3.5.2- Le modèle de passage de l’intention à l’action de Dörner (1986)

Dörner (1986) a réalisé un important travail expérimental et théorique sur le passage de l’intention à sa réalisation. Il étudie l’activité de sujets dans des situations qui sont des simulations de situations de la vie courante, où l’on doit, dans un temps donné, réaliser un ensemble de tâches en étant libre de les aborder dans l’ordre que l’on veut, de les interrompre, de les reprendre à sa guise. Par exemple, les sujets sont invités à se mettre dans le rôle d’un négociant. Il est à son bureau, il est cinq heures de l’après-midi. A six heures, sa femme doit venir le chercher. D’ici là, il doit réaliser un certain nombre de tâches, treize au total. Certaines sont importantes et urgentes et ne peuvent attendre jusqu’au lendemain. D’autres sont importantes mais pas urgentes, d’autres encore sont urgentes mais pas importantes. En voici, quelques exemples :

  1. vous devez réserver une table au restaurant ce soir pour dîner avec un ami, son épouse et votre épouse ;
  2. votre fille a été absente à l’école hier, vous devez écrire une lettre d’excuses pour elle ;
  3. vous avez à préparer pour le lendemain la feuille de route pour les chauffeurs de trois camions de livraison ;
  4. vous devez déterminer les quantités de charbon à commander pour les mois prochains.

Les sujets recevaient des informations supplémentaires nécessaires pour la réalisation de chaque tâche (par exemple, dans le cas de la livraison, un plan de la ville, les adresses des clients et les quantités à livrer). Toutes ces tâches, ne requérrant pas de savoir spécifique, étaient de la compétence des sujets, mais différaient par leur difficulté et par le temps nécessaire à leur réalisation. A la fin, on demandait aux sujets d’évaluer, pour chaque tâche, son importance, son degré d’urgence, sa facilité de réalisation et son temps d’exécution estimé.

L’étude a porté sur la répartition des temps consacrés à chaque tâche et ceux-ci ont été en relation avec les types de tâches, au nombre de cinq. Le type 1 comporte des tâches de grande importance, faciles à réaliser, occupant peu de temps et d’urgence faible ; elles sont entreprises tard en moyenne mais il y a une grande dispersion autour de cette moyenne. Le type 2 regroupe des tâches importantes, urgentes, de difficulté moyenne et longue à réaliser : elles sont entreprises relativement tôt et les sujets s’y consacrent assez longuement. Les tâches de type 3 ne sont ni importantes, ni urgentes mais sont très faciles à réaliser : ce sont celles par lesquelles les sujets commencent. Les tâches de type 4 sont des tâches urgentes, importantes, difficiles et longues à réaliser : elles ne sont entreprises qu’assez tard, au terme du premier quart d’heure : les sujets préfèrent commencer par les choses faciles, même si elles ne sont ni importantes, ni urgentes, au risque de ne pas terminer les tâches importantes mais difficiles. Le dernier groupe est constitué de tâches qui ne sont pas abordées ou ne le sont que très tard : ce sont des tâches qui ne sont ni urgentes, ni importantes mais sont difficiles à réaliser.

Dörner (1986) a proposé, à partir de ces résultats, un modèle de régulation temporelle de l’activité dont les grandes lignes sont les suivantes. La structure en mémoire d’une intention est supposée avoir les composantes suivantes :

Il connaît l’importance de la tâche du point de vue motivationnel.Ces diverses composantes peuvent varier au cours de la réalisation de la tâche. Ainsi, l’estimation de la composante varie avec le succès et l’échec, l’estimation du temps nécessaire change avec l’estimation des compétences relatives à la tâche.

A chaque moment une intention seulement a accès au système cognitif, autrement dit, une seule tâche peut être réalisée à la fois.

Ces trois systèmes fonctionnent en parallèle : en particulier le système de sélection des intentions peut interrompre le fonctionnement du système cognitif du traitement des intentions et donc éventuellement lui affecter une autre intention.

Le système de sélection des intentions assure deux fonctions :

Pour Dörner, la force d’une intention est un paramètre qui évolue avec le temps. Elle dépend de l’importance motivationnelle de l’intention et de la compétence que le sujet estime avoir pour la réaliser. Elle dépend aussi de la proximité temporelle de la date limite permise pour sa réalisation : la force est maximale au point de l’échelle temporelle qui correspond au moment où il reste juste assez de temps avant la date limite pour relaisser la tâche, elle décroît ensuite rapidement quand le temps qui sépare de la date limite est inférieur au délai de réalisation. Pour Dörner, l’intention qui est choisie pour être traitée par le système cognitif est celle dont la force momentanée est la plus grande. Lorsqu’une intention occupe le système de traitement, une inhibition se développe par rapport aux autres intentions, de sorte que pour remplacer l’intention en place une intention nouvelle doit avoir une force qui dépasse cette dernière d’un certain seuil. Ce paramètre définit dans quelle mesure l’intention en cours de réalisation est protégée contre les intentions concurrentes.

Ce modèle est très important dans la régulation temporelle des intentions. Il montre expérimentalement comment les intentions se confrontent avant qu’une seule accède au système cognitif (système de régulation qui assure la réalisation de la tâche). Ce modèle nous permet de comprendre le jeu de forces entre les intentions. Dans le cadre de notre recherche qui porte sur le passage de l’intention (du port ou du non port du préservatif) à l’action (sa réalisation), ce modèle ne peut être notre guide principal puisque la variable temps ne constitue pas un élément important de notre problématique. Et, également, dans l’approche de Dörner, un ensemble de tâches sont à réaliser dans un ordre choisi par le sujet. Dans le cas de notre recherche, deux tâches seulement sont à réaliser et ces tâches sont extrêmement opposées, la réalisation d’une exclut la réalisation de l’autre. Toutefois ce modèle nous permet de comprendre les trois systèmes qui interviennent dans la réalisation d’une intention et le conflit qui s’opère au moment de l’action. Il nous est important après ces propos sur les effervescences scientifiques qui s‘opèrent entre le passage de l’intention à l’action, de présenter les variables intermédiaires qui peuvent anéantir l’intention et assurer la paternité de l’action.