5.3. Les principes de gestion des réserves animalières

Dans l’histoire de la gestion des parcs nationaux au Kenya, deux institutions ont joué un rôle : le National Parks Trust pour la faune et la flore dans les aires protégées, et le Game Department pour la biodiversité en dehors de celles-ci. En 1976, ces deux institutions ont été amalgamées en une seule organisation, la Wildlife Conservation and Management Department (WCMD), dont le mandat se termina début 1989 au moment où on créa le KWS. Jusque là, les pouvoirs publics n’avaient pas prêté attention aux autochtones et à la notion de l’autonomisation, voire de la gouvernance participative. On note que le « Game » reste encore le nom de référence auprès des kenyans pour le KWS.

La création de KWS est intervenue au moment où le problème de braconnage ainsi que de l’insécurité subie par les touristes au sein des parcs nationaux était à son apogée. Le WMCD, corrompu, mal financé et inefficace en matière de conservation était incapable de relever le défi.

Le meurtre infâme de Julie Ward dans la réserve animalière de Maasai Mara en 1988, qui fait encore l’actualité, atteste ce fait. Cette jeune fille anglaise et journaliste photographe de 28 ans trouva sa mort près de son camping alors qu’elle voyageait seule. Les coupables de ce crime restent inconnus jusqu’à maintenant, alors que son père cherche encore les réponses auprès de la justice kenyane. En outre, entre 1975 et fin 1988, pendant le mandat de WMCD, le Kenya aurait perdu 85% de sa population d’éléphants et 97% de rhinocéros à cause des braconniers. Le WMCD fonctionnait plus ou moins comme un « policier » pour protéger les parcs contre les populations en pratiquant une gestion distincte entre le « dedans protégée » et le « dehors libre ».

La création de KWS – une organisation paramilitaire – a donné un souffle nouveau dans la conservation des parcs nationaux kenyans. Il a mis l’accent sur la sécurité de la faune et des peuples avoisinant les aires protégées. En ce moment, le KWS consacre plus de 70% de personnel aux services de sécurité et celui de communautaire (CWS). Depuis lors, le nombre d’espèces emblématiques du pays, les éléphants et les rhinocéros, a augmenté.

Il faut noter ici que devenir un directeur de parc exige une formation paramilitaire obligatoire de neuf mois minimum. Cela s’avère bon pour la sécurité de tous : pour les hommes et les animaux, ainsi que pour le bon fonctionnement du système paramilitaire comme celui de KWS. Pourtant, au sein de KWS, il n’est pas rare d’assister aux malentendus entre les directeurs des parcs et les scientifiques (mieux diplômés) travaillant dans les bureaux régionaux de KWS. En dépit de ce fait, les parcs kenyans se trouvent entre la nécessité de renforcer leur sécurité et de s’adapter aux nouvelles stratégies modernes dans leur gestion.

A l’instar de WCMD, le KWS n’a pas rompu avec la mauvaise gestion « policière » des parcs, où les hommes ont été perçus comme les « ennemis à abattre » pour utiliser les mots de Brunel. En effet le premier directeur de KWS avait donné des ordres d’exécuter les braconniers pris sur le fait. Par contre, comme l’indique Olindo, après cet ordre, plus de 70 braconnières ont été tué mais personne entre eux n’était un Kenyan299.

Pourtant, dès le début et dans son manifeste, le KWS reconnaît le rôle explicite des populations locales comme un partenaire nécessaire en matière de conservation. Néanmoins, cette collaboration a manqué de cohérence et dépendait largement de la compétence et de la personnalité des directeurs des parcs.

Cette politique de mettre en avant la formation paramilitaire et le service de sécurité, a retenu au sein de KWS les gestionnaires des parcs hérités de WMCD. Ces derniers étaient relativement bien formés en matière de sécurité, sans avoir assez de compétence en science de conservation, en management ou en tourisme. Nous nous intéresserons particulièrement à ce dernier point.

Généralement, on ressent une passivité dans la promotion des zones de biodiversité au niveau des parcs. Il n’est pas rare de rencontrer des kenyans habitant pas loin de ces espaces sans connaître leur existence : les habitants de Kitale ignorent toujours l’existence de Saiwa parc à quelques 22 Km de cette ville, ceux de la ville de Kakamega ne sont pas au courant de la localisation exacte de la réserve de Kakamega, même la majorité des Nairobiens ignorent toujours la présence de Nairobi park, à 8 Km du centre ville. Pour certains, le concept même du parc est encore hors de leur imagination. On souligne que pour s’arrêter à Nairobi park en transport collectif, il faut signaler au conducteur que vous descendez à « orphanage » (un orphelinat se trouve à l’entrée de ce parc) plutôt que dire à « Nairobi park » ou à KWS.

Alors, si le tourisme se positionne comme un outil important de la conservation, il faut le comprendre pour mieux pratiquer la conservation. Aussi, étant intéressé principalement par la conservation ou la protection, sans prendre l’initiative de leur mise en tourisme, ces remarquables sites touristiques laisse l’impression chez certains que ces espaces, au moins économiquement, sont inutiles.

La plupart des rangers n’obtenaient que la formation du baccalauréat, pour leur permettre de suivre une formation paramilitaire, sans autre formation professionnelle. Certains ne pouvaient guère s’exprimer même en anglais, la langue de travail. Alors, avant la politique actuelle de transformation, leur déléguer un travail d’accueillir les touristes était une erreur. Le moment est donc arrivé où les parcs kenyans ont besoin d’un changement radical et pragmatique en termes de marketing pour faire connaître ces sites remarquables.

Bien que le tourisme ait apporté 23 millions et 16 millions d’euros en 2007 et 2008 respectivement pour le KWS, certains parcs attendent que les touristes viennent de leur propre initiative sans efforts préalables de communication ni de marketing. Cela veut dire que les touristes viennent de leur plein gré sans que rien ne soit vraiment fait pour aller les chercher. Ces destinations sont donc dans une logique d’économie de cueillette. Par exemple, si une semaine passe sans l’arrivée des touristes, les dirigeants locaux de KWS ne savent pas pourquoi, comme l’indique l’un des dirigeants locaux dans une interview : « quelquefois la saison touristique s’avère basse et même parfois très basse, par exemple il n’y a aucun touriste depuis quatre jours, nous ne savons pas pourquoi ».

En matière de gestion, l’utilisation des agents de sécurité dans le but d’exclure l’infraction humaine est souvent le choix préféré. Combien de temps peut durer cette option face aux moyens réduits de surveillance ? Par exemple, en considérant que la forêt de Kakamega (KFS) couvre 196 Km², les 14 gardes forestiers sont-ils assez nombreux pour la surveiller efficacement ? Les 1.157 agents de sécurité au sein de réseau des parcs au Kenya sous la gestion de KWS sont-ils suffisants pour protéger et sécuriser toutes les aires protégées kenyanes soit 7% du territoire nationale ?

A Kakamega et au sein de KFS, la problématique ne change guère. Citant l’exemple de M. Sylvester Lutiali Mambili, le journal national du Kenya Daily Nation, observe que « ceux qui prônent la conservation risquent une sanction sévère des rebelles ». Le jour (en 2008) quand M. Mambili s’est prononcé contre le pillage lors d'une réunion publique convoquée par le Préfet du département pour faire le point sur la menace pesant sur la forêt de la part des villageois, un groupe armé a pillé sa maison la nuit même, et l’a laissé dans un mauvais état après la destruction de ses biens. Ils ont battu les membres de sa famille avant de s'enfuir. Cette destruction avait pour objectif de se venger et d’indiquer à M. Mambili ainsi qu’à ceux considérés comme les associés des autorités, que les villageois n’approuvent pas ce qu’ils font (les empêcher d’accéder aux ressources forestières).

Comme pour le KWS, il y a maintenant un espoir de professionnalisme après la législation de forest act en 2005. Cette législation a crée le Kenya Forest Service (KFS) remplaçant la Forest Département (FD). Cette dernière était aussi inefficace, mal financée pour gérer les forêts kenyanes. En 2003, le ministre chargé des ressources naturelles du pays a pris la décision radicale de renvoyer tous les responsables de forêts parce que, selon lui, ils étaient les complices dans la déforestation.

Après cette décision et selon les critiques, les politiciens du pays ont profité de l’absence des administrateurs des forêts pendant cette période là. D’après eux, les forêts kenyanes ont connu des problèmes plus graves qu’avant et le plus grand pillage a eu lieu pendant cette période là. Malgré cela, la création de KFS représente un symbole d’espoir pour les villageois ainsi que pour la conservation. L’un des objectifs de cette organisation est sa détermination de faire un partenariat, de cinq ans renouvelable, avec la communauté locale pour une gestion commune de la forêt.

La reconnaissance de la communauté locale dans la gestion des ressources naturelles, selon Smouts, constitue la « découverte de la vérité première »300. Cette vérité réside dans la prise en compte que le « dedans protégé » et le « dehors libre », pour utiliser les mots de Amelot et André-Lamat, doivent cohabiter parce qu’une préservation de la nature qui exclurait l’être humain serait erronée. Associer la population locale dans la gestion des milieux naturels serait sans doute la bonne voie, avec l’impossibilité de « mettre un garde forestier derrière chaque arbre et derrière chaque gorille »301. Il ne nous semble pas nécessaire de considérer ici les raisons pour lesquelles cette « vérité » a été découverte (tard ?) dans la gestion des milieux naturels au Kenya.

Après la signature du contrat entre le KFS et la communauté locale à Kakamega, les fonds seront remis à la communauté pour faire pousser des jeunes arbres jusqu’à leur maturité. Selon le Directeur de KFS à Kakamega, 250.000 jeunes arbres seront pris en charge par la communauté pour la prochaine saison de plantation. Dans ce contrat, le KFS fournirait le matériel de plantation alors que ceux qui assisteraient à ce projet seraient payés 0.04 euros (Ksh. 4) pour chaque arbre planté.

La nouvelle législation de gestion des forêts kenyanes exige que les villageois constituent des groupes opérationnels pour cinq ans, nommés Community Forest Associations (CFA). Dans ce projet, chaque membre du groupe serait payé entre 1.90 euros (Ksh. 190) et 2.50 euros (Ksh. 250) par jour de travail. Ainsi, quant au Directeur de KFS à Kakamega, en faisant un partenariat avec la communauté, les parties dégradées de la forêt peuvent se régénérer dans un délai de deux ans si rien ne les dégrade encore. Vu de l’extérieur, l’ampleur de ces impacts économiques parait très faible, voire ridicule, mais si on se met à la place de ces populations, c’est le contraire et ce projet pourrait changer leur vie.

Figure 12 : La relation entre l’aire protégée, l’économie locale et le tourisme

Modifié d’après Holden, 2000.

Outre ce type de projet, le tourisme est encore largement perçu comme le moyen de faire profiter les populations aussi que de promouvoir la conservation. Donc, la relation entre le développement touristique, la conservation de l’environnement et le développement local semble inévitable pour réussir dans la gestion des zones animalières qui restent essentiellement des îles écologiques (fig. 12).

Pour l’OMT, « les stratégies à adopter pour ce type de tourisme (en faveur des pauvres) consistent essentiellement à lever les obstacles à la participation des pauvres au tourisme, et non, à se contenter de faire augmenter la taille générale du secteur – ne pas fabriquer un plus gros gâteau mais, mieux partager celui qui existe déjà »302. Ce propos ne contredît pas notre point de vue sur la nécessité d’augmenter le flux touristique des territoires moins visités. En revanche, il préconise le chemin à suivre vers la participation des populations locales dans le tourisme en commençant par leur maîtrise de l’activité touristique à petite échelle, surtout pendant la phase initiale de la mise en tourisme.

A ce moment là, les populations locales peuvent en profiter s’ils réussissent à créer eux-mêmes leurs petites entreprises : les bureaux de guides locaux, la vente de souvenirs, les locaux pour les manifestations culturelles… D’abord parce que pendant la phase initiale, les touristes ne sont pas encore exigeants, et l’absence d’investisseurs extérieurs encourage la communauté locale à s’y impliquer sans concurrence.

Par ailleurs, l’OMT ajoute que « pour que les stratégies de PPT (Tourisme Pour les Pauvres connu en anglais comme le Pro-Poor Tourism) réussissent, il faut que la localité concernée soit suffisamment ‘forte’, en tant que destination touristique, pour attirer un nombre de touristes permettant aux nouvelles entreprises de rester viables, et faire en sorte que le produit puisse être attrayant »303. Cela veut dire qu’après le découpage de « petit gâteau », il faut faire en sorte que le prochain gâteau soit gros pour satisfaire davantage la majorité. Donc, on se demande comment le PPT peut réussir si la destination dans son ensemble n’est pas florissante.

Pour y arriver, il faut alimenter l’espace touristique avec du marketing pour attirer davantage des clients, car on ne peut pas voyager « ailleurs » sans connaître d’abord son existence et ses atouts touristiques.

Vu que la majorité de la faune est en dehors des aires protégées, le gouvernement kenyan a fait le premier pas vers la politique de « vérité première » avec la création de KWS en 1989. Il faut noter que, dans le monde, le rôle de la communauté locale dans la conservation et officiellement reconnu depuis 1982 pendant le World Parks Congress 304. Au Kenya cela devient la réalité en 1989 – 43 ans après la création du premier parc national au Kenya. Le KWS sous la direction de M. Leakey – le premier Directeur – a publié le « Zebra Book » en 1990 qui a indiqué le chemin à suivre dans la gestion des aires protégées au Kenya. Ce chemin comprenait la nécessité de faire un partenariat entre le KWS et les communautés riveraines ainsi de les protéger contre les animaux sauvages. A ce moment là, M. Leakey a annoncé que cette organisation pourrait désormais partager 25% des revenus générés par les droits d’entrée avec les communautés riveraines. Néanmoins, cette politique a été abandonnée après la réalisation qu’elle était irréaliste et difficile à mettre en œuvre pour deux raisons principales : la difficulté de définir ceux qui constituent réellement la communauté locale, et aussi le nombre limité de touristes pour rentabiliser les efforts de conservation.

Aujourd’hui, les droits d’entrée des parcs ne suffisent même pas pour payer les salaires des plus de 3.500 employés de KWS. Par exemple, faisant la comparaison entre les deux, en 2008, les salaires attribués ont dépassé (de 10%) les revenus des droits d’entrée. Ainsi, la politique de partager les droits d’entrée s’avère très coûteuse et complexe pour le KWS. Etant un programme largement fondé sur des aumônes remises aux membres de la communauté locale sans qu’ils participent activement dans les projets touristiques et la conservation (développement de la communauté), il était nécessaire de trouver d’autres solutions.

En 1992, le service communautaire de KWS (Community Wildlife Service - CWS) a été crée. Au sein de cette service, le Development Fund for Africa (DFA) géré par l’Agence Américaine pour le développement International (USAID) a crée un projet sous nommé « COBRA » (Conservation of Biodiverse Ressource Areas). Ce projet aurait pu être opérationnel entre 1993 et 1999.

Contrairement à la volonté de partager les revenus avec les communautés, ce projet avait pour objectif la mise en place des projets par et pour les communautés locales. A la fin de 1995, le KWS avait déjà donné 800.000 euros pour la communauté et les associations locales à travers le pays, et plus de 300 projets ont été approuvés et financés. Ces projets comprennent les bourses scolaires, les centres de santé, la construction des écoles... Il y a eu moins de succès dans la mise en place des projets par la communauté car, comme on l’a déjà indiqué, la communauté n’avait pas encore les compétences nécessaires pour gérer ces types de projet305.

Au Kenya, le premier pas concret vers cette logique d’autonomisation (empowerment) du secteur du tourisme est apparu en 1996, quand le deuxième Directeur de KWS, s’appuyant sur cette « première vérité », a annoncé la mise en place d’un concept de « parks beyond parks ». Cela était nécessaire car comme dans l’exemple d’Amboseli, en plus de sa superficie de 392 Km², il a besoin de 4.000 Km² autour de lui pour compléter les processus écologique306. Donc, les parcs, seuls, sont encore très petits (le cas de Saiwa) pour assurer la protection de la biodiversité.

Dans la mesure où la présence de la vie sauvage s’entend au delà des limites des parcs nationaux, les Kenyans ont entrepris un grand nombre d’initiatives privées et communautaires afin de créer sur leur territoires des entreprises du tourisme et de l’écotourisme : le cas des parcs privées au centre du pays. Depuis lors, plusieurs projets privés et communautaires sont nés : Kimana Wildlife Santuary – le premier a été établi à Amboseli en 1996 –, Lewa Downs Game Sanctuary (1997), Tasia group ranch – Laikipia (1997), Lumo Wildlife Santuary – Taita Taveta (1997), Mwaluganje Elephant Santuary (1998), Il Ngwesi Sanctuary (1998), Arabuko Sokoke Butterfly project (1999), Mara Conservancy (2000), Ramisi Crocodile Farm (2000), Kitengela Wildlife Conservation Programme (2000) aux alentours du parc national de Nairobi entre autres. Ce dernier projet a été mis en place pour inciter les membres de la communauté riverains habitant près d’un corridor de migration de percevoir le point positif de la faune. Ici, les 115 familles qui participent à ce projet reçoivent 7 euros par hectare (un montant qui est supérieur à celui d’élevage) par an. Alors, depuis 2001, la surface de terre ‘loué’ pour la cause de conservation aux alentours de Nairobi park a augmenté de 1.120 à 3.500 hectares en 2003307.

Cette stratégie d’associer les intérêts de la population locale avec la conservation de la biodiversité préconise le rôle majeur que les communautés locales peuvent jouer dans la conservation à travers le « développement dans la communauté ». Cela signifie les projets faits par la communauté et pour la communauté. Les Maasai du Kenya ont décidé de créer leurs « mini-parcs » aux alentours des parcs déjà établis au lieu d’attendre les dons gouvernementaux.

Malgré cette politique largement approuvée, ce modèle a connu aussi plusieurs défis parmi lesquels l’interdiction à l’accès des ressources naturelles dès que le tourisme devient un secteur important pour ces territoires. Aussi, à l’instar du cas déjà cité des chasseurs au Zimbabwe, le tourisme ne peut pas remplacer les activités de base telles que le ramassage du bois ou les terrains d’élevage. Les sources de revenus même si viables n’améliorent pas la conservation des milieux. Bien que des revenus tirés du tourisme soient évidemment accueilli, il reste encore une question de la protection contre les dégâts infligés par la faune sauvage. L’ « extension » des parcs au delà des frontières officielles au nom de « parks beyond parks » est considérée comme indispensable dans la protection de la faune qui parcourt les territoires privés, en étant une source importante de retombées économiques dès que ces parcs sont mis en production touristique – le cas de Kimana Sanctuary à Amboseli qui a reçu 400.000 touristes en 2006. Comme au Zimbabwe, le concept de « parks beyond parks » ne fait pas abandonner les anciennes aires protégées, mais constituent en elles mêmes des éléments importants de protection, en même temps qu’un réservoir écologiques pour les zones habitées aux alentours.

Mais on s’interroge sur ce concept en tant que solution gagnante lorsqu’il est mis en œuvre dans une logique de développement du tourisme. A Kimana par exemple, malgré le nombre élevé de touristes et leurs impacts économiques positifs, les Maasai de ce group ranch n’étaient pas satisfaits parce que leurs bétails ne pouvaient plus accéder à ces ressources comme avant308. Il ne faut surtout pas se faire illusion de ce modèle. Les group ranchs sont largement restés, comme le suggère leur nom, un « parc » au sein des territoires privés. Ce modèle, parfois fondé sur un partenariat entre la communauté locale et le secteur privé, démontre les caractéristiques des parcs comme l’exclusion totale des Maasai309.

En outre, dans une analyse des rôles des zones de biodiversité, Smouts (op.cit), comme plusieurs chercheurs en tourisme, plaide fortement pour la notion de l’intégration des populations locales dans leur gestion. Elle favorise la création des zones tampons où l’on peut permettre une « utilisation mesurée » des ressources qui « satisfait » aux besoins des populations locales, « sans nuire » aux équilibres de l’écosystème : une idée proche de celle du développement durable. De telles propositions académiques sont des utopies et ne sont pas nouvelles. Comme d’autres propositions celle-ci prend ses désirs pour la réalité.

Comment ‘mesurer’ cette utilisation par ces populations dans ces espaces publics compte tenu de l’insuffisance du personnel forestier ? Comment définit-on la communauté locale ? Comme dans le cas de Kakamega, ce n’est pas seulement ceux entourant la forêt qui ramassent du bois. Il est aussi difficile de limiter la communauté locale uniquement à ceux qui avoisinent la forêt de plus prêt. Au Kenya, dans la plupart des cas la définition de la communauté locale prend un angle politique : celle de la circonscription, du département, voire plusieurs départements. Enfin, l’homme a des besoins illimités. Après avoir satisfait son besoin de bois pour son utilisation personnelle, il cherche ensuite le bois à vendre ou à faire du charbon pour gagner sa vie. C’est le cas chez les Gabonais où la chasse des tortues marines, en plus d’être un produit de consommation à domicile, constitue également un produit à forte valeur marchande310.

Au Kenya, comme le démontre le WRI (op.cit), 82% et 34% des foyers urbains et ruraux respectivement utilisent le charbon du bois comme source d’énergie. De plus, les revenus attribués aux producteurs de charbon du bois sont plus élevés que celui de canne à sucre, du café et du maïs. Alors, avec un sac de charbon de bois qui se vend à 7 euros, il reste à voir l’impact de la démarche d’intégrer la communauté locale dans la gestion de la forêt. Il nous semble que beaucoup de jeunes villageois prendraient plutôt le risque de brûler le charbon de bois, que de travailler dur pour une somme relativement faible de 2.50 euros par jour. Il faudra noter qu’au Kenya, on n’attribue que 18% de la production nationale du charbon du bois aux territoires publiques (parcs/réserves nationales, réserves forestières…)311.

Les projets par et avec la communauté locale font grandement avancer l’agenda conservateur. Ces types de projet se démarquent de ceux qui sont faits pour la communauté locale, du fait qu’ils appartiennent aux membres de la communauté, ces derniers étant de plus en plus des participants actifs dans leur gestion, que les principaux bénéficiaires. Ce sont les trois critères pour rendre opérationnelle la « vérité première » : l’appartenance, la participation et le bénéfice – je participe donc je profite. Avec ce type de formule, la communauté locale se positionne au début, au centre et à la fin dans la mise en tourisme de leur territoire.

Kibicho et Dewailly op.cit schématisent le modèle de tourisme fondé sur la participation de la communauté (fig. 13). Ce schéma démontre que pour rendre efficace le développement touristique de la communauté d’accueil, il serait important que les autres collaborateurs identifiés par ces auteurs soient impliqués. Ces acteurs comprennent le gouvernement, le secteur privé et les ONG...

Figure 13 : Le modèle du tourisme de communauté locale

D’après Kibicho et Dewailly, op.cit.

Dans la réalité, la participation commune de différents acteurs n’est pas toujours le cas. A Kakamega, avant l’ouverture du tourisme vers des populations avoisinant cette forêt, l’activité touristique dans cette partie aménagée par le KFS était entièrement contrôlée, bien qu’ad hoc et avec moins d’intérêt. La communauté était à la marge de l’activité touristique. Petit à petit, en prenant conscience de l’importance de faire impliquer la communauté autour d’elle, ce service en concertation avec le KWS, l’Ecotourism Kenya et l’UNDP – United Nations Development Program – a cédé la place aux villageois pour accueillir et développer le tourisme dans la partie sud de cette forêt. C’est notamment la construction des Bandas – un type d’écologe – par et avec la communauté d’accueil en 2003.

Le KFS toujours avec des moyens budgétaires réduits pour maintenir ces structures touristiques vieillissantes comme la pension d’ « Isecheno forest guest house » de quatre chambres (8 lits touristiques) ; sans compétence nécessaire pour accueillir convenablement des touristes, comme le témoigne son terrain de camping, et sans expérience de faire du tourisme un élément important de sa politique comme il le faut – l’absence même des statistiques de base –, a facilement cédé la place à la communauté locale. Pour KFS, le tourisme était une activité de circonstance, une activité de hasard, non planifié et non réfléchie. Son approche envers le tourisme était opportuniste, en se concentrant sur la gestion de la ressource forestière.

5% des revenus générés des Bandas sont versés au KFS comme taxe foncière. Sans appui en matière de promotion, les impacts positifs du tourisme réalisé par la communauté locale ne sont pas garantis. Au moment de l’enquête, il n’existait aucun plan pour développer le tourisme forestier même dans le futur. Le Directeur de cette forêt n’avait pas assez d’influence en ce qui concerne le tourisme. Ici la forêt supporte des usages multiples, et pour le KFS le lien avec le tourisme n’est qu’une option parmi d’autres. Alors que pour le KWS, la seule véritable option, c’est toujours le tourisme.

Pour la partie gérée par le KFS, il n’y a ni barrière ni guichet de paiement pour ceux qui fréquentent la forêt. En s’occupant du tourisme, la communauté locale manque encore de compétence, de formation et de moyen. Elle se trouve actuellement dans une condition de ne pas connaître l’évolution de l’activité touristique sur son territoire. Faute d’observatoire touristique, il était difficile de trouver des statistiques touristiques. Par contre, notre rencontre avec des guides touristiques et des membres de KEEP (Kakamega Environmental Education Programme) laisse supposer que cette partie de la forêt aménagée par le KFS connaît une fréquentation touristique aussi forte que celle de la partie aménagée par le KWS. Les seules statistiques disponibles ne comptabilisent que des touristes qui logent dans les bandas sans comptabiliser ceux qui sont hébergés ailleurs.

Néanmoins, ces villageois ont pris en main le défi de s’impliquer dans le tourisme et dans la sauvegarde de cette forêt à partir des différents projets (chap. 6.2). Un exemple de développement dans la communauté.

Les membres de la communauté au nord de la forêt n’ont pas le même privilège de créer des aménagements touristiques sur le territoire de KWS à cause de réglementations strictes. Ainsi, vue du dehors, la communauté au nord – côté KWS – ne veut pas s’impliquer en tourisme alors que celle côté KFS est prête de le faire. Mais compte tenu de la nature structurelle de KFS et de KWS, on commence à comprendre pourquoi ces différences subsistent.

L’histoire de l’autonomisation de la conservation et du tourisme apparaît donc récente. Barrow et al avancent plusieurs facteurs qui ont conduit à ce type de politique312 :

Néanmoins, un nombre de défis persistent dans l’application de ce type de modèle comme le démontre Lequin dans son livre sur l’écotourisme et la gouvernance participative313. Selon elle, il s’agit de :

La participation majoritaire tend à retarder le processus décisionnel et à alourdir la bureaucratie existante.

Notes
299.

Olindo, The Old Man of Nature Tourism, Island press, 1991, p 32.

300.

Smouts, p 267.

301.

Ibid.

302.

OMT, op.cit, 2002a.

303.

Ibid.

304.

Barrow et Fabricius, op.cit.

305.

Honey, op.cit, p 308.

306.

Wishitemi, Sustainable Community-Based Conservation and Tourism Development Adjacent to Protected Areas in Kenya, Moi University inaugural Lecture 5 series n° 3, 2008.

307.

WRI, op.cit.

308.

Kibicho, 2008, Community Based Tourism: A factor Segmentation Approach, Journal of Sustainable Tourism, vol. 16, n° 6, 2008.

309.

Wishitemi et Okello, op.cit.

310.

Rieucau, op.cit, 2001.

311.

WRI, op.cit.

312.

Barrow, et al.

313.

Lequin, et al.