1.2.2. Définition des termes clés du titre

1.2.2.1 L’étudiant non natif

Pour comprendre l’expression « étudiant non natif », il est important de définir tout d’abord les termes acquisition et apprentissage pour les distinguer et éclaircir certaines situations d’apprentissage. On parle d'acquisition quand la langue française est apprise en milieu social et hors intervention pédagogique. En revanche on peut parler d'apprentissage quand le français est appris en milieu institutionnel avec un guidage pédagogique.

L'acquisition/apprentissage d'une langue ne peut se produire que par un contact direct entre l'apprenant et « l'objet langue » virtuel. Il est par conséquent nécessaire qu'existe un intermédiaire, un informateur, qui fournisse de manière involontaire ou non, programmée ou non des renseignements sur la langue telle qu'il la pratique lui-même. Plusieurs cas de figure peuvent être envisagés :

  • On peut prendre en compte le cas des langues vivantes où l'acquisition/apprentissage a le plus souvent lieu par l'intermédiaire d'informateurs vivants, fournissant des données variables en fonction de leur propre statut linguistique et des caractéristiques de la situation.
  • Dans le cas de la langue maternelle par exemple, ce sont les membres de la famille qui jouent ce rôle, à l'occasion de l'interaction quotidienne.
  • Dans le cas de la langue seconde (cas du français au Congo par exemple), l'école constitue le principal site d'acquisition de la langue. Son apport porte essentiellement sur les registres spécialisés de l'écrit. L'acquisition naturelle est beaucoup plus exceptionnelle. Elle dépend de l'hétérogénéité linguistique des environnements successifs de l'individu. Mais généralement on recourt à un apprentissage en milieu « artificiel », avec l'aide d'un informateur professionnel natif ou alloglotte. Ce professionnel guidera alors l'apprenant en sélectionnant les unités linguistiques dont la présentation semble pertinente à certaines périodes de l'apprentissage. La qualité de la langue acquise dépend alors de la nature d'exposition, des besoins communicatifs et de la volonté d'assimilation de l'intéressé aux communautés correspondantes.

Les définitions et situations d’enseignement/apprentissage qui viennent d’être évoquées montrent qu’on peut opposer l’expression « étudiant non natif » en premier lieu avec la locution « locuteur natif ». La tournure « étudiant non natif » fait ensuite écho à deux autres notions : celle de « langue de nature étrangère » pour laquelle l'apprentissage ne résulte pas d'une habitude nationale et dont la formule « Français Langue Seconde », toujours en cours de théorisation, a été forgée à la suite d’une demande de terrain (Pochard 2002) ; puis celle de la langue étrangère proprement dite, en référence au concept d’« étudiant étranger », la langue étrangère constituant pour l’apprenant un savoir propre d'une ou plusieurs autres communautés humaines dont elle constitue la « langue  maternelle ».

Au sujet de l’expression « locuteur natif », on peut admettre que la langue parlée par les locuteurs natifs est couramment appelée « langue maternelle ». Il s’agit de la première langue qui s'impose à chacun. Cette expression est tellement ancrée dans la tradition occidentale, tellement porteuse de connotations sentimentales qu'il est souvent difficile d'admettre que la langue maternelle n'est pas, pour chaque individu, forcément celle de sa génitrice. Alain Rey semble parfaitement exprimer la réalité relationnelle de l'homme avec la langue dont il a hérité dès son enfance quand il écrit : « chacun est dans sa langue comme l'embryon dans l'utérus maternel »  - on ne parle pas à la légère de langue maternelle ... chacun reste avec sa langue dans une relation intime, parfois obscure, toujours fondamentale, et qui peut être heureuse, calme ou douloureuse, voire névrotique...; le bilinguisme consiste autant dans une sortie du système hérité que dans l'acquisition d'un nouveau mode d'expression ».

Selon Louise Dabène (1994), étymologiquement, la langue maternelle est celle parlée par la mère ou par l’environnement parental immédiat. C’est une langue qui est définie par l’antériorité de l’appropriation, elle est la première dans l’ordre de l’acquisition qui se fait au moment le plus favorable, le plus proche de la naissance. La langue maternelle bénéficie de la plasticité maximale des organes sensiromoteurs, elle est la mieux connue. Le locuteur natif a un niveau supérieur de compétence, il a des capacités mémorielles plus fortes. Le mode d’acquisition d’une langue maternelle est naturel, et ne nécessite de la part du locuteur qu’une réflexion minime, voire nulle, sans intervention pédagogique. Et dans c’est celle-ci que s’est organisée la fonction langagière, fonction symbolique primordiale qui accompagne la construction de la personnalité.

Dans la perspective du « Français Langue Seconde » en revanche, J-Ch. Pochard (dans Martinez, 2002 : 102) rappelle que la problématique de cette formule a émergé pour l’enseignement du français dans l’empire colonial, et que c’est paradoxalement quand des réponses pouvaient être envisagées (retombées de l’enquête sur le français fondamental) que les territoires concernés ont accédé à l’indépendance.

Pour Henri Besse (par Louise Dabène, 1994), la différence entre une langue étrangère et une langue seconde réside essentiellement dans la notion de statut : « on parle quelquefois de langue seconde pour une langue officiellement reconnue mais qu'une partie des ressortissant n'ont pas acquise nativement ». Le « Français Langue Seconde » est en fait un concept ressortissant aux concepts de langue et de français. Comme nous l’avons dit plus haut, c'est une langue de nature étrangère, qui se distingue des autres langues étrangères par ses valeurs statutaires, soit juridiquement, soit socialement, soit les deux, et par le degré d'appropriation que la communauté qui l'utilise s'est octroyé ou revendique. Cette communauté est bi- ou plurilingue. La plupart des membres le sont et le français joue dans leur développement psychologique, cognitif et informatif, conjointement avec une ou plusieurs autres langues, un rôle privilégié.

Ce concept a d'abord été envisagé négativement, un enseignement du français qui n'est ni celui de la langue « maternelle » ni celui d'une langue étrangère. Ainsi quand on parlait de langue seconde, il s’agissait implicitement de faire référence à la présence d'au moins une autre langue dans l'environnement linguistique de l'apprenant et d’admettre que cette langue qu'on appelle classiquement « langue maternelle » occupe la première place. Mais également de reconnaître à la langue seconde une place privilégiée par rapport à toutes les autres langues avec lesquelles l'apprenant pourrait se trouver en contact et qu'on nomme « langues étrangères ».

Sous-ensemble donc du français langue étrangère, le français était désigné langue seconde partout où langue étrangère, son usage était socialement indéniable. L'apprenant du français langue seconde n’avait pas fait son acquisition à titre individuel, mais il rejoignait un groupe de parleurs non natifs et s'acheminait généralement vers une situation de bi- ou de plurilinguisme.

Cette appellation pourrait bien avoir été employée par les ministres de l'Education nationale d'Afrique et de l'Océan Indien réunis en conférence en 1972. La locution a en tout cas des acceptions largement différentes selon les pays et même selon les auteurs où elle recouvre une gamme de situations d'enseignement très différentes en fonction de différents critères :

  • Langue de l'ex-colonisateur qui est un pis-aller dans une situation où aucune autre langue locale ne peut s'y substituer sans risquer de déclencher des problèmes interethniques et où le français est la langue de grande diffusion, qui, pour des raisons historiques et géopolitiques, est susceptible de jouer le plus économiquement le rôle de langue d'enseignement et d'expression internationale du pays.
  • Langue dominante juridiquement en Afrique francophone, mais minoritaire sociologiquement, la position du français apparaît comme étroitement liée à des choix politiques.
  • Aux pays du sud, le français n'est que très exceptionnellement la langue maternelle de l'apprenant. Il est en revanche très présent, à des titres divers, dans l'environnement immédiat, et surtout à l'école, où il sert presque toujours de véhicule d'enseignement. Parallèlement il apparaît comme la langue de promotion sociale et de l'ouverture sur le monde extérieur, etc.

Le champ du « Français Langue Etrangère » au contraire apparaît suite à une réorganisation géopolitique à la suite des indépendances et à l’accueil par la France des cohortes de nouveaux boursiers non francophones à qui il faut enseigner le français sur le sol français (Pochard, ibidem.). En réalité la spécificité d’une langue étrangère n'existe qu'au niveau de l'apprenant et de la situation au sein de laquelle s'effectue son appropriation. Il faut dire que l’expression « langue étrangère » est une notion relative, une langue n'est en principe pas « intrinsèquement étrangère », elle l'est par rapport à un ou plusieurs sujets placés en situation d'acquisition ou d'apprentissage.

C'est tout d'abord le fait qu'une langue représente pour un individu ou un groupe un savoir encore ignoré qu'elle constitue un objet potentiel d'apprentissage.Par conséquent, comme tel, elle (la langue) peut être érigée en discipline scolaire. Le savoir (à enseigner) est considéré à la fois comme homologue et différent d'un autre savoir précédemment acquis (langue maternelle).La langue étrangère, c’est la langue « maternelle » d'un groupe humain dont l'enseignement peut être dispensé par les institutions d'un autre groupe dont elle n'est pas la langue propre. Cette langue n'est parlée sur le territoire où elle est enseignée à ce titre que par un nombre non significatif de locuteurs natifs.

Pour Louise Dabène (ibid.), on peut caractériser une langue étrangère à partir de « degrés de xénité » : la distance matérielle est déterminée par l’éloignement géographique, la distance culturelle se caractérise au niveau des pratiques relationnelles et des systèmes de valeur en vigueur dans les sociétés ou des traditions éducatives qui en découlent, la distance linguistique est déterminée par rapport aux analyses comparatives, et l’environnement, manifestes à travers l’univers de l’apprenant, par le contact institutionnel, le contact avec les locuteurs natifs, l’univers médiatique, le sentiment de familiarité etc.

Pour clore cette brève mise en perspective de l’expression « étudiant non natif », l’on peut noter qu’il existe actuellement une tendance à opérer comme le fait Jacqueline Picoche (par Dabène 1994) une seule distinction : « la première langue qu'apprend un enfant est sa langue maternelle et toute autre apprise par la suite est une langue seconde ». Une autre tendance consiste à considérer des publics « transplantés » pour un temps plus ou moins déterminé sur un territoire où la langue apprise est omniprésente comme locuteurs du « Français Langue Seconde Hôte ». L’expression Langue Seconde Hôte désigne la langue apprise dans le pays, la région où cette langue est la langue dominante unique.

Cette tendance suggérée Par J.-Ch. Pochard (ibid. : 107) prend en compte les raisons variées de la transplantation (présences plus ou moins contraintes : familiales, professionnelles, historico-politiques ; décisions plus ou moins délibérées : études, expatriés) et sa durée. Dans les autres cas de figure où la langue enseignée/apprise a un statut spécifique, J-Ch. Pochard rejoint l’appellation langue seconde qui recouvre selon lui « une infinité théorique de situations que l’on peut positionner sur un continuum en fonction du status et du corpus du français dans l’environnement sociolinguistique de son apprentissage ».