Dans une approche simple, l’expression « compréhension orale » désigne le fait de décoder du sens du flux sonore qui se déroule dans le temps. Selon une acception psychologique du terme, Georges Noizet (1980 : 128)indique que « comprendre consiste à donner une signification (qui n'est pas nécessairement la signification ». D’après lui,
‘« Toute situation de communication suppose un état initial, ce que l'émetteur veut dire, et un état final, ce que le récepteur comprend. Naturellement l'état initial et l'état final peuvent différer : il y a alors distorsion dans la transmission de l'information ».’Ces états initial et final se présentent à l'analyse comme un réseau de relations entre des objets abstraits qui sont eux-mêmes des carrefours de relations. Ainsi l'essence d'un énoncé n'est pas l'énoncé, la signification est construite. Cette construction, c'est le travail qu'effectue le locuteur lorsqu'il donne un sens à un énoncé en pensant quelque chose qu'il entend. Il ne le fait que dans un contexte à la fois situationnel et cognitif.
Dans une approche psycholinguistique, comprendre consiste à dégager cognitivement le réseau de relations auquel l'énoncé donne accès. La compréhension orale se situe alors au niveau de la saisie des relations entre éléments qui constituent l'énoncé. Pour comprendre un locuteur, on est conduit à élaborer une hypothèse sur les relations entre éléments constitutifs de l'énoncé. Ces relations sont parfois appelées relations fonctionnelles et en spécifient les conditions de l'exercice : le sujet construit une représentation, il le fera à partir de sa perception de la suite phonique, des indices fournis pour la segmentation, de la structure de surface ainsi inférée…
Cette approche psycholinguistique de la compréhension orale a des similitudes avec « la nouvelle communication » (Witkin et les chercheurs dans le cadre des conférences de l'ILA à Atlanta, cité par Cornaire, 1990). Les auteurs de cette « mouvance » estiment qu’il ne peut être question de concevoir la communication comme la simple transmission d'un message, parce que le sens d'un message est en quelque sorte « négocié » au cours d'une interaction. En d'autres termes, le sens d’un message qu'un locuteur transmet à son interlocuteur est toujours interprété. Le sens décodé est le sens qu'un locuteur essaie de transmettre, auquel s'ajoutent toutes les interprétations personnelles de l'interlocuteur compte tenu de ce que ce dernier connaît (ou ne connaît pas) du thème traité, de l'intention de communication du locuteur, de la situation énonciative, etc.
Aussi, la part du sens investie par l'interlocuteur peut être lourde et de nombreuses erreurs peuvent provenir de la manière de voir ou de comprendre chez l'interlocuteur. C’est pourquoi dans tout acte de communication linguistique, la question revient à faire en sorte que le sens interprété et le sens qu'a voulu transmettre un locuteur coïncident le plus possible. Pour savoir comment s'y prendre pour assurer un degré satisfaisant d'adéquation, « la nouvelle communication » propose de chercher à comprendre ce qui se passe dans un acte authentique de communication.
Pour la « nouvelle communication » donc, il est approprié de faire la distinction entre trois types de sens : un sens de base, un sens contextuel et un sens situationnel. Il en résulte que dans l'emploi effectif d'une langue, le sens de base d'un mot est actualisé grâce à un contexte (linguistique) et grâce à une situation (extralinguistique), ce qui est règle générale affecte ce sens. Le sens contextuel d'un mot est le sens de base tel que précisé par l'entourage linguistique dans lequel figure ce mot. Enfin, au sens de base et au sens contextuel « la nouvelle communication » conçoit un sens situationnel qu'elle définit comme sens (sens de base plus sens contextuel) tel que précisé voire même transformé par la situation dans laquelle se produit l'acte de communication.
Dans la littérature portant sur la compréhension orale, on a noté au sujet du rôle de la situation dans la détermination du sens que c’est dans ce domaine que la linguistique pragmatique et les études à orientation ethnographique ont fait le plus de progrès au cours des dernières années. De même, certains auteurs estiment que les principaux représentants de la « nouvelle conception de la communication », qui semblent susceptibles de contribuer à améliorer la compréhension de ce qu'on a appelé sens situationnel et qui sont cependant considérés comme précurseurs dans le domaine proviennent d'horizons intellectuels très divers : Bateson (anthropologue), Birdwhistell et Hall (anthropolinguiste), Goffman (sociologue), Jackson (psychiatrie).
Par ailleurs, ces précurseurs admettent que loin de fonctionner selon un modèle télégraphique à simple ou double sens, la communication se structurerait suivant un modèle faisant appel simultanément à de nombreux « codes » du comportement : parole, geste, regard, mimique, espace interindividuel, etc. Il s’agit du riche domaine de la poly- sémioticité, des énoncés plurimodaux, pour lequel les choses se sont complexifiées et des études plus fines ont mis en lumières la multiplicité des codes (Bakhtine, puis Ducrot, et Culioli, etc.).
Ce modèle permis de montrer en quoi le sens situationnel n'est pas tout simplement un sens (sens + sens contextuel) actualisé dans une situation spatio-temporelle donnée, mais bien une espèce de « nouveau » sens qui émerge en quelque sorte de la conjugaison de plusieurs codes de comportement pour lesquels malheureusement très peu de règles de fonctionnement sont très peu connues.
Si l’on tente d’appréhender la compréhension orale du point de vue de son processus, l’on peut concevoir que c’est une opération mentale de décodage de message qui permet à l'auditeur de saisir la signification que recouvrent les signifiants sonores produits par son interlocuteur. C'est dans cette considération que s’inscrit Claudette Cornaire (1990 : 64) qui définit la compréhension orale comme :
‘« Un processus actif de construction du sens par le sujet ; processus qui consiste à mettre en relation des connaissances spécifiques et des informations externes qui conduisent à la reconstruction du sens ». ’Faerch et Kasper (1986 : 264) pensent pour leur part que «la compréhension naît de la mise en présence de l'apport langagier et des connaissances ». Pour Jean-Adolphe Rondal (ibid : 1997), la compréhension est la série d'opérations qui, à partir d'un énoncé, permet de retrouver l'idée de départ. En cela il distingue plusieurs types de compréhension langagière :
Ce bref tour d’horizon permet d’observer d'une part que les propositions de définition de la compréhension orale peuvent être nombreuses. Les chercheurs s'accordent pour dire d'autre part qu'il s'agit d'un processus actif au cours duquel l'individu construit la signification d'un message. C’est dans cette optique que s'appuyant sur les exposés présentés par les chercheurs dans le cadre des conférences de l'ILA à Atlanta, Witkin (par Claudette Cornaire 1990) dresse un bilan des recherches menées dans le domaine de compréhension en langue maternelle selon lequel il ressort :
C'est pourquoi au lieu de définir l’expression « compréhension orale », Witkin propose dans un premier temps le terme « écoute » qu’elle définit comme « l'activité à laquelle se livre l'auditeur ». Elle explique « qu'on utilisant cette définition de la compréhension orale, on évite des difficultés que posent pour le moment les définitions plus élaborées ». Dans un second temps elle déclare que « les contradictions apparentes qui émergent des recherches peuvent se résoudre en adoptant une approche systémique » selon laquelle « le chercheur pourra se concentrer sur les processus neurologiques, physiologiques ou biochimiques mis en œuvre durant l'activité de compréhension orale ou observer les interactions entre le locuteur et l'auditeur » (ibid. : 194).
Pour résumer cette mise en perspective, on peut affirmer avec peu de chance de faire erreur que peu importe la signification revêtu par la locution « compréhension orale », celle-ci ne peut avoir lieu qu’au moment où certains facteurs sont réunis. Il s’agit notamment des conditions psychologiques des personnes en présence acceptant de communiquer dans le cadre d'un contrat interactif où il y a au moins deux états socialement organisés de locuteur(s) et d'interlocuteur(s), un enjeu commun ou du moins un consensus sur l'enjeu, une langue que les interlocuteurs ont en commun, un univers de référence, des connaissances logico-encyclopédiques partagés etc.
Et pour en quelque sorte clore avec ce tour d’horizon des tentatives de définition de la notion « compréhension orale », nous considérons avec beaucoup intérêt la proposition du «Cadre Européen Commun de référence pour les langues » 3 (CECRL), un vaste ensemble publié par le Conseil de l'Europe en 2001 et conçu pour permettre aux utilisateurs d’avoir un outil de référence pour la conception de programmes d’enseignement et de formation ainsi que pour définir des processus d’évaluation.
Le CECRL est en fait le fruit de plusieurs années de recherche linguistique menée par des experts des Etats membres du Conseil de l’Europe. C’est un premier outil de politique linguistique véritablement transversal à toutes les langues vivantes, qui décrit aussi complètement que possible ce que les apprenants d’une langue doivent apprendre afin de l’utiliser dans le but de communiquer. Il énumère également les connaissances et les habiletés qu’ils doivent acquérir afin d’avoir un comportement langagier efficace (p. 12).
Ce document a été conçu pour que soient surmontées les difficultés de communication rencontrées par les professionnels des langues vivantes et qui proviennent de la différence entre les systèmes éducatifs. Le CECRL a fait le choix d’une taxonomie pour traiter la grande complexité du langage humain en découpant la compétence langagière selon ses différentes composantes. Dans cette optique, les activités de communication langagière peuvent relever de la réception (écouter, lire), de la production (s’exprimer oralement en continu, écrire), de l'interaction (prendre part à une conversation) et la médiation (notamment les activités de traduction et d'interprétation) ; la compréhension orale relève des activités langagières découlant de ce découpage.
L’un des buts du CECRL est d’aider les partenaires à décrire les niveaux de compétence exigées par les normes, les tests et les examens existants afin de faciliter la comparaison entre les différents systèmes de qualifications. C’est à cet effet qu’il conçoit un Schéma descripti f et les Niveaux communs de référence . Ces niveaux de compétence permettent de mesurer le progrès de l’apprenant à chaque étape de l’apprentissage et à tout moment de la vie (CECRL p. 12).
Le CECRL propose ainsi un système qui adopte une arborescence du type des «hypertextes», à partir d’une division initiale en trois niveaux générauxA, B, C (p. 25). Cette arborescence semble s’appuyer sur un large consensus (Cadre, p. 24) sur le nombre et la nature des niveaux appropriés pour l’organisation de l’apprentissage en langue et une reconnaissance publique du résultat.
L’arborescence en trois niveaux correspond à « des interprétations supérieures ou inférieures de la division classique en niveau de base, niveau intermédiaire et niveau avancé » : le niveau général A est à mettre en rapport avec l’utilisateur élémentaire, le niveau B concerne l’utilisateur indépendant et le niveau C fait allusion à utilisateur expérimenté. Ces trois niveaux généraux sont hiérarchisés en plusieurs composantes pour aboutir à la distinction de six niveaux d'apprenants de A1 à C2 :
Le CECRL n’est pas normatif ou prescriptif, c’est un outil conçu pour répondre à l'objectif général du Conseil de l'Europe qui est de « parvenir à une plus grande unité parmi ses membres » et d'atteindre ce but par « l'adoption d'une démarche commune dans le domaine de la culture ». La perspective privilégiée est de type actionnel :l’usager et l’apprenant d’une langue sont considérés comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches dans des circonstances et un environnement donnés, à l’intérieur d’un domaine d’action particulier ; les actes de langage s’inscrivant à l’intérieur d’actions en contexte social.
L’approche actionnelles’est développée en France depuis le milieu des années 90. Cette « nouvelle approche » propose de mettre l’accent sur les tâches à réaliser à l’intérieur d’un projet global. Selon cette considération, l’action doit susciter l’interaction qui stimule le développement des compétences réceptives et interactives. L’approche actionnelle correspond à une perspective co-culturelle, basée sur le « faire-ensemble » où l’on ne se contente pas d’assumer les différences pour créer ensemble des ressemblances. Ce qui constitue un dépassement large de la conception de la langue comme instrument de communication.
Selon Michel Morel5 (2009), la démarche dite « actionnelle » consiste en ce que « la langue étrangère doit pouvoir être utilisée pour effectuer des tâches de communication et pour mener à bien des projets proches de ceux que l’on peut réaliser dans la vie réelle ».
Théoriquement6 en effet, les auteurs du CECRL distinguent les compétences générales individuelles (savoir, savoir-faire, savoir-être et savoir-apprendre), directement issue du constructivisme de la compétence communicative qui se décline en trois composantes : la composante linguistique, la composante pragmatique et la composante sociolinguistique. La composante linguistique a trait aux savoirs et savoir-faire relatifs au lexique, à la syntaxe et à la phonologie. La composante pragmatique renvoie au choix de stratégies discursives pour atteindre un but précis (organiser, adapter, structurer le discours). Elle fait le lien entre le locuteur et la situation. Et la composante sociolinguistique amène à considérer que communiquer c'est utiliser un code linguistique (compétence linguistique) rapporté à une action (compétence pragmatique dans un contexte socio-culturel et linguistique donné (compétence socio-linguistique).
Au regard de ce qui vient d’être rapporté, l’on peut se demander comment intégrer la compréhension orale du cours magistral plus spécifiquement à cette vision du CECRL, le cours magistral qui plus est a un fonctionnement complexe, avec des alternances et concomitances des fonctions à de niveaux divers. D’autant que les résultats d’une pré-enquête réalisée au tout début de cette recherche a mis au jour le désarroi des étudiants non francophones inscrits à l’université Lyon 2 face à ces cours magistraux en amphithéâtre dont la longueur, la concentration et le fonctionnement leur posent des réels problèmes de compréhension orale et de prise de notes.
La succession de différents énoncés aux visées diverses et variées, apparaissant de façon imprévisible, laisse en effet deviner un coût cognitif élevé pour ces étudiants non natifs confrontés à cettegymnastique de l’esprit qui englobe simultanément l’écoute, la compréhension proprement dite et la prise de notes. On peut imaginer que seuls les étudiants francophones, ayant une bonne maîtrise de la langue peuvent prétendent à une réaction cognitive immédiate (et encore, cela reste à vérifier).C’est pour essayer d’appréhender la complexité d’actes que doivent accomplir ces étudiants que nous avons envisagé une démarche pour laquelle à présent nous aimerions tout d’abord définir les contours.
Actuellement disponible sur le site du Conseil de l’Europe
Vers le milieu des années soixante-dix, des experts ont élaboré un modèle opérationnel de ce qu'un apprenant doit être capable de FAIRE lorsqu'il se sert d'une langue pour communiquer de manière indépendante dans un pays où cette langue sert de véhicule de communication pour la vie de tous les jours; à partir de là, ils ont défini les savoirs et savoir-faire nécessaires pour parvenir à ce "seuil" de communication.
www.aplv-languesmodernes.org/spip.php?rubrique15
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