6.2.1. Kakamega Environmental Education Programme (KEEP)

Le tourisme diffus chez les communautés locales a ses exigences. Ce tourisme nécessite que la communauté d’hôtes fasse preuve d’une certaine disponibilité et d’un minimum de professionnalisme. Elle doit aussi démontrer la volonté de recevoir les visiteurs avec plaisir et sans obligation.

KEEP est l’association communautaire la plus visible liée à la forêt de Kakamega. L’adhésion à cette association, dont le siége se trouve à Isecheno, est ouverte à tout le monde – au sein et en dehors de la communauté. KEEP a été créé en 1995 grâce aux initiatives des guides touristiques à Kakamega. Il a été officiellement reconnu en 1999 comme une association communautaire (Community Based Organisation – CBO). Ses deux objectifs sont la sensibilisation des communautés locales à l’importance de conserver la forêt et la mise en place des projets économiques pour rendre utile la conservation aux yeux de la population. Cela se fait à travers l’écotourisme, la production de miel et les fermes de papillons.

Photo 17 : les bandas touristiques à Isecheno appartenant à l’association KEEP.

Celles-ci sont construites d’une façon écologique en prenant en compte l’environnement naturel. L’aménagement touristique d’un territoire correspond au pouvoir de disposer d’un parc d’hébergements capable de répondre à la clientèle de séjour. Depuis fin 2009, ces bandas sont électrifié pour rendre le séjour plus agréable

Photo : Odiara B., 2008

La collaboration entre KEEP, Ecotourism Kenya et UNDP – United Nations Development Programme – a vue l’initiation d’un projet de logement en 2003. Cela a abouti à six (6) logements touristiques (bandas) de 18 lits (photo 17, fig. 14).

Au regard de l’extérieur, KEEP passe pour un modèle de projet touristique communautaire enraciné et diffus. Parmi les 200 membres de cette association, 40 y participent activement comme salariés ou à titre de bénévoles. Certains membres de la communauté montrent de l’indifférence envers KEEP, tandis que d’autres sont rebutés par l’imposition de 5 euros comme frais d’inscription. La réaction des membres de la communauté envers KEEP est mixte. Ceux qui profitent directement au tourisme montrent leur satisfaction tandis que d’autres vivent dans la frustration, le mécontentement, le conflit et la rivalité envers les responsables de cette association.

Figure 14 : La représentation d’un village banda à Isecheno, Kakamega.

Source : Odiara, B., 2010.

Tandis que les responsables de KEEP le décrivent comme un succès, les enquêtes sur le terrain démontrent le contraire. Au début, les guides touristiques comme les fondateurs de cette association ainsi que les villageois étaient motivés et actifs. Au fil des années, une partie des membres fondateurs l’a quitté à cause du manque de transparence et de l’absence de bénéfices. Les membres actuels et actifs de cette association sont largement semi-alphabétisés, au chômage et mal formés ne présentant aucun challenge pour le management.

En ce moment, certains villageois ne tiennent guère KEEP en haute estime. Ils dénoncent les responsables de cette association comme étant égoïstes et corrompus en ce qui concerne l'attribution des bourses destinées à la formation de ses membres. Même le Directeur locale de KFS l’a décrit comme inefficace en étant une association sans la démocratie. Alors, sans un suivi soigné au fil des années, ces types de projets deviennent plus ou moins des « clubs fermés » et exclusifs.

Les bénévoles de KEEP offrent leurs services pour une période indéterminée sans en tirer de bénéfice direct et immédiat. Face à une grande pauvreté, ces membres de la communauté préfèrent plutôt des gains immédiats. Ainsi, la rentabilité éventuelle, la demande pour ce produit par le marché, les opportunités d'emplois... dans des projets touristiques doivent être bien étudiées et détaillées avant le montage de tels projets. L’aspect financier s'avère un élément important en ayant le pouvoir de diviser la communauté.

Ces observations démontrent que l'autonomisation du tourisme va au-delà d’un simple montage des projets. Bien évidemment, les causes suscitant l’échec sont diverses. C’est notamment le manque de structures concrètes pour les gérer et la fréquentation touristique irrégulière. La conception et l’organisation soignées de ces structures sont aussi importantes que leur mise en œuvre. Ce type de projet comme les bandas est loin d’être intégrés dans la communauté d’accueil. Très peu des villageois en bénéficient.

KEEP a écarté la communauté et continue d’exister sans réaliser son rôle principal au sein de la communauté d’accueil ; celui de faire participer et profiter la société. Ces projets ont un impact économique minime chez les villageois du fait qu’ils se sentent éloignés de ces projets. Ainsi, Giraut et al ont raison en observant que l’ « approche participationniste communautaire ne va pas sans poser également des sérieux problèmes »325.

Les visiteurs paient 0,5 euros la nuit pour séjourner dans les bandas. Ainsi, entre janvier et juillet 2007, ces bandas ont accueilli 370 visiteurs pour un revenu de 2.669 euros (seule des statistiques de 2007 étaient disponibles). Cela signifie qu'en moyenne chaque touriste a généré 7,2 euros. Alors, il nous semble que les visiteurs fréquentant les bandas ne restent qu’une nuit (5 euros pour se loger et 2 euros pour le petit déjeuner). Le déjeuner et le dîner coûtent 3 euros et 3,5 euros respectivement. En plus, selon le gardien, le revenu annuel plafonne à 5.000 euros (tableau 15) dont 30% sont réinvestis dans ces logements ; 5% sont versés au KFS pour le loyer de terrain et 65% sont retenus par KEEP. Ces bandas emploient au total six personnes recevant des allocations mensuelles qui restent encore secrètes.

Tableau 15 : le nombre des visiteurs enregistrés dans les bandas de Kakamega KFS en 2007

Pour l’instant, selon le président de cette association, le montant retenu par KEEP soutient d’autres projets en cours tels que le parc des serpents (photo 18). Selon lui, quelques membres de la communauté n’ont pas la patience d’attendre la rentabilité de ces projets afin de réaliser leurs bénéfices dans le futur. Ainsi, il nous semble que des villageois ne comprennent pas l’objectif global de cette association car pour eux, ce sont des bénéfices immédiats qui sont en jeux. Malgré l’intention découverte sur le terrain d'investir dans d'autres projets communautaires, deux problèmes apparaissent. D'une part, c'est le manque de confiance aux dirigeants de KEEP et d’autre part, c’est le manque de communication par KEEP envers la communauté locale.

Pour ces territoires, il est clair que l’écotourisme doit soutenir ces zones en matière du développement. Cependant, les besoins de ces populations sont nombreux et il est douteux que seul le tourisme puisse jouer un rôle majeur dans l’amélioration de la situation économique des populations concernées, sans l’intervention d’autres secteurs de l’économie. Il est également important de faire un point sur l’avenir de ces zones si ces territoires n’arrivent pas à attirer le nombre suffisant des touristes.

Photo 18 : KEEP envisage aussi de créer le « parc de serpents » à la marge de la forêt, à Isecheno.

Ce type de projet a pour objectif de diversifier l’activité touristique dans cette partie de la forêt et de faire éduquer les membres de la communauté sur l’importance de préserver les biodiversités en totalité

Photo : Odiara B., 2008.

Malgré la rareté des données précises et fiables dans les bandas touristiques, on note que sur les 3.816 lits touristiques disponibles entre janvier et juillet 2007, seulement 370 ont été remplis. Cela se traduit en taux de remplissage de 9.7%. Pendant la même période à RRC (tableau 16), le taux de remplissage plafonne à 25%, là où chaque séjour coût 100 euros par nuit. Ces taux de remplissage surtout dans les bandas sont encore très bas par rapport au niveau national où le taux de remplissage de lits touristiques était à 47% en 2007. Pour cela, Blangy et Laurent observent que, la « réussite du tourisme autochtone dépend de la capacité de la communauté de s’allier à des intermédiaires extérieurs … (qui ont) un accès aux marchés de l’écotourisme ». Ces bandas ne sont pas liés au marché touristique. Sans des Tour Opérateurs et un site web fiable, ces projets communautaires sont condamnés à une fréquentation touristique irrégulière.

Tableau 16 : La fréquentation touristique à Rondo Retreat Centre à Kakamega en 2007.

Source : Le responsable de Rondo Retreat Centre.

La solidarité entre projets communautaires et entreprises privées extérieures serait nécessaire pour les rendre rentables. Comme exemple, on cite le cas de Kimana Wildlife Sanctuary près d’Amboseli park où la communauté recevait 2.500 euros par an pour la gestion communautaire. Après la mise en place d’un contrat de gestion avec African Safari Club – une entreprise privéece même sanctuaire génère 70.000 euros par an326. Au même temps, les programmes d’ADMADE au Zambie et de CAMPFIRE au Zimbabwe considérés comme des succès exemplaires par des acteurs du tourisme communautaire « sont des systèmes de gestions indirecte, dans lesquels les activités de safaris ou de tourisme de vision sont prises en charge par des compagnies privées qui reversent une partie de leurs bénéfices aux organes décentralisés »327. Rodary, (op.cit) ne souligne-t-il pas que des « tentatives de gestion directe par l’administration décentralisée au Zimbabwe ont été tentées au début des années 1990, mais ces essais ont tout échoués par manque de moyens et de capacités matérielles des Districts councils ». Donc, les acteurs privés maîtrisent bien les réseaux de commercialisation liant ces projets au marché touristique.

Pour se développer, la communauté locale à Kakamega essaie de diversifier ses activités économiques. Quelques membres de la communauté (pas nécessairement de KEEP) ont décidé de développer d’autres projets pour limiter la dépendance vis-à-vis du tourisme et de la forêt. C’est le cas de l’association Muliro Farmers Conservation Group (MFCG)à l’aide de l’ICIPE (International Centre of Insect Physiology and Ecology), l’UoN (University of Nairobi), le KEFRI (Kenya Forestry Research Institute) et le KWS. Cette association de 30 membres (10 hommes et 20 femmes) a été créée en 1997. Depuis 2000, cette association pratique la culture d’Ocimum kilimandscharicum et Ocimum swave introduit par ICIPE. Ces plantes huileuses récoltées trois fois par an sont utilisées pour fabriquer la naturub. Ce produit constitue un onguent contre le rhume, la grippe, la douleur musculaire et, c’est un calmant contre les piqûres d’insectes.

Tableau 17 : Le revenu annuel généré par acre par les agricultures en marge de la forêt de Kakamega.
Tableau 17 : Le revenu annuel généré par acre par les agricultures en marge de la forêt de Kakamega.

Source : La documentation de KFS.

En 2001, cette association (MFCG) a reçu 2.194 euros grâce à ce projet, dont il a utilisé 1.678 euros pour acheter un terrain en marge de la forêt. Grâce à leur détermination pour réussir, UNDP (United Nations Development Program) lui a donné une machine distillateur qui fabrique le naturub. Selon cette association, le revenu généré de Ocimum kilimandscharicum est supérieur aux autres plantes jadis cultivées autour de la forêt (tableau 17).

En dehors du revenu supplémentaire généré, les participants sont aussi encouragés à pratiquer la sylviculture, une activité qui pourrait dans le futur réduire la pression sur la forêt tropicale de Kakamega. Les autres projets développés par cette association comprennent l’apiculture avec 60 ruches, le site de camping avec une capacité de 100 campeurs (un pas vers le tourisme de masse autochtone ?), la culture de Mondia whytei, une plante aphrodisiaque localement connu comme mukombero utilisée dans la fabrication d'un tonique « mondia ». Ce dernier est utilisé comme un apéritif tout en étant une source de vitamines A, D, K et E. Il donne aussi un arôme alimentaire.

La fabrication de « mondia », a été possible grâce à l’aide de KIE (Kenya Industrial Estates), une organisation gouvernementale et nationale créée en 1967 à vocation d’aider les petites entreprises et de promouvoir les savoir-faire locaux. D’autres projets résident dans la culture des papillons. Parmi les projets futurs au moment des enquêtes, KEEP envisageait de créer un parc de serpents à côté de la forêt, un projet ayant la capacité de contribuer à l’amélioration de l’offre touristique de cette zone par la diversification des attractions existantes (photo 18).

Enfin, KEEP participe à la sensibilisation des élèves en organisant des sessions sur la problématique environnementale. En outre, certains membres de KEEP et de la communauté sont des acteurs touristiques importants en étant des guides touristiques.

Notes
325.

Giraut, et.al, op.cit ; cf. aussi Simpson, op.cit.

326.

Wishitemi et Okello, op. cit, 257.

327.

Rodary, La Conservation Intégrée en Afrique Australe : Opportunité ou Restriction au Développement ? Editions Karthala, Paris, 2003, p 125.