3.5.3.6– De l’interaction d’agir à l’action : une force de l’habitude

En psychologie sociale, le théoricien qui s’est le plus intéressé à l’influence de l’habitude sur l’action au détriment de l’intention est Triandis (1980). La théorie des comportements interpersonnels de Triandis (1980) englobe la plupart des variables présentes dans les modèles théoriques précédents (théorie de l’action raisonnée, théorie du comportement planifié, le modèle de l’acceptation de la technologie, etc.), se distingue cependant de ces derniers par un plus grand raffinement des construits proposés. En effet, selon la théorie des comportements interpersonnels, un comportement possède trois déterminants directs, soit l’intention, l’habitude et les conditions facilitant l’adoption.

La théorie des comportements interpersonnels a été employée par Thompson, Higgins et Howell (1991) afin d’étudier le comportement d’adoption des ordinateurs personnels au sein d’une organisation. Les résultats de cette recherche supportaient modérément la théorie des comportements interpersonnels puisque ce modèle ne permettait d’expliquer que 24% de la variance dans le comportement d’adoption de la technologie. De plus, seuls les facteurs sociaux et les conséquences perçues influençaient le comportement d’adoption. Ces mêmes auteurs ont également appliqué la théorie des comportements interpersonnels dans une autre étude (Thompson, Higgins et Howell, 1994), mais cette fois, en incluant une mesure de l’habitude. Cette variable s’est avérée avoir une influence directe importante sur le comportement d’utilisation de la technologie de même qu’une influence indirecte modérée sur ce comportement en agissant au niveau des conséquences perçues et des facteurs sociaux. La proportion de variance expliquée était de 40% avec l’ajout de la variable de l’habitude dans le modèle.

Les résultats de l’étude de Paré et Elam (1995) sur l’adoption des ordinateurs personnels ont démontré que les facteurs individuels, tels que l’habitude, l’affect et les conséquences perçues, étaient les principaux déterminants du comportement. Par contre, bien que significative, l’influence des facteurs sociaux et des conditions organisationnelles facilitant l’adoption du comportement était moindre. Ces auteurs montrent que les dimensions individuelles seraient plus importantes que les normes sociales et l’environnement dans la réalisation d’un comportement. Lapointe (1999) s’est également basée sur la théorie des comportements interpersonnels de Triandis afin de cerner les facteurs individuels associés à l’adoption d’un système d’information en milieu hospitalier. Cette recherche a démontré que les habitudes étaient fortement associées au comportement d’adoption de la technologie par les médecins et les infirmières.

De ces différentes recherches, il ressort que l’habitude exerce une influence incontestable sur le comportement. C’est peut-être ce qui justifierait l’adage populaire « l’habitude est une seconde nature ». A la suite des travaux d’Ajzen et Fishbein sur les théories de l’action raisonnée et du comportement planifié, Triandis a intégré la force de l’habitude pour expliquer les limites de ces théories. Nous aimerions bien savoir si la force de l’habitude sexuelle aurait le même effet. Nous parlons d’habitude sexuelle pour désigner la dépendance sexuelle c'est-à-dire la dépendance à l’acte sexuel non protégé. Puisque c’est cette dépendance qui serait à la base de la résistance à l’usage du préservatif face au VIH/Sida.

La pulsion définie en termes psychanalytiques par Freud puis par Lacan, participe à la fois du somatique et du psychique. Exigence de travail visant à une décharge, la pulsion implique la recherche d’une satisfaction. S’agissant de pulsion sexuelle, le désir est étroitement lié à la pulsion dans la mesure où il possède une matrice pulsionnelle. D’architecture fort complexe, il se constitue - différemment pour chacun – à partir d’expériences que l’individu cherchera toujours à répéter. D’où une incomplétude inhérente à sa nature. En simplifiant, on peut dire que la pulsion est le moteur initial à partir duquel se génère le désir. Suite à ce développement, il serait possible de penser que l’habitude sexuelle est caractérisée par la satisfaction du désir sexuel dont la force, l’intensité et la qualité du désir joueraient un rôle indispensable dans la consolidation et la récurrence de l’habitude.

En s’habituant, l’organisme économise son attention. Cette situation peut être cause de risques ou d’appauvrissement des capacités cognitives. Ce qui pourrait générer une inertie cognitive pendant la réalisation de l’action contrôlée par l’habitude. Il faut aussi préciser que parfois, le plaisir sexuel devient obsession et cette obsession peut rendre le sujet qui pense que l’acte sexuel non protégé procure peu ou pas de plaisir à être extrêmement réfractaire à l’adoption et à l’usage du préservatif dans ses habitudes sexuelles. Dans cette situation, le comportement sexuel non protégé conditionne son mode de vie sexuelle et sa suppression n’est pas du tout envisageable, seul le caractère compulsif devrait disparaître pour laisser la place à une sexualité épanouie et satisfaisante.