3.2.2.1– Dissonance cognitive et changement de comportement

Toutes les théories des attitudes, également appelées théories de la cohérence cognitive, font appel au concept d’homéostasie, c’est-à-dire à la faculté qu’ont les êtres vivants de maintenir ou de rétablir certaines constances psychologiques ou physiologiques qu’elles que soient les variations du milieu extérieur. Ces théories partagent en prémisse le principe de cohérence qui pose la cohérence comme mécanisme organisateur premier : l’individu est plus satisfait avec la cohérence qu’avec l’incohérence. Il faut retenir que l’individu forme un système ouvert dont le but est de maintenir la cohérence autant que possible (on parle aussi de la balance ou d’équilibre). Les changements d’attitude et de comportement résultent de ce principe dans les cas d’incohérence.

Les cognitions sur le port du préservatif d’une manière générale, regroupent tous les éléments cognitifs qui y sont relatifs : les perceptions (c’est-à-dire le sens que les individus donnent au préservatif et au port du préservatif), les attitudes propositionnelles (composante cognitive du port du préservatif) les émotions (composante affective du port du préservatif), les comportements (internalisation des actions ou port effectif du préservatif). De l’ensemble de ces cognitions résultent les attitudes qui sont des dispositions psychologiques positives ou négatives en rapport à un objet concret, abstrait ou à un comportement.

La théorie de la dissonance cognitive considère que deux éléments de cognition (perception, attitudes propositionnelles ou comportementales) sont en rapport ou pas (un lien pertinent les relie ou non). Deux cognitions liées sont soit consonantes (ou cohérentes) soit dissonantes (incohérentes). Elles sont dites consonantes si l’une entraîne ou supporte l’autre. A l’inverse, deux cognitions sont dissonantes si l’une entraîne ou supporte le contraire de l’autre. L’hypothèse de base de cette théorie stipule de ce fait que la dissonance produit chez le sujet une tension qui l’incite au changement. L’existence d’une dissonance plonge le sujet dans un état inconfortable de sorte que ça le motive à réduire cette dissonance. Plus la dissonance est intense, plus ce malaise psychologique est fort et plus la pression pour réduire la dissonance l’est aussi. Une dissonance peut être réduite en :

  • Supprimant ou réduisant l’importance des cognitions dissonantes ;
  • Ajoutant ou augmentant l’importance des cognitions consonantes.

Selon Festinger (1957), les notions essentielles de cette théorie sont extrêmement simples : « L’existence simultanée d’éléments de connaissance qui, d’une manière ou d’une autre, ne s’accordent pas (dissonance), entraîne de la part de l’individu un effort pour les faire, d’une façon ou d’une autre, mieux s’accorder (réduction de la dissonance). » Cette théorie a l’intérêt de montrer comment les individus sont portés à réduire l’état perturbateur ainsi engendré. La réduction de la dissonance renvoie à un mécanisme qui diminue la tension intérieure créée par l’existence simultanée d’éléments de connaissances discordantes.

Nous pouvons résumer cette situation par le schéma suivant : Conflit comportement – attitude → malaise, d’où justification (suffisante ou insuffisante (soumission forcée ou librement consentie)) ; effet de l’effort et de la surjustification. Dans le cas du changement d’attitude face au VIH/Sida, ce schéma se présente comme suit : conflit comportement sexuel – attitude → malaise, d’où justification ou surjustification par l’adoption des conduites contre attitudinales, ce qui peut entraîner la résistance ou le changement.

Croyle et Cooper (1983) dans une expérience ont mis en évidence l’apport de l’excitation psychologique et physiologique dans les changements d’attitudes. Leur expérience consiste à écrire un texte contre attitudinal. Le schéma est le suivant : écrire un texte contre attitudinal → dissonance → malaise physiologique et psychologique → changement d’attitude → réduction du malaise. Dans le cas de la sexualité, la dissonance cognitive peut se confronter à une tension sexuelle dont seul l’assouvissement par la satisfaction pourra permettre à l’individu de parvenir à l’homéostasie. Cette tension sexuelle, si elle est mal négociée peut conduire l’individu à une véritable résistance au changement d’attitude et de comportement. 

Pour éliminer cette tension, le sujet peut agir de différentes façons :

  • Changer la cognition afin qu’elle soit consonante avec la situation : c’est le principe de base de l’apprentissage, ou de l’adaptation, dans la théorie de Festinger ;
  • Changer la situation afin qu’elle soit consonante avec la cognition : un sujet peut agir sur son partenaire sexuel pour l’amener dans un état où la cognition est de nouveau consonante avec le port du préservatif.

Il faut également préciser que si une consonance existe, le sujet va éviter les changements d’attitudes ou de comportements susceptibles d’introduire de la dissonance. De même, si une dissonance est présente, l’agent va éviter les changements de cognition susceptibles d’augmenter la magnitude de la dissonance et s’orienter vers des changements susceptibles de la diminuer. En l’absence d’équilibre, ces tendances se manifestent donc par des changements d’attitudes ou de comportements. Pour rendre la théorie de la dissonance cognitive plus utilisable, il faut pouvoir déterminer quelles sont les conditions qui décident si ce sont les attitudes ou les comportements qu’il faut changer. Cela dépend de rapports d’importance entre ces tendances et de la résistance au changement des différentes cognitions et comportements en jeu.

En effet, les cognitions ne sont pas toutes également manipulables, la probabilité qu’une cognition soit modifiée pour réduire la dissonance dépend de ce que Festinger lui-même nomme sa résistance au changement. La résistance au changement d’une cognition est directement fonction du nombre et de l’importance des éléments avec lesquels elle est consonante, de son ancienneté ainsi que de la manière dont elle a été acquise : perception, cognition ou communication.

Nous convenons donc avec Festinger que la manière dont les individus définissent ce qu’ils font, ce qu’ils pensent de leurs actions et ce qui les amène à changer d’avis et donc changer leur manière d’agir constitue l’unité principale de mesure du changement ou de la résistance au changement. C’est donc la théorie de la dissonance cognitive qui permet de rendre compte du changement ou de la résistance au changement.