Introduction générale

Le sida a depuis ses débuts suscité de nombreuses recherches dans les différentes sphères scientifiques. Plusieurs chercheurs se sont intéressés à la problématique du sida et une abondante littérature sur la question a été commise et proposée à la communauté scientifique. Il est de nos jours difficile de recenser toutes les publications faites sur la question et il serait encore très difficile dans cette thèse de convoquer l’ensemble des travaux publiés sur la problématique qui a retenu notre attention.

La problématique de la mise en acte de l’intention qui intéresse actuellement les chercheurs, accorde une priorité en psychologie sociale aux travaux d’Ajzen et de Fishbein respectivement sur la théorie de l’action raisonnée et de l’action planifiée. Leurs modèles nous permettent d’introduire la problématique du changement et de la résistance au changement de comportement sexuel face au VIH/Sida chez les adolescents sexuellement actifs et plus précisement sur ceux des classes terminales de la ville de Yaoundé, inscrits dans un établissement ou un institut scolaire reconnu officiellement au Cameroun et figurant sur la carte scolaire du département du Mfoundi, établie par le service de la carte scolaire, de l’orientation scolaire et des activités post et péri-scolaires du Ministère des Enseignements Secondaires du Cameroun pour l’année scolaire 2006-2007.

Les multiples campagnes de sensibilisation et de persuasion menées durant la fin de la deuxième décennie et au debut de la troisième décennie de la pandémie du sida, la plus dévastatrice de l’histoire de l’humanité, n’ont pas abouti au changement de comportement sexuel escompté. Les dernières estimations de l’ONUSIDA (2006) sur la pandémie ne présentent aucun signe de stabilité ni de régression et propulsent la jeunesse c’est –à-dire les adolescents au premier rang de vulnérabilité.

Au jour d’aujourd’hui en Afrique, l’attirance vers le sexe opposé est devenue un phénomène difficile à expliquer. En ce sens qu’elle se fait déjà à des âges où l’on ne s’attend pas ou moins. Les lois ancestrales sur le sexe et l'acte sexuel sont bafouées, la morale religieuse y afférente peu respectée, et la famille ne réussit plus à instaurer les lois taboues sur la sexualité. La sexualité est de plus en plus devenue  vulgaire et il est à noter que les adolescents connaissent  leur premier  acte sexuel curieusement pendant la période de latence. La précocité sexuelle est davantage observée à des âges où la maturité sexuelle, la puberté ne sont que pas encore en branche. La conduite sexuelle des adolescents camerounais semble confirmer cette mutation des attitudes vis-à-vis de la sexualité. Au Cameroun, plus de 12% des adolescentes ont leur premier rapport avant la puberté (Noumbissie, 2004) ; 14,72% des adolescentes de 14 à 18 ans ont des grossesses précoces , les jeunes de plus en plus se prostituent  le long des rues et d’autres se livrent au vagabondage sexuel  ; ils ont en fait des relations sexuelles non protégées fréquemment et avec plusieurs partenaires et résistent à l’adoption des conduites préventives à savoir : abstinence-fidélité-usage régulier du condom (Noumbissie, 2004).

Dans le monde, une personne est infectée du VIH/Sida toutes les 6 secondes. Environ 33 millions de personnes vivent avec le VIH/Sida, 8500 personnes meurent chaque jour du sida soit une personne toutes les 16 secondes. Le sida a trouvé en Afrique un terrain « fertile ». En dépit des nombreuses campagnes de sensibilisation et de persuasion menées en terres africaines les taux de prévalence restent toujours très élevés. Les chiffres du Sida en Afrique démontrent eux-mêmes de la profondeur du désastre causé par ce virus. Selon les estimations de l’ONUSIDA, le sida a tué plus de 20 millions d’africains. Les taux de prévalence atteignent parfois les 36%. Ce qui est aussi alarmant dans l’évolution du Sida en Afrique, c’est la vitesse à laquelle celle-ci s’est propagée. L’Afrique australe est la région la plus touchée par l’épidémie avec dans quatre pays des taux supérieurs à 30% : Botswana, Lesotho, Swaziland, Zimbabwe et des pourcentages d'adulte atteint du virus de plus de 10% dans plus d'une dizaine de pays. Pour l’Afrique occidentale, huit pays connaissant un taux de plus de 5 % dont le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Nigeria et la Centrafrique. Malgré ces taux élevés de prévalence du sida il y a un fait important qui complique la compréhension de l’adoption des comportements sexuels à risque lié à la pandémie du sida chez les individus. Ce fait n’est pas le manque de connaissance sur la pandémie mais l’inconsistance entre les intentions et les comportements observés.

La théorie de l’action raisonnée (Fishbein et Ajzen, 1975) est un modèle de prédiction et de compréhension des comportements humains. Elle est basée sur le postulat que les individus sont généralement rationnels et qu’ils utilisent l’information qui les entoure pour prendre des décisions. Selon cette dernière, l’individu évalue les conséquences de l’adoption éventuelle d’un comportement avant de décider s’il passe ou non à l’action.

La théorie du comportement planifié (Ajzen, 1991) est sans aucun doute, une extension de la théorie de l’action raisonnée (Fishbein et Ajzen, 1975). Elle postule que le comportement à prédire doit être volitif, autrement dit, placé sous le contrôle de la personne qui doit prendre la décision d’adopter ou non le comportement. En effet, quelques années plus tard, Ajzen en arriva au constat que plusieurs comportements humains n’étaient pas entièrement sous le contrôle de la personne. Il décida donc d’ajouter une nouvelle variable au modèle théorique de l’action raisonnée : la perception de contrôle sur le comportement. Cet ajout permettait, selon lui, de se rapprocher davantage de la réalité et de permettre de prédire avec plus de précision les comportements qui ne sont pas adoptés de façon totalement volontaire.

Il ressort des travaux de Ajzen (1975, 1980, 1991, 2001, 2002, 2005) que la réalisation d’un comportement par une personne est fonction de son intention (désir, volonté, souhait, détermination, etc.) de le réaliser. Cet auteur a initié une nouvelle grille de lecture, d’analyse, d’explication du comportement. Cependant, il fait omission non seulement de la permanence du fonctionnement psychologique, mais aussi de la complexité et de la flexibilité du comportement humain qui, sur le plan théorique, pose depuis Watson (1913) de sérieux problèmes de prédictibilité, de contrôle, de manipulation et de prévention. La théorie du comportement planifié s’inscrivait en droite ligne du modèle binaire, il serait intéressant de savoir si l’intention garderait la même force (suprématie) dans une situation d’interaction. Sous un angle psychosocial, l’interaction entre les sujets (partenaires) au détriment de l’intention serait aussi déterminante dans la réalisation du comportement. Le comportement ne serait plus redevable à l’intention mais plutôt à l’interaction. Il serait également important de mentionner que plusieurs facteurs influencent le comportement et que même après la production d’un comportement, il est parfois difficile de dire avec objectivité le facteur qui a provoqué ou déclenché le dit comportement.

Le comportement sexuel qui constitue le point focal de cette recherche revêt une complexité et une flexibilité préoccupantes. Il est parfois difficile, chez les acteurs, de dire avec objectivité et sincérité l’élément principal qui a provoqué ou déclenché leur comportement (l’acte sexuel). Nous voulons bien lui appliquer la théorie du comportement planifié, dans le but de voir, s’il est possible, de prévoir un tel comportement et ensuite voir si la théorie d’Ajzen peut s’appliquer à d’autres types de comportements humains. Si ce théoricien a accordé une priorité à la raison, la volonté, la croyance et le contrôle perçu dans la production du comportement, il est difficile de nos jours, de comprendre la résistance au changement de comportement sexuel chez les individus qui, sur le plan cognitif, sont convaincus de l’existence du VIH/Sida, des désastres de cette pandémie, de ses méfaits sur les plans humain, social et économique, et qui jusqu’ici continuent de contracter la maladie.

Nous voulons, à partir de ce constat, remettre en évidence le problème de contrôle et de prédiction du comportement. L’objectif est de montrer que les travaux faits en psychologie sociale dans ce sillage sont très importants pour l’explication et la compréhension du comportement, mais qu’au niveau de la prédiction, ils se heurtent au caractère humain qui est toujours complexe et controversé. Cette situation fait de l’étude du comportement un phénomène ancien et nouveau. Ancien, sur le plan historique et nouveau parce que les résultats auxquels les chercheurs aboutissent, suscitent toujours des problèmes nouveaux qui les remettent en cause.

La théorie du comportement planifié a connu et connaît encore un succès éclatant dans l’étude d’un certain nombre de comportements. Elle peut ne pas avoir la même fortune si elle est appliquée à un autre type de comportement ou à certains individus. C’est ainsi que nous pensons que les problèmes de prédiction, de contrôle et de prévention du comportement ne sont pas encore définitivement résolus. Il serait parfois plus facile de comprendre un comportement après sa réalisation que de prétendre le prédire ou le contrôler.

Nous n’avons pas la prétention de montrer que le comportement humain ne peut être sujet d’études sérieuses et scientifiques. Nous voudrions montrer qu’en matière de prédiction du comportement humain, il faut être suffisamment prudent. Puisque le comportement humain peut être influencé par une grande variété de stimuli qu’il est parfois difficile d’identifier, d’isoler, de contrôler. C’est pourquoi il est très difficile d’élaborer une « ligne éditoriale » du comportement comme Watson (1913) a bien voulu le faire, et qu’Ajzen et Fishbein ont aussi bien voulu suivre. Toutefois, il serait important de préciser à la suite de Bernard (1987) qu’à aucun moment dans le développement du corps scientifique, une théorie ne peut être considérée comme parfaite et totalement aboutie. Elle deviendrait alors une doctrine, ce qui est aux antipodes de la pensée scientifique.

La théorie du comportement planifié d’Ajzen a omis un élément important qui se situerait entre l’intention d’agir et l’action : la variable intermédiaire. Cette variable intermédiaire, dans certains cas, absorberait l’intention d’agir avant d’imposer la suprématie au comportement. En d’autres termes, la variable intermédiaire -accessoire devient la variable principale dans la transformation de l’intention en acte. C’est en nous situant dans la problématique de la mise en acte de l’intention que nous avons libellé notre thèse : « Attitude et changement de comportement sexuel face au VIH/Sida : de l’intention d’agir à l’action. Etude de la résistance à l’usage du préservatif chez les adolescents-élèves des classes terminales de la ville de Yaoundé ».

La théorie du comportement planifié d’Ajzen a pour objectif de comprendre le lien attitude-comportement. Ajzen part du constat historique d’un faible lien entre les mesures d’attitude et les comportements effectifs, dans la mesure où les gens semblent ne pas agir de manière conforme à leurs attitudes. Pour ce théoricien, trois raisons pourraient justifier ce faible lien attitude-comportement :

Il va de soi que la difficulté de prédire les comportements d’une personne sur la base de ses attitudes est grande. Les chercheurs ont donc tenté de définir un certain nombre de conditions rendant cette mise en relation possible. Parmi les recherches réalisées sur cette question, celles d’Ajzen et Fishbein (1975) se rapprochent davantage de notre problématique, c’est-à-dire celle de la prise en compte du rôle d’autres variables dans la mise en acte de l’action.

Ajzen et Fishbein qui avaient donné à l’intention la paternité du comportement, ont compris avec le temps que l’intention, dans certains cas, subirait des pressions qui pourraient lui dérober cette paternité. Ils se sont dès lors intéressés à l’asymétrie intention – action et ont à cet effet, commis de nombreuses publications. A la suite de Ajzen et Fishbein (1975), de nombreux chercheurs, à l’instar de Conner et Armitage (1998) ; Gagné et Godin (2000) ; Godin et Kok (1996) ont également exploré la relation intention – action. Bien d’autres, à l’instar de Boer et Mashamba (2005) ; Dilorio (1997) ; Ajzen, Brown et Carvajal (2004) ; Basen-Engquist et Parcel (1992) ; Boldero, Moore et Rosenthal (1992) ; Boldero, Sanitasio et Brain (1999) ont exploré cette relation dans le but de comprendre le comportement sexuel des individus face au VIH/Sida et dans le cadre de la prévention par l’usage du préservatif. Lorsque nous parcourons avec beaucoup de minutie leurs travaux, nous nous rendons compte d’une manière ou d’une autre dans la majorité des cas qu’ils ont accordé une attention particulière aux déterminants des intentions comportementales, à l’application de la théorie de Fishbein et Ajzen à un phénomène ; aux renforcements des qualités / capacités prédictives de l’intention.

Notre réflexion se différencie de leurs approches parce qu’elle traite d’une situation où non seulement l’individu n’est pas isolé, mais aussi peut être influencé au moment de l’action par des variables qui imposent leurs orientations à l’action malgré l’orientation prédéfinie par l’intention. Notre approche met en relief les insuffisances du contrôle de l’intention sur l’action tout en reconnaissant que l’intention a un effet incontestable sur le comportement (l’action). Nous accordons une place non négligeable à l’interaction, dans la mesure où l’acte sexuel qui nous intéresse est un acte psychosocial, d’où le fait que les variables les plus décisives pour comprendre le comportement adopté par les partenaires soient l’interaction, la qualité de la négociation, les pressions psychosociales, les traits de personnalité, etc., puisqu’elles peuvent également déclencher l’acte sexuel. De même, nous interrogeons les différentes composantes des attitudes et montrons que le comportement est déterminé par la dynamique fonctionnelle entre les registres cognitif et affectif qui régulent leur fonctionnement dans la mesure où, l’intention qui nous intéresse est le résultat d’une élaboration cognitive et l’acte sexuel est le résultat d’une élaboration affective (émotionnelle, sentimentale). Nous abordons la théorie du comportement planifié dans l’optique d’étudier les changements et les résistances au changement de comportement. Telle est la principale source de notre préoccupation scientifique. Nous voudrions bien apporter une nouvelle approche de l’intention et de l’action et apporter à cet effet un souffle nouveau à la théorie du comportement planifié dans l’espoir de la rendre plus rigoureuse, plus efficace et plus compétitive.

Notre étude étant de type descriptif et corrélationnel (type mixte), il serait important dans ses deux grandes parties (théorique et méthodologique) que nous procédions à l’exploration, la description et l’analyse des facteurs liés à la résistance à l’usage du préservatif face au VIH/Sida et à la mise en évidence de l’effet et du rôle des variables intermédiaires sur l’altération du fonctionnement psychologique et leurs répercussions sur les attitudes, les intentions, les comportements sexuels et la résistance au port du préservatif.

Dans le cadre théorique, nous aurons trois chapitres (problématique, cadre conceptuel et fondement théorique de l’étude) dans lesquels nous allons poser clairement notre problème, sa pertinence et son intérêt ; définir, opérationnaliser et dégager les considérations générales sur les principaux concepts de notre étude. Nous allons ensuite explorer la théorie du changement de comportement, principale grille de lecture théorique de notre étude en rapport avec la théorie du comportement planifié.

Les aspects méthodologiques et d’analyse des résultats auront également trois chapitres (approches méthodologiques et opératoires ; résultats ; analyse, interprétation et discussion), dans lesquels nous allons rappeler notre question de recherche, exposer nos hypothèses de recherche et l’hypothèse générale, présenter la population d’enquête, les techniques d’échantillonnage, l’instrument d’investigation, les outils de traitement des données, le déroulement du pré-test et l’enquête proprement dite. Et, ensuite, nous allons présenter les résultats obtenus, les analyser, les interpréter et ouvrir les débats théoriques (scientifiques) qu’ils suscitent en termes de discussion, tout en restant fidèle aux exigences scientifiques requises.

« L’homme n’est rien en lui-même. Il n’est qu’une chance infinie. Mais il est le responsable infini de cette chance ».
A. Camus