1.3– Les positions théoriques sur le problème de l’étude

Nombreux sont les individus qui, au cours d’une démarche personnelle plus ou moins structurée, ont adopté un certain comportement pour ensuite l’abandonner au bout d’un laps de temps (une semaine ou un mois). L’irrégularité observée dans l’usage du préservatif en est une véritable illustration. Pour être réussi, le changement de comportement doit être maintenu. Ceci nécessite une certaine harmonie corporelle, mentale, psychologique, sociale et interpersonnelle. Le comportement sexuel que nous étudions ne se déroule pas entre des objets ou des machines, mais entre des personnes dont le fonctionnement psychologique est permanent, dynamique, évolutif. Pendant les rapports sexuels, le fonctionnement psychologique et les relations interpersonnelles ne sont pas altérés. En d’autres termes, d’autres variables peuvent intervenir pendant les rapports sexuels et donner une nouvelle orientation à l’action. C’est ainsi qu’il devient difficile de poser la question de la récurrence, la permanence, le maintien et la consolidation du comportement.

Plusieurs modèles théoriques en psychologie sociale tentent d’expliquer les mécanismes et les processus psychologiques qui conduisent au changement ou à la résistance au changement, parmi ces modèles nous porterons notre attention sur ceux qui s’inscrivent dans la problématique de la prévention par le changement de comportement. Nous présenterons d’une part les différents postulats théoriques et d’autre part le lien avec notre étude tout en insistant sur leurs spécificités et leurs limites pour parvenir au montage du modèle que nous trouverons et jugerons nécessaire pour prévenir les comportements humains et surtout ceux qui sont liés à la santé.

Le modèle des « stades du changement » développé par Prochaska et Di Clemente (1982, 1992) suggère que la modification d’un comportement relatif à la santé s’opère à travers cinq stades distincts : la pré réflexion, la réflexion, la préparation, l’action et la consolidation. Ce modèle considère que si différents facteurs ont une influence sur le passage d’un stade à un autre, les individus devraient mieux réagir aux interventions adaptées aux spécificités du stade auquel ils se trouvent. Ce modèle repose sur l’hypothèse selon laquelle le changement est cyclique et continu, et non pas définitif. Les individus sont susceptibles de rechuter et de revenir à un stade antérieur, mais cela ne signifie pas nécessairement qu’il leur faille repartir de zéro. Les sujets sont donc décrits en termes de progression à travers une série de stades comportementaux, parallèlement à d’autres aspects, comme la confiance en soi face au changement ou à l’invariance.

Prochaska et DiClemente présentent les différentes étapes qui interviennent dans l’élaboration, la manifestation et le maintien d’un comportement, mais ils n’expliquent pas objectivement les causes de la chute ou de la rechute des individus. Ce modèle ne peut pas apporter une explication exacte à l’usage du condom face au VIH/Sida même si les informations qu’il propose peuvent être prises en compte pour comprendre l’irrégularité observée dans l’usage du préservatif chez les adolescents. Ils omettent l’influence des variables occasionnelles, contextuelles, corporelles, psychosociales et environnementales qui animent actuellement les débats en psychologie sociale.

La psychologie sociale oscille depuis longtemps entre deux approches du changement :

Paicheler et Moscovici (1984) ont attribué la complaisance à la majorité et la peur d’être identifié à la minorité comme les raisons pour lesquelles l’individu dans le groupe refuse de cautionner l’innovation minoritaire et par conséquent lui résiste. Nous constatons que la problématique du changement de comportement et de l’invariance comportementale reste un sujet d’actualité en psychologie. Différentes théories ont à cet effet été développées par les psychologues sociaux pour expliquer ce phénomène et identifier les facteurs principaux qui le déterminent. Dans le domaine de la santé et surtout celui de la prévention, la résistance à l’adoption des mobiles et modes de prévention est encore plus préoccupante et occupe les plumes des chercheurs.

Doyen des modèles théoriques, le Health Belief Model ou modèle des croyances relatives à la santé, est le seul à avoir été élaboré dans et pour le domaine de la santé. Les autres modèles proviennent de la psychologie sociale. Le modèle des croyances relatives à la santé a été mis au point par Rosenstock en 1974. Il repose sur le fait que chaque individu est capable de choisir des actions susceptibles de prévenir une maladie du fait qu’il possède des connaissances minimales en ce qui concerne sa santé, et ceci dans la mesure où il considère la santé comme une dimension essentielle de sa vie. En santé publique, nous assistons très souvent à des sessions de formation sur le changement de comportement et dans ce cadre, nous ne saurions compter les séminaires ateliers sur le VIH/Sida. Il est important de fournir des informations au cours des phases initiales des interventions en matière de changement de comportement et de renforcer cette connaissance sur une base régulière comme c’est le cas aujourd’hui au Cameroun.

Mais il ne faut pas perdre de vue que l’information à elle seule ne suffit pas toujours pour motiver les gens à changer de comportement. Une approche de programme de changement intégral de comportement doit prendre en compte les capacités nécessaires pour la vie ; il s’agit par exemple de prise de décision, de gestion des émotions, de l’affirmation de soi, de résistance aux pressions du groupe. Ce programme de changement de comportement doit aller au-delà de la simple fourniture d’informations. Il doit développer tous les aspects de la personne humaine de manière qu’elle dispose des capacités lui permettant d’explorer toutes sortes d’informations, qu’elles se rapportent au VIH/Sida ou à toutes autres questions de santé. Ainsi, les facteurs sur lesquels peut agir l’acteur de prévention sont la perception du risque et celle du rapport coût/bénéfice du comportement relatif à ce risque. Préalablement à toute action, les notions de vulnérabilité et des conséquences liées à la prise de risque doivent être perçues par le public auquel on destine une intervention de prévention.

Il s’agit alors de rendre perceptibles les bénéfices susceptibles d’être obtenus par la modification du comportement, d’identifier la nature du changement devant être obtenu, d’avoir la capacité de mener à bien ce changement, et enfin de croire à l’efficacité de l’action entreprise. Les nombreuses et multiples campagnes de persuasions, sensibilisation, de dépistage et de prévention sur le VIH/Sida ont permis aux individus de s’imprégner des méthodes de lutte, de l’urgence de la prévention par l’usage du préservatif ou par l’adoption des autres modes de prévention comme l’abstinence et la fidélité. Cependant, le constat que nous faisons est que les personnes continuent toujours de contracter la maladie. Ce qui signifie que la croyance en l’existence du Sida en elle seule ne suffit pas pour susciter chez les personnes l’adoption des comportements sexuels préventifs. Il existe donc un clivage entre croyance et comportement, et également entre cognition et pratique.

La théorie sociale cognitive développée par Bandura (1977) met en avant d’autres facteurs. Pour lui, il est indispensable de croire en l’efficacité du comportement pour obtenir le résultat souhaité et en la capacité personnelle à adapter ce comportement. Cette théorie fait appel à un aspect moins rationnel du comportement humain : la confiance en soi. Bandura (1977) s’intéresse à l’interaction entre les comportements reliés à la santé. Il les considère comme le résultat d’apprentissage à partir des propositions et des actions de l’environnement de l’individu. La démarche qui sous-tend l’action de prévention vise donc à apprendre un nouveau comportement, à faire adhérer la personne à ce nouveau comportement, la convaincre de la validité et de l’objectivité. Malheureusement, les personnes contaminées ces dernières années par le VIH/Sida sont parfois bien informées sur les conséquences néfastes et dangereuses du VIH dans l’organisme. Elles sont également convaincues de la nécessité de se protéger et ont généralement des attitudes favorables pour la protection et la prévention.

Fishbein et Ajzen en se basant sur les difficultés relatives à la production et à la prévention unirent leur force afin d’imaginer une méthode visant à prédire les comportements humains. Pour ce faire, ils assumèrent que les humains étaient habituellement rationnels et logiques, et qu’ils utilisaient de façon systématique l’information disponible. Selon le raisonnement des deux chercheurs, les gens considèrent les conséquences de leurs actes avant de décider s’ils adoptent ou non un certain comportement (Ajzen et Fishbein, 1980, cités par Mc Cormack Brown, 1999). Ils en sont venus à développer une théorie qui, selon eux, pouvait prédire et permettre de comprendre les comportements et les attitudes. Cette théorie, qu’ils nommèrent la théorie de l’action raisonnée, suggère que les choix comportementaux en matière de santé sont des choix pensés et raisonnés, et que la raison et la volonté sont les moteurs du comportement. L’intention d’adopter tel ou tel comportement est donc le facteur décisif. Ce modèle prend en compte le rôle de l’entourage et de la pression sociale dans l’adoption des comportements. Il faut également noter que dans l’élaboration de l’intention se mêlent facteurs cognitifs (évaluation des avantages et des inconvénients des comportements envisageables), affectifs (plaisir et déplaisir) sociaux mais aussi moraux. Une démarche de prévention basée sur un tel modèle consiste donc à permettre au sujet une analyse de son comportement et de ses arguments qui le poussent à adopter un nouveau comportement. La résistance à l’usage du préservatif face au VIH/Sida n’est pas un comportement irrationnel, dans la mesure où le port du préservatif est un acte rationnel puisqu’il est négocié, pensé, intériorisé dans la structure mentale et est cognitivement admis comme mode par excellence de prévention. Cependant, son usage souffre de rationalité. Le drame est que les personnes qui continuent de contracter la maladie sont parfois préparées à l’utiliser pendant l’acte sexuel. Mais, le constat que nous pouvons faire est que le port du préservatif bien que raisonné se heurte à des variables intermédiaires à l’axe praxéologique. Pour pallier à cette limite, Triandis a apporté un peu plus d’éclaircissement théorique.

La théorie de l’action raisonnée a été reprise par Triandis en 1977. Il note que de nombreux comportements se manifestent sans pour autant découler d’une volonté consciente. Triandis intègre à ce modèle la force de l’habitude pour élaborer la théorie des comportements interpersonnels. Ce modèle introduit la notion des conditions extérieures à l’individu facilitant ou compliquant l’adoption du comportement souhaité. Cependant, il est étonnant de constater que la force de l’habitude, la volonté et la raison ne suffisent pas pour prédire le comportement encore moins le comportement sexuel. Car, même les personnes qui ont pris l’habitude d’utiliser le préservatif finissent toujours par ne pas l’utiliser. Cette situation a orienté le regard des chercheurs vers la notion d’intention.

Fishbein et Ajzen (1975) définissent l’intention comme une composante conative intermédiaire entre l’attitude et le comportement. L’intention représente le désir, le souhait, la détermination ou la volonté à émettre un comportement. Elle permet, d’après Fishbein et Ajzen, de prédire le comportement. Plus elle est forte, plus la probabilité d’induire un comportement effectif est grande. Selon Triandis (1977), l’intention représente les instructions que se donne un individu à lui-même vis-à-vis d’un comportement. Taylor et Todd (1995) affirment que les intentions sont les meilleurs déterminants directs de l’adoption d’une innovation ou d’une technologie. Cette approche du comportement retient notre esprit scientifique. Cependant, le constat que nous faisons est que ces auteurs n’expliquent pas clairement le clivage entre la force de l’intentionnalité et le comportement escompté.

Les théories expliquant l’intention de comportement sont la théorie de l’action raisonnée et la théorie du comportement planifié. La théorie de l’action raisonnée, comme nous l’avons vu plus haut, prédit l’intention à partir des attitudes et des normes subjectives. L’attitude, dans ce sillage, est déterminée par les croyances des individus quant aux conséquences du comportement et leurs évaluations de ces conséquences. Quant aux normes subjectives, elles sont déterminées par les croyances normatives et la motivation à s’y soumettre (Fishbein, 1980 ; Brinberg et Curmings, 1984).

Après avoir découvert quelques imperfections dans la structure de la théorie de l’action raisonnée, Ajzen l’a modifiée en y ajoutant un troisième élément : le contrôle comportemental perçu. Le contrôle perçu renvoie à la croyance de la personne quant à l’aisance ou la difficulté de réaliser le comportement. La théorie du comportement planifié, non seulement apporte un enrichissement à la théorie de l’action raisonnée, mais aussi tient en compte l’ensemble des ressources qui conditionnent la réalisation du comportement. Le contrôle perçu traduit, d’une part, l’appréciation des éléments qui facilitent ou rendent difficile l’accomplissement du comportement. Ces éléments dans le cadre d’une organisation peuvent être d’ordre monétaire, éthique ou spatio-temporel.

Dans le cas du port du préservatif face au VIH/Sida, ces éléments peuvent être des variables corporelles qui régulent l’excitation sexuelle et instaurent l’équilibre par la satisfaction ou l’assouvissement de la tension suscitée, et, également des variables psychosociales notamment la perception du partenaire, la qualité de la relation, les critères et les manières de négociatier un préservatif à travers le discours des partenaires, les circonstances de l’action, les pressions entre les partenaires sexuels, le but de l’action et bien d’autres variables intermédiaires qui, dans le cadre d’un comportement sexuel, sont très fréquentes, permanentes, influentes et déterminantes dans la production du comportement souhaité.

Le contrôle perçu, bien que visant à contrebalancer les situations dans lesquelles les gens possèdent peu de contrôle ou croient posséder peu de contrôle sur leurs comportements et leurs attitudes (Mc Cormack Brown, 1999) traduit aussi l’évaluation des éléments qui facilitent ou rendent difficile l’accomplissement du comportement. Ceci peut être également valable pour comprendre et expliquer les comportements déviants des adolescents qui, bien qu’exerçant un contrôle perçu sur leurs comportements sexuels, résistent à l’usage du préservatif et contractent le VIH/Sida. Cependant, il faut le préciser, cette évaluation s’effectue par rapport aux capacités et aux ressources disponibles au sujet. Dans le cadre du comportement sexuel qui se déroule entre deux sujets, le contrôle perçu peut être différent et la pression exercée par l’autre sujet n’ayant pas un contrôle perçu efficace, peut entraîner les deux sujets à l’adoption des comportements sexuels non préventifs comme la résistance à l’usage du préservatif.

L’idée principale qui découle de la théorie du comportement planifié se résume ainsi : Les individus ne seront pas susceptibles de développer une forte intention d’agir et de se comporter d’une certaine façon s’ils croient ne pas avoir les ressources nécessaires ou les opportunités pour y arriver, et ce, même s’ils possèdent des attitudes favorables envers le comportement en question et s’ils estiment que les membres de leur entourage approuveraient le comportement (normes subjectives). La figure ci-dessous illustre clairement la quintessence et le contenu de ce modèle.

Figure 1 : Modèle de la théorie du comportement planifié d’Ajzen.

Source : Godin et Kok (1996).Dans son modèle des intentions comportementales,

Ajzen (1991) donne à penser que le comportement est d’autant plus prévisible (et compréhensible) que lorsque nous examinons les intentions spécifiques, manifestées par une personne, de se comporter d’une certaine manière – au lieu de nous contenter d’étudier les attitudes de cette personne vis-à-vis d’un comportement donné. A la lecture de la figure ci-dessus, il en ressort que les intentions dépendent à la fois des attitudes et des normes en matière de comportement. Les normes sont des règles de comportement – ou des façons de faire tenues pour correctes – qu’un groupe ou une société ont admises et considèrent comme appropriées. Par conséquent, les normes constituent des « pressions sociales » qui poussent l’individu à adopter ou à refuser un certain comportement.

Nous constatons également que si les attitudes, de même que les normes, sont affectées d’un signe positif en ce qui concerne un certain comportement, l’intention de se comporter de la manière correspondante sera vigoureuse. Si les attitudes et les normes sont en contradiction, le rapport de leurs forces respectives déterminera les intentions de l’individu et le comportement qui en découlera. Ce modèle a participé à la tentative de prédiction du comportement à partir de l’intention d’agir du sujet. Mais, il considère que de l’intention d’agir à l’action se produit un «vide psychologique » chez les individus. Il ne reconnaît pas que le fonctionnement psychologique est continu et permanent. Et qu’entre l’intention d’agir et l’action peuvent intervenir plusieurs variables dont l’influence sur le fonctionnement psychologique peut détourner l’intention d’agir de l’action. Le modèle des intentions comportementales paraît expliquer pourquoi la relation entre les attitudes et les comportements peut parfois être forte et parfois faible. Ce modèle ne met pas en relief les mobiles psychologiques qui peuvent consolider les attitudes et les rendre fortes pour toujours servir de déterminants immédiats de comportement : d’où sa flexibilité et sa fragilité.

Récemment, le modèle des intentions comportementales a fait l’objet d’une révision : on y a inclus une autre explication possible et importante du comportement social – il s’agit des contraintes ou des obstacles, réels ou supposés, tant extérieurs qu’intérieurs, capables d’empêcher une personne de se comporter comme elle en avait l’intention. Par exemple, un individu pouvait fort bien avoir l’intention véritable d’accomplir un travail avec rapidité et efficacité, mais en être empêché par un défaut de compétence en la matière. De plus, l’idée que se fait une personne quant à son manque de compétence ou la façon dont elle perçoit la chose pourrait l’empêcher d’accomplir le travail. La figure ci-dessous résume ce modèle et permet d’en avoir une idée plus large.

Figure 2 : Modèle révisé des intentions comportementales

Source : Adapté de l’ouvrage de Ajzen I. et Fishbein M., Understanding Attitudes and predicting social behaviour; Englewood Cliffs, N. J., Prentice-Hall, 1990: 8.

Ce modèle retient également notre regard scientifique dans la mesure où il met en évidence la quasi-totalité des facteurs susceptibles de provoquer un comportement. Il va de la formation des attitudes à la prédiction du comportement et de la prédiction du comportement à sa production effective. Cependant, le constat que nous faisons est qu’il peut être très efficace dans la prédiction des comportements relatifs à l’évaluation des performances, des aptitudes, des connaissances, de certains processus psychologiques, de la réalisation de la tâche dans les organisations et dans la manifestation des comportements dont la production ne fait l’objet d’attentes temporelles et des comportements simples. Ce modèle ne peut pas être percutant quand il faudra prédire par exemple un comportement aussi complexe comme le port du préservatif face aux VIH/Sida.

Ce comportement est parfois imprévisible, occasionnel, instantané, immédiat. Le port du préservatif face au VIH/Sida est un comportement qui met en évidence tous les aspects fondamentaux et les éléments principaux des attitudes : affectif, cognitif, conatif, comportemental. Ce modèle comme le précédent ne tient pas compte du fonctionnement psychologique qui se produit pendant la manifestation du comportement. Dans le cadre du comportement sexuel, les contraintes que postule ce modèle peuvent bien être exploitées dans la mesure où le comportement sexuel est influencé par des contraintes situationnelles qui ne doivent pas être entendues dans l’optique envisagée dans ce modèle, mais dans le sillage d’un ensemble de variables psychologiques internes et externes, qui suscitent des pressions pendant les relations sexuelles.

Il ne faut pas perdre de vue que le port du préservatif, bien qu’intentionnel, peut encore être soumis par exemple à une négociation pendant les relations sexuelles et les pressions affectives du moment, peuvent faire table rase à nos attitudes préconstruites ou à nos bonnes intentions. Nous reconnaissons le mérite qu’a ce modèle d’apporter des éclaircissements dans la compréhension de la relation attitude/comportement. Toutefois, nous reconnaissons ses limites dans la prédiction de certains comportements, notamment le port du préservatif face au VIH/Sida. Nous adoptons ce modèle qui est le point focal de notre problématique théorique et empirique en le modifiant. Aux contraintes situationnelles, nous donnons un adjectif un peu plus psychologique à connotations contextuelles, et nous y ajoutons les pressions affectives que suscite le comportement sexuel et la dimension cognitive suscitée par la négociation du préservatif. Nous embrassons sans pour autant adopter les postulats théoriques des contextualistes qui attribuent la paternité du comportement au contexte, à l’influence des variables immédiates. La figure ci-dessous est une véritable illustration de notre modèle théorique de la production du comportement sexuel à la lumière de la théorie du comportement planifié révisée.

Figure 3: Modèle adapté et « corrigé » des intentions comportementales.

Source  : source personnelle.

Les attitudes sont des modèles de sentiments, de croyances et de tendances comportementales suscités par des personnes, des groupes, des idées ou des objets précis. Les attitudes se composent d’éléments affectifs, cognitifs et comportementaux. Ce modèle tient compte de toutes les composantes des attitudes, et stipule qu’il ne se produit pas un « vide psychologique » entre l’intention d’agir et l’action. Le modèle du comportement planifié d’Ajzen prend l’individu comme insensible aux variables intermédiaires qui interviendraient entre l’intention d’agir et l’action, et qui affecteraient le fonctionnement psychologique déjà élaboré. Le constat que nous faisons et que certains théoriciens ont pu faire également, est que les variables intermédiaires influencent la dynamique fonctionnelle entre les registres affectif, cognitif et conatif, et peuvent détourner l’intention d’agir de l’action.

Dans le cadre d’un comportement sexuel, l’influence de ces variables est encore plus importante. Nous reconnaissons d’abord que le comportement sexuel comme le port du préservatif est relationnel (se produit entre les partenaires), cognitif (pensé et se négocie), affectif (suscite émotion, plaisir et sentiments), et volutif (émane de la volonté) ; tous ces facteurs exercent des influences remarquables sur le fonctionnement psychologique et sont à considérer comme les déterminants immédiats du comportement. Nous reconnaissons que le comportement (sexuel) a deux principaux types de déterminants : les déterminants lointains (les attitudes, les intentions) et les déterminants immédiats (variables contextuelles, psycho-affectives, psychocognitives, psychosociales, etc.).

Nous reconnaissons effectivement que la relation qui existe entre les attitudes et le comportement n’est pas toujours bien nette. Elle peut s’éclaircir si nous obtenons une certaine connaissance des intentions manifestées par une personne quant à la conduite qu’elle se propose d’adopter en matière d’attitudes et de normes. Cette conception est plus manifeste et efficace dans les organisations professionnelles. La série d’attitudes qu’un individu manifeste vis-à-vis de son travail, la satisfaction professionnelle peuvent consolider l’attitude et lui accorder une certaine importance qui pourra garantir la production comportementale. Dans le cas du comportement sexuel, ce modèle est extrêmement limité.

Notre modèle met en évidence l’insuffisance de l’intention d’agir dans la production comportementale en postulant que d’autres variables d’action telles que les variables contextuelles, psycho-affectives , cognitives et psychosociales exercent une influence importante sur le fonctionnement psychologique pour la réalisation du comportement. Dans le cadre de la réalisation des comportements intentionnels, il existe entre l’intention d’agir et l’action des variables intermédiaires telles que : l’affectivité, la cognition, la relation sociale, la perception du risque, l’environnement ou le contexte de l’action, la communication, la négociation, l’équilibre psycho-affectif, etc. Ces variables interviennent selon les situations et influencent le fonctionnement psychologique des individus. Ce phénomène nous amène à penser que le comportement n’est ni prédictible ni prévisible, qu’il est instantané, spontané, occasionnel. D’après notre modèle, il pourrait exister une scission entre l’intention d’agir et l’action.

Nous pensons que la résistance au port du préservatif face au VIH/Sida chez des personnes ayant des intentions favorables au port est due à la scission psychologique intervenue entre l’intention d’agir et l’action et également peut être attribuée à l’influence des variables intermédiaires qui ont imposé une nouvelle dynamique fonctionnelle aux mécanismes psychologiques et que cette nouvelle dynamique fonctionnelle ne tiendrait plus compte de l’existence du Sida et de ses méfaits. C’est dans ce sillage que nous comptons peaufiner les recherches explicatives, théoriques et méthodologiques de la psychologie sociale dans la production comportementale, le changement de comportement et la résistance au changement.