Chapitre 3 Vers une expérimentation

1. Introduction

Nous avons vu dans la partie théorique de cette étude que la plupart des recherches sur la compréhension orale restaient spéculatives, qu’elles n’étaient pas validées par des procédures expérimentales. Deux hypothèses peuvent être formulées pour tenter de justifier cet état de fait. D’abord la difficulté que peut rencontrer tout chercheur désireux d’entreprendre des expérimentations sur des sujets humains, en raison des considérations déontologiques et éthiques qui y sont liées. Ensuite des difficultés pratiques de mise en place d’une expérimentation au sein des systèmes éducatifs qui ont été conçus pour d’autres contraintes, d’autres logiques et d’autres objectifs.

Cependant, il est indispensable d’opérer un dépassement entre le fait perçu et une pensée réfléchie, pour ne pas courir le risque de demeurer dans l’imaginaire, où la pensée est assiégée par des possibles relevant plus de la mentalité magique que de la déduction-induction. Or l’expérience seule apporte les bases réelles de constructions théoriques utiles permettant d’aller plus loin. L’expérience suppose une méthode, pour que l’objet expérimental devienne un fait élaboré par le chercheur, réalisé par lui avec des instruments, et solidaire d’une interprétation théorique. Le domaine abordé est alors celui des « sciences expérimentales » où le fait est purifié, débarrassé des images et des projections subjectives qui perturbent l’expérience commune.

Toute expérimentation nécessite l’élaboration d’un plan expérimental. Le plan expérimental, aussi appelé plan d’expériences, formalise le dispositif de l’expérimentation. Il définit quelles variables indépendantes sont sélectionnées, et il indique comment elles sont manipulées, combien de variables il faut contrôler et comment le faire.

En principe, toute expérimentation consiste à varier des éléments d’une situation prédéterminée et à mesurer les conséquences de ces variations. Selon ce principe, des relations du type « si X varie alors Y varie » correspondent à la relation « causale simple », et impliquent que, si toutes choses restent égales par ailleurs, X est la variable explicative des effets observés sur Y qui est la variable à expliquer.

Dans la terminologie courante, une variable explicative est appelée variable indépendante (Cook & Campbell, 1979) et la variable à expliquer est une variable dépendante. Par définition, la variable dépendante est celle qui dépend de la variation d’autres variables. Elle est l’objet de recherche du chercheur qui sélectionne les variables indépendantes considérées comme la cause possible des effets observés sur la variable dépendante.

L’expérimentation proprement dite est fondée sur trois opérations : l’expérience scientifique, l’induction et la vérification. L’expérience scientifique comprend une observation des faits qui se produisent, une interprétation et une mathématisation des données. L’observation attentive utilise généralement des appareils qui traduisent en faits perceptibles les diverses phases de l’opération et qui prolongent, en quelque sorte les sens.

La dernière phase de l’expérience est la mathématisation du phénomène, c’est-à-dire la traduction des données de l’expérience en chiffres et en opérations mathématiques. Elle consiste à substituer aux données concrètes et qualitatives, des représentations abstraites et symboliques qui leur correspondent en vertu des théories admises ou de l’hypothèse en cours de vérification. L’induction amplifiante est le procédé logique par lequel on s’élève d’une relation reconnue pour vraie pour quelques cas expérimentaux, à la formulation d’une relation générale, valable pour l’ensemble des expériences de même nature. La vérification expérimentale est le troisième moment requis par la recherche expérimentale, après l’induction de l’hypothèse. C’est la phase réalisatrice ou vérificatrice.

En ce qui concerne cette étude, ces considérations méthodologiques ne seront pas toutes suivies à la lettre. Parce que, comme l'affirmait R. Barthes (1972 : 377), « … proclamer sans cesse la volonté de méthode peut être stérile ».Au stade où en est cette recherche, nous ne voulons pas courir un tel risque, qui de surcroît ne donne pas de garantie de résultats. Cela veut-il dire que nous méprisons la méthode ? Loin de là. Mais nous ne nous fixons pas là-dessus. Pour des raisons pratiques d’abord, mais surtout pour des raisons heuristiques, nous adoptons un paradigme quelque peu différent, un peu moins sophistiqué : nous menonsune recherche exploratoire pour laquelle, pour le moment il ne nous semble pas judicieux de spécifier a priori les aspects que nous allons prendre en compte.

Le paradigme que nous adoptons n'accorde pas un privilège fondateur à la méthode (expérimentale), mais à la recherche. Nous cherchons plus modestement à vérifier nos hypothèses ; nous le faisons avec des outils moins élaborés que ceux qu’exige la démarche expérimentale au sens strict ; nous utilisons des tests de compréhension orale et de prise de notes.

Pour cerner les contours du terme « test », nous avons remarqué que plusieurs définitions lui sont consacrées dans la littérature. D’abord le Dictionnaire américain Webster où le mot « test » veut dire, dans un sens psychologique, « un moyen de mesurer une aptitude individuelle par l'emploi d'une tâche standardisée ». Piéron (dans Rondal (1997 : 40) définit le terme « test » comme :

‘«Une épreuve définie, impliquant une tâche à remplir, identique pour tous les sujets, avec une technique précise par l'appréciation du succès et de l'échec, ou par une notation numérique de la performance ».’

Pour Pichot (par Rondal, ibid: 40), on appelle test :

‘« Une situation expérimentale standardisée par une comparaison statistique avec celui d'autres individus placés dans la même situation, permettant ainsi de classer le sujet examiné, soit quantitativement, soit typologiquement ». ’

Le test est un moyen de confronter l’individu, dans des conditions bien déterminées, à une situation de l’exécution d’une tâche, soit dans une production, soit dans une réponse déterminée, en vue d’enregistrer les résultats caractérisant les individus : c’est la définition que propose Anna Bonboir (1972 : 135).

Pour l’histoire on peut retenir que le terme « test » a été utilisé pour la première fois par le psychologue américain Mckeen Cattell à la fin du siècle dernier pour désigner une série d'épreuves psychologiques destinées à documenter les différences interindividuelles existantes entre les étudiants des universités américaines.

Dans le domaine de l’enseignement des langues, Adolphe Rondal (1997 : 165) soutient que toutes les compétences de langue peuvent être évaluées. Bien que selon lui les idées soient encore peu précises à ce sujet et que d’après son sentiment, la plupart des tests de langage en langue française soient insatisfaites. D’après cet auteur, une tâche ou une épreuve du langage peut être appelée « test » dans l'évaluation quand elle autorise la mesure. Et pour être des instruments valables, les tests ou épreuves du langage doivent remplir certaines qualités à savoir :

  • La validité : elle concerne la relation entre ce que le test mesure en réalité et ce qu'il est censé mesurer.
  • La fiabilité : elle se réfère à la stabilité des données obtenues par l'usage du test ;
  • La sensibilité : elle concerne le pouvoir discriminatoire ou classificatoire du test; il s'agit de la capacité d'un test de différencier effectivement et le plus finement possible des sujets qui sont effectivement différents quant à l'aptitude mesurée.
  • La standardisation, c'est-à-dire le fait de présenter la même tâche à tous les sujets exactement dans les mêmes conditions et en appliquant les mêmes critères de correction.

Nos expériences sont des tests de compréhension orale et de prise de notes pendant l'écoute des extraits de cours magistraux. Ils sont traduits en consignes. Les consignes décrivent les tâches que les étudiants auront à accomplir. Le but des tests est de d'évaluer la compréhension orale des contenus de cours, et de mesurer (c'est beaucoup dire) la qualité des annotations qui vont avec. On peut rappeler ici que notre finalité est de faire un diagnostic des difficultés de compréhension orale et de prise de notes rencontrées par les étudiants non natifs, pour pouvoir induire quelques implications didactiques.