3.4.7- La théorie sociale cognitive (TSC)

Les travaux de Bandura connaissent un succès marqué depuis de nombreuses années. Ils ont d’abord été célèbres dans le domaine de l’apprentissage social (Bandura, 1980), ils le sont aujourd’hui avec le sentiment d’efficacité personnelle (SEP) (Bandura, 1986, 1997). Mais ces concepts phares valent surtout par leur intégration dans un ensemble théorique éprouvé : la théorie sociale cognitive (TSC) qui inspire des recherches et des applications dans des secteurs aussi variés que la psychologie clinique et pathologique, l’éducation, la santé, le travail ou le sport. Nous-mêmes avons trouvé, dans cette TSC, des fondements solides pour illuminer nos réflexions sur la production, le changement et la résistance au changement de comportement sexuel chez les adolescents.

La TSC provient de la psychologie et tire ses racines du behaviorisme et de la psychologie sociale. Le behaviorisme fut l’objet d’un débat important sur la possible existence de processus médiateurs entre le stimulus et la réponse ; en effet, les opinions étaient divisées à savoir si le comportement n’était que la conséquence de renforcements et de punitions ou s’il pouvait antérieurement avoir été initié par un feed-back. Certains psychologues avaient déjà proposé la notion de médiateur : nous pouvons penser à William James avec sa notion d’habitude, Freud avec sa notion de pulsion, Tolman, avec celle de la cognition. En 1930, Tolman défendit l’idée qu’une autre variable intervenait comme médiateur entre le stimulus et la réponse ; il introduisit alors le concept d’attente. Avec l’introduction de la cognition, les trois variables du comportement se trouvaient réunies pour l’élaboration de la théorie de l’apprentissage social (TAS) qui allait donner naissance à la théorie sociale cognitive.

La TSC définit le comportement comme une « triade dynamique » dans une interaction réciproque de facteurs personnels, de comportement et d’environnement. Ici, ce sont les processus cognitifs qui sont les premiers médiateurs du comportement ; ainsi les conséquences de la réponse seront utilisées pour façonner le traitement des futurs comportements et ceci avant même que le comportement ne soit engagé. De plus la TSC stipule que la majorité des comportements sont appris par imitation (apprentissage vicariant).

Pour la TSC, l’important apport de la cognition implique que la pensée est une force active qui construit la réalité de chacun d’entre-nous, sélectionnant l’information, et choisissant des comportements sur la base des attentes et des valeurs. Par le biais du feed-back et de la réciprocité, la réalité d’un individu se forme grâce à l’interaction de l’environnement et de la cognition. Cependant, le traitement de l’information (attention, mémoire, capacité d’utiliser des symboles, et habiletés de résolution de problèmes) change avec le temps, selon le niveau d’expériences et de maturation. Ainsi, la compréhension des processus impliqués dans la construction de la réalité de chacun d’entre nous permet la description du comportement, sa prédiction et la capacité de le changer.

La théorie sociale cognitive est basée sur la notion d’interaction. Bandura (1986) précise qu’il ne suffit pas de considérer le comportement comme étant fonction des effets réciproques des facteurs personnels et environnementaux les uns sur les autres mais que l’interaction doit être comprise comme un déterminisme réciproque des facteurs personnels, environnementaux et des comportements selon le schéma ci-dessous :

Figure 10 : Schéma des déterminismes réciproques dans la théorie sociale cognitive de Bandura (1986).

Ainsi, dans cette conception, l’influence de l’environnement sur les comportements reste essentielle ; mais à l’inverse de ce qu’on trouve dans les théories behavioristes de l’apprentissage (conditionnement classique et opérant) une place importante est accordée aux facteurs cognitifs, ceux-ci pouvant influer à la fois sur le comportement et sur la perception de l’environnement. Cette perception est en effet plus déterminante que les conditions réelles dans lesquelles se trouve l’individu. Pour Bandura (1980), les humains ne répondent pas seulement à des stimuli, ils les interprètent. Bandura cite plusieurs exemples montrant que l’effet de la situation sur le comportement (renforcement) ne devient vraiment significatif que lorsque le sujet prend conscience de ce renforcement. Mais ce modèle de causalité triadique et réciproque n’implique ni que chacun des trois facteurs intervienne avec la même force dans une situation donnée ni que les trois facteurs soient concernés en même temps.

La bi-directionnalité de l’influence signifie aussi que les personnes sont à la fois produits et productrices de leur environnement (Wood et Bandura, 1989). Le comportement d’un individu peut affecter sa façon d’expérimenter l’environnement à partir de son attention. Ainsi, à partir d’une vaste gamme de possibilités, l’individu choisira ses interactions et ses activités selon ses préférences et ses compétences. L’agressivité d’un individu pourrait par exemple influencer son milieu en provoquant un environnement hostile. La capacité d’influencer son propre destin, tout en reconnaissant que tout individu est soumis à certaines règles, s’inscrit dans cette influence bidirectionnelle. Les individus ne sont ni esclaves de leurs pulsions, ni jouets de leur environnement. Ainsi, selon le réseau d’influence, ces derniers (individus) contribuent à leurs propres motivations, comportements et développement.

Dans la TSC, la gravité perçue des problèmes de santé et le risque d’en être victime représentent le côté néfaste des attentes de résultats physiques, tandis que les bénéfices de santé perçus en constituent le côté positif. Selon la TSC, les influences normatives régulent le comportement par l’intermédiaire de deux fonctionnements : les sanctions sociales et les auto sanctions (Bandura, 1986). Les normes sociales influencent le comportement de manière anticipatoire par les conséquences sociales qu’elles produisent. Le comportement qui viole les normes sociales dominantes suscite une censure sociale et d’autres conséquences dommageables, tandis que le comportement qui correspond à des normes socialement valorisées est approuvé et récompensé.

Cependant, les gens n’agissent pas uniquement sur la base de sanctions sociales anticipées. Ils adoptent certains critères de comportement et régulent leurs actions de manière anticipatoire par l’intermédiaire des conséquences auto-évaluatives qu’elles génèrent pour eux-mêmes. Les normes sociales véhiculent également des critères de conduite. L’adoption de critères personnels crée un système autorégulateur qui agit largement par l’intermédiaire d’autosanctions internalisées (Bandura, 1991). Les gens se comportent d’une manière qui leur procure de l’autosatisfaction, et ils évitent d’agir d’une façon qui viole leurs critères car ce comportement produira une autocensure. Cette conception peut expliquer la résistance à l’adoption des comportements préventifs du VIH/Sida (abstinence, fidélité, port du condom). Car, il s’agit là des comportements donc l’adoption et la pratique ne procurent pas du plaisir. Les gens résistent donc au changement de comportement pour des besoins de plaisir et de satisfaction sexuels.

Bien que les concepts centraux des modèles de Ajzen et Fishbein soient appelés attitudes et normes sociales, les deux sont opérationnalisés comme des croyances relatives aux résultats. Le facteur d’attitude réfère aux coûts et bénéfices anticipés du comportement et le facteur normatif réfère aux résultats sociaux anticipés. La TSC englobe ces deux types d’attentes de résultat plus le troisième type important, qui est enraciné dans les critères personnels et les autosanctions. Ajzen (1985) a élargi le modèle conceptuel de l’action raisonnée en y ajoutant le contrôle comportemental perçu. La recherche de Dzewaltowski (1989) indique que ce contrôle mesure essentiellement le sentiment d’efficacité personnelle des individus. Donc, quand l’efficacité personnelle perçue est incluse comme prédicteur, le contrôle comportemental ne produit pas de contribution indépendante à la performance. Dans des tests comparatifs, le modèle élargi, appelé théorie du comportement planifié, a un plus grand pouvoir prédictif que la version originale dépourvue du facteur à identique à l’efficacité. Avant d’explorer le modèle élargi et la version originale (la théorie de l’action raisonnée) intéressons-nous un tant soit peu au modèle de motivation de protection qui pose des problèmes du sentiment d’auto-efficacité sous l’angle cognitif.