3.2.2.5– Soumission librement consentie et changement de comportement

Cette expression « soumission librement consentie », chère à Beauvais et Joule (1987, 1998) souligne le fait que le changement comportemental n’est pas obtenu autoritairement, ni même par le biais de quelques stratégies persuasives, mais dans un contexte de liberté. Le sujet en arrive à décider de faire ce qu’il n’aurait pas fait spontanément, par exemple, rendre un service à quelqu’un dans l’embarras, défendre une bonne cause, donner de l’argent pour une œuvre de bienfaisance, etc. Ce n’est donc pas parce que le comportement en jeu est contraire aux convictions ou aux motivations du sujet qu’il se montre peu enclin à l’émettre, c’est plutôt parce que son coût est tel (pour lui en tout cas) qu’il préfère ordinairement s’en dispenser. Aussi, ces procédures semblent utiles à quiconque souhaite aider des individus à modifier leurs comportements.

L’étude scientifique de la soumission sans pression date effectivement des années 1960. En effet, c’est en 1966 que Freedman et Fraser proposèrent à la fois le concept et le principe d’une des techniques susceptibles d’inciter autrui à se comporter tout autrement qu’il ne l’aurait fait spontanément : la technique du « pied-dans-la porte ». Son principe est simple. Il consiste à demander peu dans un premier temps pour tenter d’obtenir beaucoup ensuite. Autrement dit, on amène le sujet à réaliser un premier comportement peu coûteux avant de lui demander de réaliser le comportement plus coûteux qu’on attend de lui. Par exemple, on peut demander aux adolescents d’acheter et d’apprendre à mettre un préservatif (de toujours avoir un préservatif avec lui) avant de leur demander de le porter régulièrement pendant les rapports sexuels. Ainsi, l’acceptation d’une requête peu coûteuse, dans un premier temps, augmente la probabilité d’acceptation d’une requête plus coûteuse dans un second temps. Des adolescents qui acceptent d’acheter un préservatif et de l’avoir régulièrement avec eux ont plus de chance de l’utiliser pendant les rapports sexuels que ceux qui n’ont pas accepté l’acheter et l’avoir avec eux.

La seconde technique de soumission sans pression est l’amorçage. Elle a été expérimentalement éprouvée à la fin des années 1970 à l’université de l’Arizona par Cialdini et ses collaborateurs. L’amorçage (Cialdini et al., 1978) consiste à amener le sujet à prendre une première décision en lui cachant son coût réel ou en faisant miroiter des avantages fictifs. Sa décision prise, on lui délivre l’information totale où on lui fait savoir que les avantages qu’il escomptait ne pourront lui être consentis, ce qui a pour effet de rendre cette décision plus coûteuse ou moins intéressante que prévu. On lui laisse alors la possibilité de revenir sur sa décision.

Le phénomène d’amorçage traduit la tendance qu’a le sujet à néanmoins maintenir sa décision initiale. Cette technique, bien qu’importante et objective, a du mal à être utilisée dans le cas du port du préservatif. Car, le comportement sexuel est sujet d’incertitude et ne se réalise pas tout seul. Toutefois, l’effet d’amorçage se traduit dans la plupart des cas par le fait que l’individu tend à maintenir sa décision initiale, en dépit des dernières informations qui lui ont été communiquées.

La dernière technique de soumission sans pression est « la porte au nez ». Cette technique élaborée par Cialdini et al. (1975) repose sur le principe inverse de celui du pied dans la porte, puisqu’on commence par formuler une requête trop importante pour pouvoir être acceptée avant de formuler celle qui porte sur le comportement attendu, une requête évidemment moins importante. Par exemple, on demande au sujet s’il accepterait l’abstinence sexuelle jusqu’au mariage. Après refus, la seconde requête est formulée : accepter de porter le préservatif pendant tous leurs rapports.

En définitive, l’efficacité de ces trois procédures de soumission librement consentie passe par l’obtention d’un premier comportement (acceptation ou refus) qui a pour effet de rendre plus probable l’émission d’un comportement ultérieur allant dans le même sens. Dans le cadre du port du préservatif face au VIH/Sida, le premier comportement serait l’achat du préservatif et le second comportement son usage régulier. Car, le plus souvent, la seconde décision s’explique par une persévération ou persistance de la première, même après que l’individu ait été informé des conséquences effectives de son choix initial.