2.1.9- De l’intention au comportement

Le behaviorisme strict rejetait la notion d’intention (intentionnalité) et lui déniait toute valeur d’explication causale. L’intention a refait surface dans la psychologie contemporaine. Dans les situations sociales, les imitations précoces, les gestes ou postures d’offrande, les désignations naturelles paraissent indiquer l’intention de communiquer. En psychologie cognitive, l’intention exprime le caractère finalisé des comportements. Ce qui veut dire que l’émetteur connaît l’effet de ses actions sur le comportement du destinataire.

Au cours des dernières années, plusieurs travaux ont visé à identifier et à mieux comprendre les facteurs psychosociaux qui permettent de prédire les comportements liés à la santé. Pour ce faire, différentes théories psychosociales, telles que la théorie de l’action raisonnée (Ajzen et Fishbein, 1980), la théorie des comportements interpersonnels (Triandis, 1980), la théorie sociale cognitive (Bandura, 1982), et la théorie du comportement planifié (Ajzen, 1985, 1988, 1991) ont été régulièrement appliquées. Ces travaux ont contribué à valider l’application des théories susmentionnées pour l’étude de comportements sociaux liés à la santé (Godin et Koh, 1996). Il ressort toutefois que ces modèles, pris isolément, ne permettent pas de cerner toute la complexité des comportements étudiés. L’examen détaillé des résultats de la recherche en ce domaine suggère cependant qu’une combinaison des modèles pourrait s’avérer efficace pour prédire et expliquer les comportements liés à la santé (Godin et Koh, 1996).

Selon la théorie des comportements interpersonnels (Triandis, 1980), le comportement résulte de trois facteurs, soit l’intention d’adopter le comportement, l’habitude et la présence de conditions facilitant ou empêchant l’adoption du comportement. L’intention est l’expression de la motivation à adopter le comportement alors que l’habitude est le degré d’automatisme d’un comportement dans une situation donnée. Dans notre étude, l’habitude fait référence au fait que les personnes ont déjà réalisé le comportement (le port du préservatif) par le passé. Les conditions facilitant ou empêchant l’adoption du comportement incluent des circonstances qui rendent plus ou moins difficile l’adoption du comportement chez un individu.

Quatre facteurs principaux définissent l’intention : les composantes cognitives et affectives de l’attitude, les croyances normatives, les croyances en l’existence de rôles sociaux spécifiques et les convictions personnelles (normes morales). La composante cognitive de l’attitude est le résultat d’une analyse subjective des avantages et des désavantages qui résulteraient de l’adoption du comportement. L’individu traduit en croyance un certain nombre de conséquences avantageuses et désavantageuses provoquées par l’adoption d’un comportement. La dimension affective est la réponse émotionnelle d’une personne à la pensée d’adopter un comportement donné.

Par exemple, une personne pourrait décider de ne pas consentir au port du préservatif parce que cette pensée susciterait trop d’anxiété chez elle. Il s’agit par exemple des personnes qui ont des perceptions et représentations défavorables du préservatif et celles qui ont des problèmes psychosomatiques (impuissance) suscité par le préservatif ou le port du préservatif. Les croyances normatives sont celles d’un individu concernant les chances qu’une personne significative pense qu’il devrait adopter ou non le comportement. La croyance en l’existence de rôles sociaux désigne le degré auquel une personne perçoit qu’il est approprié de réaliser le comportement pour des individus occupant une position similaire à la sienne dans la structure sociale. Les convictions personnelles (variables qui réfèrent au concept de normes morales dans la littérature anglophone) mesurent le sentiment d’obligation personnelle quant à l’adoption du comportement. Ce facteur se réfère aux règles de conduites personnelles ou, en d’autres termes est en accord ou non avec ses principes. De plus, les convictions personnelles se distinguent de la croyance normative. Elles ne dépendent pas de la perception de ce que pensent les autres, mais plutôt des principes personnels en regard du comportement, dans la mesure où une personne valorise la vie, par exemple, elle sera davantage encline à porter un préservatif. Mais dans les sociétés africaines où la vie reste un réel calvaire pour certains, il est difficile qu’ils la valorisent et par conséquent ils n’adoptent pas les comportements préventifs.

Plusieurs auteurs à l’instar d’Armitage et Conner (2001), Sheeran (2002), Godin et Kok (1996) ont démontré que la relation intention-comportement était influencée par certaines variables dites modératrices. En conséquence, des personnes endossant fortement ou non l’une ou l’autre de ses variables modératrices présentent une relation intention comportement plus ou moins forte. La connaissance de cet effet permet donc d’ajuster les stratégies d’information subséquentes de manière appropriée. Dans le cadre de notre étude, nous assimilerons parfois ces variables modératrices à ce que nous appelons variables intermédiaires. Ceci nous permettra de mesurer leur influence sur la dynamique fonctionnelle entre les registres affectifs et cognitifs, puisque ces variables intermédiaires sont d’ordre affectif et cognitif.

Dans un travail récent (Godin et Kok, 1996) portant sur l’intention de faire un don de sang, il apparaît clairement que l’intention des individus est d’abord déterminée par la perception des barrières et obstacles (réels en perçus) au don de sang. Ainsi la mise en place des facteurs facilitant le don de sang, ainsi que le développement d’une meilleure perception du contrôle parmi la population, apparaissent comme des avenues promotionnelles incontournables. L’intention est donc le déterminant incontournable de l’action si elle tient compte dans son élaboration de la perception des barrières et obstacles de l’expérience antérieure du sujet et des variables facilitant la production de l’action.

L’intention dans cette étude est abordée comme représentation d’un but, contenu d’une pensée, d’une croyance, d’un désir ou encore contenu de la conscience intellectuelle. Le cadre conceptuel de cette étude est celui de Fishbein et Ajzen (1975), Ajzen (1991) selon lequel  les individus prennent en considération les implications de leurs actions avant de s’engager dans un comportement donné.  Non seulement parce que ce modèle a été l’un des modèles psychosociologiques prédominant dans la prédiction des comportements dans des contextes spécifiques, mais également car nous avons l’intuition que l’intention a une influence à ne pas négliger sur le port du préservatif.

D’autre part, les études sur le terrain s’accordent sur le caractère positif de la relation intention-comportement. Certes, le rôle de l’intention ne peut s’avérer suffisant dans la prédiction du comportement, toutefois, la relation intention comportement nous permet d’approcher l’objet de notre recherche et de poser la problématique de l’influence des variables intermédiaire sur le port du préservatif. Nous définissons l’intention également comme la volonté consciente chez l’individu de porter le préservatif pendant les rapports sexuels pour se protéger contre le VIH/Sida, maladie mortelle et dangereuse. L’intention réside donc dans le fait de se proposer un tel but. L’intention est alors appréhendée en termes de projections concernant le moment auquel les individus ont planifié d’utiliser le préservatif, les conséquences relatives à cette action et la nécessité d’utiliser actuellement le préservatif pour lutter contre le VIH/Sida.