3.4.10- La théorie du comportement planifié (TCP)

La robustesse de la théorie de l’action raisonnée a été amplement démontrée (Sheppard, Hartswick et Warshaw, 1988, cités par Madden, Ellen et Ajzen, 1992). Elle néglige cependant le fait que nos comportements ne sont parfois que partiellement volontaires, ou bien, qu’ils sont dépendants du contrôle que nous pensons avoir sur nos actes. C’est pour remédier à ces insuffisances qu’Ajzen et Madden (1986) proposent une théorie du comportement planifié. Elle conserve les éléments de la théorie de l’action raisonnée tout en incluant le contrôle comportemental perçu par le sujet comme antécédent des intentions comportementales. Le contrôle comportemental perçu sera lui-même déterminé par les croyances qu’a le sujet concernant ce contrôle. Ces croyances, bien entendu, peuvent parfois se révéler être des illusions de contrôle.

Les intentions de l’individu d’émettre un comportement donné constituent le facteur central de la théorie du comportement planifié. Elles sont supposées saisir les facteurs motivationnels qui influencent le comportement. L’intention ne s’exprime en comportement effectif que si celui-ci est sous le contrôle de l’individu. Les facteurs externes (temps, argent, connaissance, coopération des autres, etc.) déterminent le contrôle réel de l’individu sur le comportement.

La perception du contrôle sur le comportement se réfère aux ressources dont dispose l’individu, à ses propres capacités, aux opportunités disponibles ainsi qu’à la perception de l’importance d’arriver à accomplir les résultats. Le concept de perception du contrôle sur le comportement se rapproche le plus du concept d’auto-efficacité de Bandura (1982). En effet, les croyances d’un individu sur son auto-efficacité peuvent avoir une influence sur son choix d’activités, sur sa préparation pour l’activité et finalement sur l’effort qu’il met en place durant l’activité en question. Ainsi, si par exemple deux individus ont la forte intention d’apprendre une nouvelle langue, celui qui pense qu’il parviendra à le faire aura tendance à persévérer davantage que celui qui doute de ses capacités (Ajzen, 1991).

En effet, Ajzen (1985) a élargi le modèle conceptuel de l’action raisonnée en y ajoutant le contrôle comportemental perçu. La recherche de Djewaltowski (1989) indique que ce contrôle mesure essentiellement le sentiment d’efficacité personnelle des individus. Donc, quand l’efficacité personnelle perçue est incluse comme prédicteur, le contrôle comportemental perçu ne produit pas de contribution indépendante à la performance. Dans des tests comparatifs, le modèle élargi ou la théorie du comportement planifié, a un plus grand pouvoir prédictif que la version originale dépourvue du facteur identique à l’efficacité (Ajzen et Madden, 1986). Les croyances en l’efficacité personnelle affectent le comportement à la fois directement et en influençant l’intention. Etant donné que l’efficacité personnelle perçue affecte la pensée, la motivation et les états émotionnels, tous ces éléments agissant sur le comportement, il n’est pas surprenant que l’intention ne soit pas l’unique facteur proximal du comportement. Le passage de l’intention à l’action est loin d’être automatique. Ces autres facteurs peuvent l’emporter sur les meilleures intentions.

Le modèle d’Ajzen part donc du principe que trois variables (l’attitude, les normes subjectives et la perception du contrôle) influencent directement les intentions d’effectuer un comportement. Cette intention influence à son tour le comportement. La figure ci-dessous illustre les liens entre les différentes variables :

Figure 11: Théorie du comportement planifié

Source : (Ajzen, 2006, e-test).

La théorie du comportement planifié a été testée dans une série d’études sur les pratiques de santé, en substituant les croyances d’efficacité au contrôle comportemental (De Vries et al., 1988, De Vries, Kok et Dijkstra, 1990 ; Kok et al., 1991). Les croyances d’efficacité prédisent à la fois les intentions et le comportement de santé, même après avoir contrôlé les influences sociales, attitudinales et normatives. Elles le font longitudinalement aussi bien que simultanément. Quand la priorité causale n’est pas imposée dans les analyses, les croyances d’efficacité apportent une contribution sensiblement plus importante au comportement que ne le font les deux autres facteurs. Le facteur normatif contribue généralement de façon négligeable au comportement de santé. On peut donc se demander si ce facteur est sans importance, ce qui semble peu probable, ou si une meilleure conceptualisation et une évaluation précise de ce facteur en termes d’attentes de résultats sociaux mettraient à jour un certain effet sur l’adoption et le maintien d’habitudes de santé.

Les changements d’habitudes ont peu d’effets s’ils ne durent pas. Beaucoup d’habitudes de style de vie qui affaiblissent la santé sont soumises à de fortes influences dans la vie quotidienne. Les habitudes intégrées à des relations interpersonnelles et qui font partie de modes organisés d’activités quotidiennes ne sont pas faciles à stopper. Les personnes qui souhaitent changer de comportement doivent affronter non seulement les pressions sociales mais aussi les satisfactions qui lui sont liées. De plus, les pratiques favorables à la santé sont parfois pénibles, surtout dans les phases initiales de changement. Le maintien du changement d’habitude repose fortement sur des aptitudes autorégulatrices et sur la valeur fonctionnelle du comportement.

Il arrive le plus souvent que le sujet puisse sous-estimer les barrières menant à l’accomplissement d’un acte. Par exemple, Beale et Manstead (1991) ont étudié, chez des mères, l’intention de limiter le sucre dans les régimes pour des bébés. Les résultats indiquent qu’une mère qui a élevé plusieurs enfants affiche une impression de contrôle moins élevée vis-à-vis de l’intention de limiter l’ingestion de sucre chez son dernier-né qu’une mère primipare. La contribution d’un contrôle comportemental perçu peu réaliste sera donc négligeable dans la prédiction de l’action. Dans la figure ci-dessus, la ligne brisée indique que la route allant du contrôle perçu au comportement jouera un rôle causal seulement lorsque le contrôle perçu et le contrôle effectif coïncident.

La théorie du comportement planifié a déjà suscité plusieurs dizaines de recherches publiées. Les résultats indiquent une augmentation considérable du pourcentage d’explication de l’intention d’agir ; par contre, les résultats sont plus mitigés au regard du comportement. Le véritable problème de la théorie du comportement planifié est l’action. L’action humaine est déclenchée par plusieurs déterminants don l’intention ne saurait absorber. La problématique de l’action humaine bien qu’ancienne reste encore d’actualité. Les problèmes de prédiction, de contrôle, de production de l’action humaine ne sont pas encore définitivement résolus, parce qu’ils se heurtent au caractère énigmatique de l’action. Pour mieux situer notre problématique théorique, il est indispensable de présenter les grandes approches théoriques du passage de l’intention à l’action.