons eu le sentiment que monsieur G restait pour contrôler sa femme et que madame G avait accepté la présence de son mari afin de lui faire entendre ce qu’elle ne pouvait pas exprimer tout au long de ses grossesses, au risque de devenir une figure effrayante pour lui.

Toute sa colère s’est exprimée à l’encontre d’un homme, un autre homme : son gynécologue. Ainsi, lors de cette troisième grossesse, madame G se sent fatiguée et formule une première demande de congés à son gynécologue qui est rejetée. Quelques jours après, madame G a de violentes contractions qui nécessitent une hospitalisation. Sa première demande, visiblement non entendue, s’est exprimée par la suite au niveau de son corps. Cette somatisation s’apparente à une tentative de convocation d’un objet externe : le médecin. La menace d’accouchement prématuré semble lui permettre d’exprimer la menace que représente l’enfant à l’intérieur du ventre. Madame G est arrivée à exprimer sa colère (destructrice) dans la relation intersubjective. Le gynécologue apparaît comme le symbole de l’objet primaire frustrant, décevant, abandonnant.

Elle s’est sentie agressée tout au long de sa grossesse. Elle insiste sur le tutoiement de ce dernier comme pour souligner l’effroi suscité par ce manque de distance.

‘« Le gynécologue me tutoyait : « te pèses pas, t’es pas grosse» « je t’examine pas, c’est pas la peine ». J’ai eu des chutes de tension et j’ai demandé un arrêt mais ils ont refusé et quelques semaines après, mon col était ouvert et ils m’engueulaient ».’

Madame G s’est « arrachée » de l’hôpital où elle était suivie au cours de sa grossesse. Elle s’est exilée à plusieurs centaines de kilomètres de chez elle pour venir dans un service où « les gens sont adorables avec elle », où elle se sent soutenue, contenue…

Nous pensons que ce qui différencie les femmes qui sont hospitalisées pour MAP, c’est précisément leur capacités à exprimer dans une relation intersubjective la violence que la grossesse leur fait vivre. Ainsi, parmi les femmes qui vont au terme après la MAP, nous notons une expression de leur agressivité et de leur colère beaucoup plus affirmée que chez celles qui accouchent prématurément. Elles semblent trouver dans le monde médical qui les entoure l’existence d’un tiers rassurant et réconfortant et auquel elles peuvent s’attaquer sans crainte de représailles. L’hospitalisation devient l’occasion d’exprimer leur haine à l’objet primaire en présence d’un tiers qui veille sur elles et sur l’enfant.

Le mari de madame R est lui très effacé. Il se dit heureux d’avoir participé à toutes les démarches de la grossesse mais encore inquiet que la grossesse n’aille pas jusqu’au bout. Si habituellement, la formule consacrée est « pater semper incertus est », dans le cas du couple de monsieur et madame R, l’incertitude plane sur la mère. Il y a une autre femme à l’origine de la grossesse de madame R. Une autre femme qui pourrait resurgir sous les traits de l’enfant, ravivant l’effet d’inquiétante étrangeté dont nous avons déjà longuement parlé. Aussi pouvons-nous mieux comprendre le désir de madame R que son enfant ressemble au père ! Loin de percevoir une complicité dans le couple, nous avons eu le sentiment d’être invitée à nous confondre avec eux.Lorsque nous avons proposé le dessin, l’entretien a changé de tonalité. Le dessin a vraisemblablement réveillé la question des ressemblances et par conséquent, le don d’ovocytes.Nous sommes devenue dangereuse et menaçante pour madame R. Son mari est resté en retrait, présent mais spectateur passif de la douleur inexprimable de sa femme d’avoir laisser une autre femme lui donner un enfant… C’est peut être pour cela que nous devions être trois au cours de cet entretien…

La clinique montre que les hommes présents dans la vie des femmes qui accouchent prématurément, qu’il s’agisse de leur père ou de leur mari sont peu écoutés, là sans être là, vécus comme incapables de les arracher à l’emprise maternelle.