Introduction générale

Le Kenya est l'une des destinations touristiques majeures de l’Afrique subsaharienne, en raison de ses paysages (savanes, volcans, Rift Valley, côte de l’océan indien), de sa faune et de sa flore. Il constitue une destination véritable du tourisme de nature et plus particulièrement celle de l’écotourisme en Afrique. Il a représenté durant des décennies un cas exemplaire de modèle écotouristique au même niveau que le Costa Rica, les îles de Galápagos, l’Equateur et la Tanzanie. Dans ce pays, les attractions naturelles sont au cœur de ses ressources touristiques, où plus de 70% de ses touristes viennent pour profiter de sa nature3. Il est considéré comme un pays en voie de « touristification »4, un « archétype d’une Afrique de rêve »5.

Ce pays est connu pour ses activités de safari en plus du tourisme littoral. Malheureusement, ces safaris se trouvent concentrés sur quelques sites touristiques. Seulement six zones protégées sur 52, en 2006, ont accueilli 70% des touristes visitant des parcs et des réserves6. Ces zones touristiques comprennent en ordre décroissant le lac Nakuru, le Maasai Mara, le Tsavo East, l’Amboseli, le Tsavo West et le Nairobi park. Les touristes cherchent à découvrir dans ces zones de biodiversité les « Big Five »7, et cela au détriment des autres sites disséminés à travers le pays. Par ailleurs, cette concentration s'explique par d’autres facteurs : une insécurité résultant de l'instabilité d’une part à l’ouest du Kenya et d’autre part au nord (le cas de Mont Elgon) mais aussi l’absence de la mise en place d’infrastructures adaptées à l’activité touristique (le cas de Chyulu Hills). Par exemple, il est étonnant que ce dernier, malgré son paysage, sa proximité de la côte kenyane et son statut de ‘parc’ depuis 1971, n’ai reçu que 137 touristes en 2008.

Pourtant, loin des principales destinations touristiques du pays, les régions peu exposées au tourisme présentent de nouvelles opportunités de développement touristique, en particulier dans les milieux naturels qui se trouvent à l’ouest du pays. Cette partie du Kenya équipée de parc n’est pas pour autant réservée au tourisme. C'est notamment le cas de la forêt de Kakamega, ainsi que la région du Mont Elgon et du parc national du Saiwa swamp. Ces zones présentent quelques possibilités permettant le développement de l'écotourisme et du tourisme communautaire autochtone.

Dans le but d'un renouveau touristique au Kenya, il est important de mettre fin à l'insécurité aux environs du Mont Elgon et aussi d’établir un lien entre l'écotourisme et le tourisme de masse. Il est aussi nécessaire de mettre en place un programme de redéploiement des activités touristiques au-delà des destinations phares. Il existe une clientèle aisée, voulant découvrir autre chose que les Safari et les big five ; désireuse de découvrir les forêts denses et humides, et de participer dans le tourisme autochtone.

L’un des enjeux majeurs en termes de développement touristique au Kenya réside dans la mise en tourisme8 et dans l’ouverture de ‘nouveaux’ espaces éloignés de pôles touristiques fortement fréquentés. Cela ne signifie pas mettre l’ensemble du territoire en tourisme. Par contre, il s’agit de privilégier dans un premier temps les sites naturels disposant d’un réel potentiel en matière touristique. Ces zones, considérées comme parmi les sept principaux circuits touristiques du pays par le Ministère du tourisme, figurent : la forêt de Kakamega (KF), le parc national du Mont Elgon (MENP) et le parc national de Saiwa (SSNP).

L’objectif global de cette thèse concerne la transformation des territoires moins ‘ouverts’ au tourisme – notamment ceux de l’ouest du Kenya – en des destinations touristiques réelles. Pour la région de l’ouest du Kenya, qui n’est pas encore prête, ni équipée pour le développement touristique, quelles options proposer pour exploiter le potentiel existant ? Telle est la question de départ à laquelle ce travail répondra. L’approche générale de ce travail se base à la fois sur l’analyse documentaire, les enquêtes ainsi que l’observation sur le terrain d’étude par le chercheur.

En ce qui concerne le Kenya, le tourisme se fait largement à l’intérieur de milieux naturels, principalement les savanes. Ainsi, les parcs nationaux deviennent des espaces privilégiés pour le tourisme de safari. Alors, quel tourisme pour les ‘nouveaux’ territoires dans l’ouest du pays ? Existe-t-il d’autres voies à suivre pour le redéploiement géographique du tourisme ? Que font l’Etat et les acteurs privés pour étendre cette fréquentation touristique au-delà des zones phares mises en avant par le marketing touristique ?

Pour le Kenya, la grande majorité des vacanciers préfère la formule « tout compris » (all inclusive), un facteur qui contribue à freiner la diffusion du tourisme sur le territoire du pays. Sur 1.566 touristes recensés en 2005 à l’aéroport de Jomo Kenyatta à Nairobi et celle de Moi à Mombasa, 1.169 (75%) avaient choisi cette formule, tandis que 397 (25%) voyageaient indépendamment9. Une étude similaire faite à Mombasa sur une station balnéaire touristique du pays et publiée en 2007 par Akama et Kieti fait ressortir que 80% des touristes dans cette ville avaient choisi un voyage forfaitisé10. De plus, Ikiara et Okech (2002) démontrent que l’itinéraire typique d’un touriste au Kenya, visitant pour neuf jours, comprend une nuit à Nairobi à l’arrivée, suivie environ de 2 jours de safaris, tandis que le reste du séjour se fait à la côte kenyane11.

Alors, même si le Kenya met en avant l’image de safari et de l’écotourisme, il est paradoxal de constater que c’est la côte kenyane qui reçoit beaucoup de touristes dans le cadre d’un « tourisme de masse ». Par exemple, sur 4.442.200 lits touristiques occupés par des touristes internationaux au Kenya en 2006, la côte swahili a enregistré 2.837.100 lits touristiques soit 64% de celles-ci avec 66% de la dépense touristique attribuée à cette région côtière.

Cette étude ne vise pas à mettre en question le taux de fréquentation des autres sites touristiques du Kenya, ni à proposer des réponses techniques dans la mise en œuvre d’un projet touristique. Il ne s’agit, ni de fournir isolément quelques solutions, ni de tenter d’égaliser la fréquentation touristique entre tous les territoires. Il faut souligner que même au Costa Rica, un pays bien connu dans le monde pour l’écotourisme, le flux touristique se répartit de façon inégale. Dans ce pays, deux tiers de la fréquentation était concentrés au sein de quatre parcs (Poas, Manuel Antonio, Irazu et Santa Rosa)12.

Or, dans cette thèse, la logique consiste à prendre en compte le développement touristique inégal et de proposer des moyens efficaces pour le combattre. De plus, cette thèse se situe dans une volonté d’aider le gouvernement kenyan à mener une politique de diversification des activités touristiques au-delà des destinations majeures. La thématique en plus de sa légitimité scientifique, constitue l’un des axes de la politique actuelle du tourisme dans le pays.

Evidemment, le flux touristique dans la plupart des destinations à tous les échelons demeure inégalement réparti13. Ainsi, le problème de fond réside dans le nombre réel de touristes qui fréquentent ces destinations. Depuis leur création, ces zones de biodiversité (à l’ouest du Kenya) ont continué de recevoir un petit nombre de touristes. En 2008 par exemple, 4.059 touristes ont fréquenté le parc national de Mont Elgon, 3.496 la réserve nationale de Kakamega et 2.221 le parc de Saiwa. En dépit de ces faits, ces territoires ne figurent pas parmi ceux qui sont privilégiés par des chercheurs. En conséquence, la nécessité de conduire des études approfondies dans cette partie du Kenya est apparue.

Notes
3.

World Resource Institute, et al, Nature’s Benefits in Kenya, An Atlas of Ecosystems and Human Well-Being, World Resource Institute, Washington, DC and Nairobi, 2007.

4.

Duhamel et Sacareau, Le Tourisme dans le Monde, Armand Colin 1998.

5.

Pourtier, Regards, échelles, lieux: un point de vue Géographe, l’Environnement en Afrique Contemporaine, La Documentation française, 1992, n° 161, p 15.

6.

Kenya, Government of, Statistical Abstract 2008, Kenya National Bureau of Statistics, 2008.

7.

Le lion (Panthera leo), le léopard (Panthera pardus), le buffle (Cincerus caffer), le rhinocéros (Diceros bircornis) et l’éléphant (Loxodonta africana).

8.

La mise en tourisme désigne « le processus, et l’état qui en résulte, d’un développement plus planifié, plus volontariste, contrôlé, sinon maîtrisé…Le rôle des décideurs et acteurs locaux…semblent plus important dans l’élaboration des processus et des décisions qui provoquent ou accompagnent le développement du tourisme ». Dewailly, Mise en Tourisme et Touristification, 2005, p 29-33.

9.

Odunga, Choice of Attractions, Expenditure and Satisfaction of International Tourists to Kenya, Ph.D. Thesis, Wagenigen University, 2005.

10.

Akama et Kieti, Tourism and Socio-economic Development in Developing Countries: A case Study of Mombasa Resort in Kenya, Journal of Sustainable Tourism, vol. 15, n° 6, 2007.

11.

Cité par World Resource Institute, et al, op.cit., 2007.

12.

Weaver, Magnitude of Ecotourism in Costa Rica and Kenya, Annals of tourism research, vol. 26, n° 4, p 1999.

13.

Duhamel et Sacareau, op.cit