3.2.1.3– La réactance: la résistance individuelle

Dans son livre sur la réactance psychologique, Brehm (1966) cité par Doise (1978) présente l’amorce d’une théorie psychologique de la liberté. Selon cette théorie, chaque fois qu’un comportement accessible à un individu est pour une raison ou une autre retiré de son champ des possibles (ou menacé de l’être), cet individu ressent une restriction de sa liberté, ce qui éveille en lui un état de réactance psychologique, état émotionnel orienté vers un recouvrement de sa liberté. Cet état sera inféré de divers comportements qui en seraient issus : réévaluation d’un choix menacé, expression d’un choix différent du choix proposé, changement d’attitude inverse à la position présentée, etc. L’ampleur ou l’importance de cette réactance psychologique est fonction de trois facteurs : l’importance des comportements éliminés ou menacés de l’être ; la proportion de comportements éliminés ou menacés de l’être ; et l’intensité d’une menace. Dans le cadre du VIH/Sida, il s’agit de la privation de certains désirs, plaisirs, besoins qui ont une importance incontestable dans la vie du sujet.

Selon la théorie de la réactance psychologique, « les gens pensent qu’ils ont des comportements spécifiques, et lorsque ces libertés sont menacées ou éliminées, l’individu devient motivé pour les rétablir » (Brehm, 1993 ; Brehm et Mann, 1975). La motivation à rétablir ces libertés a deux effets principaux :

Alors que la perspective de la motivation pour le contrôle est relativement générale, la réactance psychologique est spécifique puisqu’elle porte sur la restauration des libertés comportementales menacées ou éliminées (Brehm, 1993).

Nous pouvons résumer la résistance psychologique de Brehm comme suit :

Pour cette stratégie (réactance), on peut l’amener à se comporter d’une manière donnée. Par exemple, les films interdits aux moins de 16 ans parce qu’ils sont interdits = désir plus intense de les voir, évaluation plus positive. Dans le cadre de la lutte contre le VIH/Sida, certaines conduites défavorables comme la précocité sexuelle, le multi partenariat, le non-usage du condom, ont été proscrites (interdites). D’après le modèle de Brehm, la résistance des adolescents à ces conduites peut s’expliquer comme suit : précocité sexuelle, multi partenariat sexuel, non usage du préservatif parce qu’ils sont proscrits = désir plus intense chez les adolescents de les pratiquer. Notre préoccupation consiste à montrer que la résistance à l’usage du préservatif constatée chez les adolescents peut se justifier par les facteurs psychologiques. Dans le cas de la réactance, elle peut être motivée par une évaluation plus positive chez les adolescents. Il faut toutefois noter que les désirs, besoins, plaisirs, émotions suscités par l’acte sexuel selon qu’il est réalisé avec ou sans préservatif peuvent favoriser la réactance et la rendre caduque.

Une autre étude menée par Wicklund et Brehm (1976) sur les changements d’attitudes liées à une situation de censure permet de rendre compte de façon plus précise d’un état de réactance. L’hypothèse de cette expérience considère la censure comme une pression sur la liberté qui pouvait déclencher des réactions pour la préserver. Il est apparu que les élèves informés de la censure avaient développé une attitude encore plus prononcée en faveur de l’attitude interdite. La censure n’a donc aucunement modifié leurs attitudes dans le sens désiré. Dans le cadre du VIH/Sida, la censure est la mort ou les souffrances causées par la maladie.

Les adolescents sont pour la plupart familiarisés aux souffrances, au paradoxe du destin et aux affres de la mort. Poser la question de la lutte contre le VIH/Sida sous cet angle ne produirait pas de changement majeur sur le plan psychologique. Car ils vivent dans un environnement où la souffrance, la douleur et la mort sont leurs fidèles compagnons. Dans ce cas, la résistance psychologique devient encore plus forte. Car l’élément nouveau ne trouve pas de repères sur le plan psychologique.