3.4.8- Le modèle de motivation de protection

Dans le cadre du modèle de motivation à se protéger (que nous nommerons PMM pour « Protection Motivation Model »), Rogers (1975, 1985) met l’accent sur les réactions cognitives médiatrices de la stratégie d’action et expose dans le même temps des règles d’élaboration pour construire un message de prévention fondé sur la peur efficace. Selon la théorie de la motivation à la protection (Rogers, 1975), l’intention de se protéger est une fonction multiplicative du jugement a) de la probabilité d’apparition de la menace ou vulnérabilité, b) de la sévérité de la menace et c) de l’efficacité des recommandations proposées. La combinaison de ces trois variables cognitives éveillerait la motivation à la protection qui, à son tour, favoriserait l’adoption des recommandations proposées dans le message. Par exemple, un adolescent sexuellement actif se protégerait du VIH/Sida, s’il était persuadé de contracter le VIH pendant les rapports sexuels non protégés (vulnérabilité), que ce virus est fatal (sévérité) et qu’un bon moyen de s’en prémunir consiste à porter un préservatif pendant les rapports sexuels (efficacité des recommandations).

Une nouvelle version de la théorie de Rogers (1983) introduit le concept d’efficacité personnelle (self-efficacy ou personal efficacy) comme quatrième variable cognitive médiatrice de la motivation à la protection (Maddux et Rogers, 1983). Ce concept provient de la théorie de l’apprentissage social de Bandura (1997, 1998) et réfère à la capacité perçue de l’individu d’adopter la recommandation proposée ou de faire ce qu’on lui demande. Les recherches montrent que l’efficacité des recommandations et l’efficacité personnelle sont de bons prédicteurs de l’intention d’adhérer aux recommandations et motivent les individus à se protéger (Floyd, Prentice-Dunn et Rogers, 2000 ; Girandola, 2000 ; Witte et Allen, 2000). Classiquement, un message apeurant comprend deux parties. La première est consacrée à la description de la sévérité de la menace et à la vulnérabilité de la population concernée. La seconde propose des recommandations destinées à faire face à cette menace. Elle préconise soit un comportement de détection (par exemple, auto-examen des risques sexuels courus) en insistant à la fois sur sa facilité et sa fiabilité, soit à un comportement de prévention (par exemple, s’abstenir sexuellement, être fidèle à un partenaire, porter régulièrement un préservatif pendant les rapports sexuels).

Les adeptes du PMM recommandent aux émetteurs de campagnes de santé publique de présenter dans un message, en plus des menaces liées au comportement incriminé, les aides existantes pour adopter plus facilement la solution préconisée (pour le port du condom, on trouve par exemple la baisse du prix des condoms, la distribution gratuite, l’apprentissage de son usage, la valorisation du condom…). Ces différentes conditions au déclenchement d’une stratégie d’action ont effectivement été validées dans de nombreuses études sur le changement de comportement, où il a été montré qu’un message phobique est d’autant plus efficace qu’il est accompagné de solutions jugées pertinentes et possibles à mettre en œuvre pour le prospect (Leventhal et al., 1967 ; Rogers et Thistlethwaite, 1970 ; Rogers et Deckner, 1975 ; Rogers et Mewborn, 1976 ; Rogers et al., 1978 ; Rosen et al., 1982 ; Maddux et Rogers, 1983).

Des analyses multivariées ont été conduites par des programmes de santé destinés à favoriser diverses activités liées à la santé, comprenant le passage d’examens médicaux pour des problèmes potentiels de santé, la réalisation de tests autodiagnostiques pour une détection précoce des maladies et l’adoption de pratiques qui réduisent le risque de maladie et améliorent la santé. Les contributions relatives des différents facteurs sont habituellement évaluées en relation avec les intentions de mettre en œuvre les pratiques de santé, moins souvent avec le comportement réel. Les résultats montrent très régulièrement que l’efficacité personnelle perçue et l’efficacité de réponse sont des facteurs fiables des actions de santé pour divers domaines de comportement. Les effets de la menace perçue, particulièrement la gravité, sont bien plus faibles et irréguliers (Kasen et al., 1992 ; Rippetoe et Rogers, 1987 ; Stanley et Maddux, 1986 ; Taal, Seydel et Wiegman, 1990 ; Wurtele et Maddux, 1987). En effet, une haute menace personnelle perçue par la santé conduit souvent à une pensée dysfonctionnelle et à l’évitement des actions protectrices. Les obstacles perçus constituent de meilleurs prédicteurs du comportement préventif dans la version originale du modèle de croyance de santé (Janz et Becker, 1984). Il reste toutefois, à déterminer si les obstacles perçus rendent compte de la variation du comportement de santé quand l’influence des attentes de résultat négatif et d’efficacité personnelle perçue est éliminée.

En résumé, il ressort qu’une campagne de lutte contre une maladie ou un comportement de santé ne peut se fonder seulement sur une communication qui engendre de la peur chez la cible visée. En effet, si un tel axe créatif se révèle pertinent pour motiver une cible en phase de pré-contemplation, il doit être accompagné d’un plan de campagne plus complet pour que le message débouche plus sûrement sur une stratégie d’action. Il faut également reconnaître que le caractère émotionnel (la peur) à lui seul ne suffit pas pour susciter la prévention chez les individus, il est également important de scruter la variable rationnelle qui est aussi déterminante dans l’adoption d’un comportement préventif suite à un message persuasif. C’est pourquoi nous trouvons nécessaire d’aborder la théorie de l’action raisonnée d’Ajzen et Fishbein pour mieux comprendre les différentes alternatives comportementales des individus face au VIH/Sida.