3.2.2. Evolution historique

La couverture forestière fermée représente une superficie de 3% du territoire kenyane205. Ces forêts jouent un rôle très important dans la vie des communautés locales. Au Kenya, il y a plus de 300 réserves de forêt, parmi lesquelles treize ont été choisies pour l’aménagement commun entre le KWS (Kenya Wildlife Service) et le KFS (Kenya Forest Service), comme celles du Mont Elgon et de Kakamega.

Au moment où les discours sur le changement climatique gagnent le terrain, la conservation des forêts devient un outil entre autres pour le combat. La forêt de Kakamega (photo 1), ayant une superficie de 240 Km², est le seul écosystème de forêt tropicale dense et humide primaire au Kenya. Elle correspond à celle du bassin du Congo qui existait il y a 15.000 ans sur une vaste portion de terre et qui couvrait la zone continue entre l’ouest et quelques zones à l’Est de l’Afrique. Celle-ci a été menacée par un climat hostile il y a quelques 10.000 ans, après quoi sa superficie a commencé à se réduire très rapidement. Ces événements climatiques et l’intervention humaine n’ont laissé que quelques traces de cette forêt en Ouganda et au Kenya.

En 1920, alors que le Kenya était encore une colonie britannique, les autorités coloniales ont exploité cette forêt en coupant les arbres et en exploitant l’or. Les mines abandonnées sont le témoignage de ce type d’activité à Kakamega. Par ailleurs le potentiel d’utilisation de l’or reste non exploité206. Trois ans plus tard, après la découverte de l’or, on l’a déclarée forêt du comité colonial.

Photo 1 : La vue panoramique de la forêt de Kakamega depuis Lirhanda Hill

Photo, Odiara, B., 2008

Cette forêt est devenue une zone protégée du Kenya en 1933 dès que l’intérêt de son écosystème a été identifié et reconnu. Néanmoins, il a fallu attendre 1967 pour que les réserves de Yala et d’Isecheno soient établies. Ce n’est qu’en mai 1985 que presque 4.400 ha de la partie nord de cette forêt, ainsi que la forêt adjacente de Kisere, furent déclarées zones protégées comme réserve naturelle sous la protection du KWS. Cette forêt, traversée par les fleuves lsiukhu et Yala, forme un bassin important de captation de l'eau avec les fleuves qui le traversent.

En 1940, l’Etat a proposé un système de culture (shamba system) dans les forêts kenyanes, pour en faire bénéficier les communautés qui vivaient autour d’elles. Pour cause de conservation, ce système a pris fin en 1985 quand le gouvernement kenyan a réagi à la non-conformité du système en vue de protéger ses forêts. Avec ce système, 30% de cette forêt était cultivée par les villageois qui ne laissaient pas les arbres grandir afin de profiter du même terrain la saison suivante. D’autres mesures ont été prises pour lutter contre la déforestation : le gouvernement kenyan en 1986 proposa notamment des zones de plantation de thé nommées Nyayo Tea Zones comme une forme de ceinture autour des forêts avec l’objectif d’empêcher la destruction provenant des villages voisins.

Avec une flore et une faune uniques, cette forêt reste une réserve importante de ressource pour les banques génétiques, la médecine traditionnelle et le fait d’absorber le CO2. La perte de tels systèmes serait donc une grande perte pour l'humanité. C’est pourquoi le KWS et le KFS font des efforts concertés pour la conservation de cet écosystème unique afin de préserver la valeur écologique et paysagère.

Actuellement, la gestion de cette ressource naturelle se partage entre le KWS et le KFS. La partie nord (44 Km²) est aménage par le KWS tandis que la partie sud (196 Km²) est sous la gestion de KFS. Au nord, cette forêt est entourée de champs de canne à sucre ; au sud par des champs de thé ainsi que de maïs ; à l’ouest par des champs de maïs, et à l’est par les escarpements de Nandi.

Administrativement, la forêt de Kakamega est un complexe forestier qui comprend Bunyala forest (8.25 Km²), Kakamega forest (240 Km²), Malava forest (7.19 Km²), Kisere forest (4.84 Km²), Kaimosi forest (7.20 km²). La partie gérée par le KWS est une réserve nationale qui comprend les réserves de Kisere et de Buyangu. Celles-ci sont collectivement connues comme la réserve nationale de la forêt de Kakamega (KFNR) et elles sont rigoureusement protégées.

Cependant, puisque c’est une réserve nationale et non un parc national, les activités humaines de base comme le ramassage de bois par les populations voisines ne sont acceptées qu’avec la permission du bureau local de KWS. On note aussi le fait que la partie gérée par le KWS est plus naturelle que celle aménagée par le KFS du fait que ce dernier autorise davantage d’activités humaines sur son territoire (tableau 4).

Dès le début, le passage de cette forêt en une réserve nationale n’avait pas pour objectif de générer un revenu supplémentaire pour le conseil municipal. La préoccupation principale à ce moment là était dans la nécessité de respecter les droits et pour les populations locales d’accéder aux terrains d’élevage et de ramassage du bois207. D’ailleurs, Worah souligne que la participation en tourisme par les populations locales n’est pas vraiment une priorité ; le revenu lié à cette activité ne peut pas les décourager de ne pas exploiter les ressources naturelles208. Au même moment, en enquêtant sur le tourisme dans les pays du centre du Golfe de Guinée, Rieucau conclue que le « développement de l’écotourisme ne constitue qu’une des alternatives de développement durable pour les sociétés locales, au même titre que l’artisanat, l’agriculture et la pêche maritime »209. Cela veut dire que le tourisme n’est pas une priorité pour ces peuples mais il n’est qu’un choix de développement entre autres.

Tableau 4 : Type de végétation dans la forêt de Kakamega aménagée par KFS.

Source : Warden Kakamega (2006).

Au moment de la création de cette réserve, ses concepteurs ont eu la vision de la transformer ultérieurement en parc national210. Ceci était motivé par le fait qu’auparavant, une proposition de transformer directement la réserve forestière en parc national rencontrerait une forte opposition du conseil municipal. Cette opposition aurait résulté du fait que dans le cas d’un parc national, l’appartenance du terrain forestier passerait du conseil municipal au gouvernement central puisque le terrain forestier appartient au conseil municipal tandis que la faune et la flore appartiennent au gouvernement central. Donc, on ne pourrait pas isoler la forêt des animaux vivant sur ce terrain. Aussi, la création d’un parc national était vue comme une proposition très complexe et très longue211.

En tout cas, la politique de gestion d’un parc national et d’une réserve nationale par le KWS comme c’est le cas de Kakamega, ne présente aucune différence. Quel que soit le cas, il n’y a aucune menace posée sur les ressources naturelles, les principes de base de conservation sont appliqués avec la même intensité comme le témoigne le KFNR. En ce qui concerne le vécu touristique, il n’y a aucune différence, d’après les touristes, un parc et une réserve nationale étant similaires. Ils sont avant tout des zones naturelles de la biodiversité.

Au moment de la création de cette réserve nationale, le tourisme était l’une des raisons avancées pour soutenir sa création. Les objectifs et les souhaits initiaux étaient nobles : un parc national ou une réserve nationale ont été envisagés pour prendre en compte les intérêts des populations locales, sinon il ne pourrait pas survivre au fil des années sans une bonne volonté de celles-ci.

Parfois, des conflits entre l’homme et les animaux sauvages accentuent l’accroissement de la pauvreté dans les régions affectées. Par conséquent, le KWS et le gouvernement central proposent de promouvoir toujours la participation des communautés locales dans les projets touristiques et dans l’aménagement des zones de biodiversité. Cependant, on voit rarement des actions concrètes pour concrétiser ce principe. Par exemple, selon le rapport de Warden de Kakamega en 2006, il n’existe aucun projet financé par le KWS pour et par la communauté d’accueil. Donc, si toute l’attention est concentrée sur la conservation de la biodiversité, la population locale se considère comme secondaire par rapport aux ressources sauvages préservées.

Enfin, cette équipe de création de la réserve nationale de Kakamega a conclu qu’après que les populations locales aient été informées des bénéfices de la conservation de cette forêt, on procéderait à créer un parc national212. Mais depuis lors, aucune action n’a été mise en œuvre. Est-il possible que la population locale n’ait aucune connaissance sur les avantages de la conservation ?

Notes
205.

Kenya Government of, op.cit., 2002b ; ICIPE, op.cit., 2000.

206.

Kenya Government of, op.cit., 2007a.

207.

Cf. KWFT, A Dialogue of the Kenya Wildlife Fund Trustees During their Conservation Field Trip to the Proposed KFNR in the Western Province from 23 rd to 26 th September 1984.

208.

Worah, The Challenge of Community Based Protected Area Management, vol. 12 no. 2, 2002.

209.

Rieucau, op.cit, 2001, p 449.

210.

KWFT, op.cit.

211.

Ibid.

212.

Ibid.