2.1.4.3– Les modèles de la structure attitudinale

Trois modèles principaux se disputent depuis longtemps l’attention des chercheurs. Dans le cadre de notre étude, nous n’allons pas déroger à cette tendance. Il s’agit du modèle tripartite classique, du modèle unidimensionnel classique et du modèle tripartite révisé qui séduira le plus notre attention scientifique.

Le modèle tripartite classique

Puisant aux vénérables sources de notre lointain héritage indo-européen, notamment dans la philosophie grecque (McGuire, 1985), ce modèle affirme que l’attitude est une disposition résultant de l’organisation de trois composantes : une composante cognitive, une composante affective, une composante comportementale (ou conative). Proposé par Rosenberg et Hovland (1960), ce modèle présente l’avantage de suffisamment distinguer les trois dimensions de façon à en permettre l’opérationnalisation.

Breckler (1984) a conduit des expérimentations pour évaluer les corrélations entre les trois composantes. Dans une des expériences, il a eu recours à diverses mesures de chacune des composantes de l’attitude chez des sujets en présence d’un serpent. Pour l’aspect affectif, la fréquence cardiaque fut enregistrée ; on demanda également aux sujets d’estimer leur humeur sur une échelle de points. Pour la composante cognitive, les croyances quant aux conséquences négatives et positives de la présence d’un serpent furent recueillies, ainsi que les pensées suscitées par le reptile. Du côté conatif, on mesura la distance à laquelle les sujets acceptaient de s’approcher du serpent, ainsi que les actions qu’ils acceptaient d’effectuer en sa présence. Les analyses indiquèrent que les croyances, les affects et les comportements étaient modérément corrélés, ce qui définit la partie commune de l’attitude ; de plus, une contribution unique caractériserait chaque composante. Les trois dimensions convergent donc suffisamment pour assurer une signification commune, mais par ailleurs, il existe aussi une validité discriminante entre chacune d’elles. Dans le cas d’un comportement sexuel préventif face au VIH/Sida, la signification commune des composantes de l’attitude n’est pas à négliger. Car tout laisse penser qu’il existe un certain seuil d’accord entre les composantes de l’attitude sexuelle face au VIH/Sida. Et que ce seuil d’accord est indispensable pour sauvegarder la pérennité et la permanence de ladite attitude. La figure ci-dessous est une véritable illustration de ce modèle :

Figure 4 : Modèle tripartite classique de l’attitude.

Source  : Lafrenaye (1994).

Malgré un certain nombre d’expériences confirmatives semblables à celle de Breckler, plusieurs critiques ont néanmoins été formulées à l’égard du modèle classique. Par exemple, sur le plan théorique, des chercheurs, à l’instar de Cacioppo, Petty et Geen (1989), Greenwald (1989) reprochent à ce modèle d’être peu parcimonieux et ainsi de présenter des obstacles à la vérification empirique. Sur le plan méthodologique, Dawes et Smith (1985) considèrent que les corrélations ne peuvent suffire pour déterminer la validité de construit du modèle. Après ces propos sur le modèle tripartite classique, intéressons-nous maintenant au modèle unidimensionnel classique.

Le modèle unidimensionnel classique

Le modèle unidimensionnel classique est le modèle d’attitude le plus courant. Il énonce que l’attitude représente la réponse évaluative (affect), défavorable ou favorable, à l’objet d’attitude. L’attitude constitue ainsi la réponse situant l’objet sur une position du continuum d’évaluation. Ce modèle dit « unidimensionnel » est sous-jacent à la majorité des échelles de mesure de l’attitude. De plus, comme nous l’avons vu un peu plus haut, les approches cognitives définissent aussi l’attitude comme un affect associé à la représentation mentale d’un objet comme le précisent Breckler et Wiggins (1989), Greenwald (1989). Ce modèle est illustré dans la figure suivante : Attitude (affect)

Figure 5: Modèle unidimensionnel classique de l’attitude.

Source  : Lafrenaye (1994).

Ce modèle semble mettre un accent particulier sur l’affect et ses implications sur les réponses évaluatives. Ce modèle ne saurait expliquer les attitudes des individus face au VIH/Sida, puisque ces attitudes comportent les dimensions affectives, cognitives et comportementales. Le modèle tripartite révisé est celui le plus indiqué pour améliorer la compréhension de la structure des attitudes des individus face au VIH/Sida. 

Le modèle tripartite révisé

Zanna et Rempel (1988) ont proposé une version modifiée du modèle tripartie classique, tout en y intégrant le modèle unidimensionnel. En premier lieu, l’attitude est définie comme une catégorisation de l’objet attitudinal sur la dimension évaluative « défavorable-favorable ». Dans ce modèle, l’attitude devient donc un jugement (c’est-à-dire une opinion) exprimant un degré d’aversion ou d’attirance sur un axe bipolaire. En second lieu, cette attitude-jugement est vue comme un élément prenant appui sur trois sortes d’informations : une information cognitive, une information affective et une information basée sur le comportement antérieur ou l’intention d’agir.

On distingue ainsi l’attitude, qui consiste en un jugement « froid » sur ce qu’on aime ou déteste ; l’affect, qui fait référence à l’émotion ressentie ; les croyances, qui sont les conséquences négatives ou positives associées à l’objet ; et la structure cognitive d’anticipation de l’action. Zanna et Rempel suggèrent que les trois sortes d’information, séparément ou conjointement, peuvent déterminer l’attitude-jugement. Il en découle une « dérivation » intéressante : nous pourrions posséder plusieurs attitudes différentes à l’égard d’un même objet selon les situations. Ainsi, par rapport au préservatif, une attitude positive peut être exprimée si l’on considère le moyen de protection qu’il représente contre les MST (information cognitive) ; par contre, dans une perspective plus émotionnelle, hédoniste (par exemple l’interruption des ébats sexuels pour mettre le condom), l’attitude, basée sur une information plus affective, sera probablement négative. A cet égard, comme l’indiquent les flèches de la figure ci-dessous, il est recommandé de mesurer les quatre composantes du modèle.

Dans une étude plus récente, Zanna, Haddock et Esses (1990) ont utilisé ce modèle pour déterminer la contribution des composantes cognitive et affective dans la prédiction de l’attitude à l’égard des groupes minoritaires (américains, canadiens, français, pakistanais, homosexuels par exemple). Les résultats suggèrent que l’attitude-jugement (ou préjugé) repose plus sur une information cognitive (c’est-à-dire les stéréotypes) à l’égard de certains groupes, alors que la composante affective (soit l’intensité et la fréquence de diverses émotions ressenties) est plus saillante en présence d’autres minorités. Aussi, la mesure particulière de chacune des composantes de l’attitude permet une description plus précise. Ce modèle présente une intéressante synthèse des modèles précédents et suggère des pistes stimulantes de recherche. Il nous semble bien indiqué pour nous renseigner sur l’élaboration et la structure des attitudes vis-à-vis du VIH/Sida parce qu’il tient compte non seulement des variables affective, cognitive, et conative, qui interviennent dans la construction des attitudes vis-à-vis du VIH/Sida, mais aussi met un accent particulier sur les croyances, stéréotypes, jugements, les préjugés qui influencent d’une manière ou d’une autre la construction, l’édification, la structure desdites attitudes vis-à-vis du VIH/Sida. La figure suivante en est une véritable illustration :

Figure 6: Modèle tripartite révisé de l’attitude

Source : Lafrenaye (1994).

Ce modèle, comme nous l’avons dit un peu plus haut, est celui que nous adoptons pour exposer la structure des attitudes des adolescents vis-à-vis du VIH/Sida. L’objet d’attitude, dans le cadre de notre étude, c’est le VIH/Sida qui peut être substitué par le préservatif. Cet objet bien entendu suscite cognition, affect, évaluation et cognition qui, d’une manière ou d’une autre, ébranle les attitudes y afférentes. Aussi, faut-il s’intéresser à la formation et aux sources des attitudes.