6.1.3.5- HR 5 : Intention d’agir et influence de l’inertie cognitive

Nous voulons savoir si l’inertie cognitive aurait, dans une certaine mesure, influencé les 38% d’adolescents qui avaient l’intention de se protéger au cours des trois mois à venir mais qui ne l’ont malheureusement pas fait.

Tableau 85. Répartition des adolescents-élèves en fonction de l’existence d’une influence totale de l’inertie cognitive et de la manifestation d’un comportement anti-intentionnel.

Source : Nos calculs

Un test du khi-deux fait état d’une dépendance statistique très forte (niveau de confiance de 99%) entre le fait d’être totalement influencé par l’inertie cognitive et la manifestation d’un comportement anti-intentionnel. Ainsi, 59% des participants totalement influencés par l’inertie cognitive, et qui avaient l’intention de se protéger régulièrement à l’aide d’un préservatif ne l’ont malheureusement pas fait. Par ailleurs, 61% des participants sur qui l’influence de l’inertie cognitive n’était pas totale, et qui avaient l’intention de se protéger régulièrement à l’aide d’un préservatif ont bel et bien tenu à leurs promesses.

On conclut donc que l’inertie cognitive, lorsqu’elle influence totalement le participant, influence par ailleurs négativement ses bonnes intentions en matière de port de préservatif.

Tableau 86. Répartition des adolescents-élèves en fonction de l’existence d’une influence partielle de l’inertie cognitive et de la manifestation d’un comportement anti-intentionnel.

Source : Nos calculs.

Un test du khi-deux montre qu’il y a une dépendance statistique (au risque de 10%) entre le fait de subir l’influence partielle de l’inertie cognitive et la manifestation d’un comportement anti-intentionnel. Ce qui revient à dire que l’inertie cognitive, lorsqu’elle n’influence que partiellement le participant, influence par ailleurs négativement ses bonnes intentions en matière de port de préservatif.

Conclusion : l’inertie cognitive a un effet total sur la manifestation par le participant d’un comportement anti-intentionnel.

Les résultats montrent clairement que l’inertie cognitive a un effet total sur la manifestation d’un comportement « anti-intentionnel ». En d’autres termes, les adolescents ont des rapports sexuels non protégés parce que pendant l’acte sexuel, l’idée de l’existence du préservatif n’effleurait même pas leur esprit. C’est dans cette optique que nous confirmons notre cinquième hypothèse de recherche (HR5). Nous pouvons dès lors conclure que : il existe entre l’intention d’agir et l’action une inertie cognitive qui conduit à la réalisation d’un comportement « anti-intentionnel».

L’inertie cognitive se pose dans des cas où pendant la réalisation de l’action, il se produit une scission entre l’axe cognitif et l’axe conatif. Il est toujours important de préciser que l’intention tout comme l’attitude est régulée par trois instances : cognitive, affective et conative. Nous convenons avec Dörner (1986) que l’intention réside dans l’instance cognitive, s’il y a inertie, c’est dire que l’individu fonctionne désormais d’une manière « inintentionnelle ». Lorsque pendant l’acte sexuel, le problème cognitif ne se pose plus, on assiste à l’inertie cognitive, il peut dès lors se produire une domination du registre affectif sur le registre cognitif. Cette situation défait l’acte sexuel de sa dimension cognitive et l’individu n’a plus un contrôle intentionnel sur l’action.

Pour que l’acte sexuel se produise avec le moindre risque, il faut qu’il soit tiré de la dynamique fonctionnelle entre les différents registres qui régulent l’action. Le problème du primat ou de la suprématie entre les registres préoccupe davantage les chercheurs. Même les plus fameux théoriciens de développement de l’enfant à l’instar de Piaget, Wallon et Freud ne réservent pas la même place aux différents systèmes (affectif, cognitif, conatif et social) qui animent, caractérisent et jalonnent le développement humain.

Chez Piaget (1970), le développement socio-affectif est conçu dans le parallélisme du développement de l’intelligence. Pour lui, il existe un parallèle constant entre la vie affective et la vie intellectuelle ; dans la mesure où, il stipule qu’affectivité et intelligence soient indissociables et constituent les deux aspects complémentaires de toute conduite humaine. Il poursuit que la structuration des sentiments et des relations interpersonnelles est le fait de l’intelligence ou du cognitif. Il y a donc, chez Piaget, subordination de l’évolution affective et sociale à l’évolution cognitive.

Il est aussi vrai que Piaget ne passe pas sous silence le développement socio-affectif, mais il n’accorde à ce développement l’importance fondatrice et déterminante que lui reconnaît Wallon (1954) qui soutient la théorie de « l’antériorité du développement affectif sur les autres ». Le débat scientifique qui animait Piaget et Wallon consistait, non pas à clarifier l’opinion scientifique sur les modalités de fonctionnement des registres affectif et cognitif, mais plutôt le problème de leur genèse.

La résistance à l’usage du préservatif chez des adolescentsqui possèdent de bonnes intentions est à la lumière de nos résultats due à la suprématie imposée par le registre affectif sur le registre cognitif. Cette suprématie du registre affectif sur le registre cognitif est causée par l’inertie cognitive. Nous avons constaté que la quasi-totalité des adolescents, qui avaient l’intention de porter un préservatif et qui ne l’ont pas fait, ont été influencés formellement par l’inertie cognitive.

L’importance des interactions entre les sphères affective et cognitive n’est niée par aucun chercheur. Weil-Barais et al. (1993, p.55) soulignaient qu’on ne dispose pas de théories permettant d’expliquer de manière précise les liens entre ces sphères. Freud (1962) a abordé la question, mais de manière somme toute marginale. Il fait dépendre les investissements cognitifs de la sublimation. Il explique ainsi que « lorsque le système est envahi par des pulsions, il devient inefficace ». Cette inefficacité peut être due au fait que dans cette circonstance, l’individu fonctionnerait d’une manière irrationnelle. C’est cet état de fonctionnement qui justifierait le fait qu’en situation d’inertie cognitive les adolescents ont généralement des rapports sexuels non protégés.