7.1. Le fait touristique en débat au début du XXIe siècle

Jusqu’à la seconde guerre mondiale dans les pays occidentaux, l’activité touristique était largement élitiste. Du « grand tour » pratiqué par des anglais au XVIIIe siècle, l’activité touristique s’est transformée en tourisme de masse à partir de 1950. Cela est dû à « l’imitation capillaire » où les touristes privilégiés de la société, notamment les aristocrates et les bourgeoisies, voient leurs lieux de vacances adoptés par les masses336. Cette démocratisation des vacances a abouti à la mise en tourisme des parcs nationaux à travers l’implantation des d’hébergements touristiques, de voies de communication afin de satisfaire le nombre croissant de touristes337. Pour reprendre les mots de la géographe F. Deprest « dès son origine, le tourisme est donc appelé à devenir ‘de masse’… »338. A ce moment là, cette activité était perçue sous un angle positif : pour ses impacts économiques comme une panacée pour les pays en voie de développement.

À mesure que les années passaient, des impacts négatifs du tourisme se manifestèrent. Par exemple, selon l’UNICEF (United Nations International Children’s Emergency Fund) il y a un nombre croissant de touristes sur la côte kenyane qui ne s’intéresse qu’au tourisme sexuel. Selon cette étude faite en 2006, dont une partie a été publiée dans le journal national du Daily Nation, entre 10.000 et 15.000 garçons et filles se prostituent sur la côte kenyane (surtout à Mombasa, Mtwapa, Shanzu et Malindi)339. 46% de ces gamins et gamines ont été leurrés dans cette pratique illégale à l’âge de 12 ans ou 13 ans. 3.000 entre eux se prostituent à temps complet. Ce rapport fait ressortir que ce sont des Italiens, des Allemands et des Suisses qui sont les plus enclins envers la pédophilie. Néanmoins, ce n’est ni le but de cette thèse ni l’intention d’aller plus loin dans la description des impacts négatifs du tourisme. Ces impacts néfastes sont bien documentés par d’autres chercheurs tels que Holden340, Newsome et al 341, Duffy342, Kibicho343 entre autres.

Avec de tels impacts, on commença à évaluer le tourisme de masse soigneusement en étant conscient qu’il représentait des impacts négatifs sur l’environnement (naturel et humain). Néanmoins, Gunn, spécialiste dans l’aménagement touristique, pense que le caractère du tourisme de masse ne se trouve pas uniquement dans ses impacts négatifs. Ces dernières se manifestent parce que le développement touristique se fait sans un planning préalable et réfléchi344.

Pour mettre fin à ces problèmes environnementaux, on proposa un autre tourisme sous le nom générique du « tourisme alternatif » dans lequel ‘l’écotourisme’ apparu en Amérique du Nord dans les années 1980 en réaction au tourisme de masse identifié comme néfaste. Ce diagnostique était lié à une « illusion d’un tourisme sans effets » (encadré 7.4). Par contre le problème se posa : l’écotourisme, est-il un produit ou un principe ?

L’écotourisme constitue une forme du tourisme de nature conforme aux principes du tourisme durable. Mais ce dernier ne se limite pas à l’écotourisme. Bien que l’écotourisme soit connu comme étant une forme de tourisme durable, les recherches dans ce domaine font ressortir les points suivants : d’abord, le tourisme alternatif doit rester une option mais pas un substitut pour le tourisme de masse car ce dernier ne doit pas nécessairement être non durable. En effet, Weaver décrit la bifurcation entre l’écotourisme et le tourisme de masse en nommant ce modèle soit comme le tourisme de masse durable soit comme l’écotourisme de masse 345. Pour elle, la question de la durabilité n’est pas uniquement celle du contrôle du flux touristique.

Deuxièmement, le développement touristique peut être gêné par le manque d’infrastructures adaptées plutôt que le tourisme en soi. Par exemple, Gunn démontre que la pollution de la mer à cause du manque d’un système d’assainissement dans un site touristique n’est pas une défaillance du tourisme, proprement dit. Celle-ci peut être généralement attribuée à l’absence des aménagements nécessaires dans la mise en place des projets touristiques346. Cela dit, la notion du tourisme durable est plus générique ou plus large que celle de l’écotourisme car ce premier doit viser l’ensemble des pratiques touristiques. Donc, le défi actuel pourrait être la façon dont le tourisme de masse peut devenir durable et ainsi comment les principes de l’écotourisme peuvent être généralisés dans les autres tourismes.

Pour se faire, il restera possible d’avoir d’autres voies du tourisme comme le suggère le titre de ce chapitre, sans abandonner celui du tourisme de masse. A l’échelle internationale, la diminution du nombre des touristes s’avère difficile pour le moment grâce aux facteurs favorables du tourisme moderne. Depuis des années 1950, le nombre de touristes internationaux au monde continue à augmenter sans cesse, des impacts négatifs du tourisme se manifestent encore tandis que des voyages ‘responsables’ et ‘solidaires’ se multiplient chez des Tour Opérateurs. Aussi, des séjours en nature (comme à Kakamega et à Saiwa) et dans les écologes augmentent tandis que l’appellation ‘éco’ devient à la mode. Au même temps, la victimisation du milieu persiste. Pour certains, l’écotourisme devient de plus en plus un marché lucratif pour les voyagistes qui abusent de ce concept noble ; la première étape vers le tourisme de masse347.

Eh bien, dans l’analyse du fait touristique jusqu’à présent, trois postures se manifestent depuis les années 1990: réformiste, alternative et radicale 348 . La voie radicale signifie stopper la fréquentation ; fermer l’accès à la destination parce que des touristes sont considérés comme des destructeurs de l’environnement. Cette posture de « vivons cachés pour être préservés » s’avère peu réaliste car elle envisage l’absence du tourisme (encadré 7.1). Pourtant, le manque de flux touristique vers les milieux menacés ne garantit pas pour autant leur conservation. Au contraire, sa présence s’avère bien pour la conservation du fait qu’il est largement considéré comme un outil de protéger des milieux naturels.

La deuxième posture la plus aisée à mettre en place, celle qualifiée de réformiste, encourage l’amélioration de l’existant. Puisqu’il serait difficile de limiter l’essor du tourisme, il apparaît important de repenser à nouveau comment cette activité pourrait atteindre au moins un degré de durabilité. Cette posture réagit largement sur l’impact de la fréquentation ainsi que sur la gestion des activités touristiques dans une destination donnée sans viser à modérer la croissance touristique.

Des solutions liées à ce type d’aménagement comprennent la dispersion des touristes au-delà des destinations phares, l’ouverture ou la mise en tourisme de ‘nouvelles’ destinations touristiques ou simplement l’augmentation de la résistance de la destination pour pouvoir protéger des sites actuels. Cela peut aussi se faire à travers la mise en place de l’information touristique, la sensibilisation des visiteurs et l’encouragement des pratiques ayant moins d’impacte sur le milieu.

La voie réformiste encourage la réorganisation totale notamment dans les institutions du tourisme ainsi que dans les pratiques et les comportements des touristes. Il s’agit de faire en sorte que ce tourisme devienne plus dynamique face à la demande actuelle qui ne cesse de croître. Cette voie constitue un chemin vers le tourisme durable mais pas nécessairement vers l’écotourisme. Donc, les organisations multinationales qui s’engagent dans les mesures préconisées par cette posture pratiquent simplement le tourisme durable mais pas forcément l’écotourisme. Cette posture a pour objectif d’alléger et de rectifier des impacts négatifs dûs au tourisme.

Cette voie croit dans le principe de pragmatisme : poursuivre le tourisme comme une mode de vie pour pouvoir en faire profiter les masses. Parmi les exemples figurent la construction des écologes par des multinationales telles que Hilton, la réhabilitation des sites dégradés en faisant du reboisement (Amboseli Serena au Kenya), la conservation de l’eau et de l’énergie en utilisant les panneaux solaire et en pratiquant le recyclage de l’eau …, la participation à la responsabilité sociale comme le fait le Kenya Wildlife Service (KWS), entre autres activités.

Enfin, la voie alternative, sujet principal de cette thèse, propose un type de tourisme en harmonie avec l’environnement et dans lequel la communauté locale participe. Elle présente le tourisme à l’échelle micro – le cas de Kakamega, où les acteurs ne se limitent pas à l’Etat et les multinationales mais ils favorisent la notion de gouvernance participative. Néanmoins, le mot alternatif, selon le petit Robert, s’utilise chaque fois qu’il n’existe que deux possibilités incompatibles pour résoudre un problème. Il se réfère plutôt à une solution de remplacement.

Pourtant, le tourisme dit alternatif, dont l’écotourisme fait partie, n’a pas vocation à remplir le tourisme de masse. Il présente simplement d’autres opportunités, d’autres façons de mettre en tourisme des territoires. Il est critiqué comme étant un tourisme sans :

Pour la majorité des auteurs, cette voie vise à limiter le flux touristique : limiter l’accessibilité, sélectionner des catégories de visiteurs, en choisissant ceux qui sont plus aisés. Ainsi, selon cette école de pensée, le concept de l’écotourisme nous ramène en arrière vers le tourisme élitiste. En plus de cela, il vise à introduire certaines pratiques telles que les visites pédestres et à vélo, en plus de mettre en place l’accès payant. Il va au delà de la construction des écologes et de la conservation de l’énergie. Il vise à découvrir l’environnement, à respecter et à contribuer à sa sauvegarde en prenant en compte la communauté d’accueil. Il reste encore à voir si le secteur des safaris au Kenya fait partie de cette alternative (l’écotourisme) à l’échelle communautaire.

Notes
336.

Boyer, op.cit, 2003.

337.

Dewailly et Flament, op.cit.

338.

Deprest, op.cit, 1997.

339.

Daily Nation, Alarm as 15.000 Children Lured into Prostitution, May 24, 2009, p 4.

340.

Holden, op.cit.

341.

Newsome et al, op.cit. .

342.

Duffy, A Trip Too Far. Ecotourism, Politics and Exploitation, Earthscan publications ltd, 2002.

343.

Kibicho, op.cit, 2005.

344.

Gunn, Tourism Planning. Basics, Concepts and Cases, Taylor and sons, 1994.

345.

Weaver, Ecotourism in the Less Developed World, CABI publishing, 2003.

346.

Gunn, op.cit.

347.

Williams, Tourism Geography, Routledge, 1998.

348.

Cf. Deprest, op.cit.

349.

Williams, op.cit.